Wimbledon a son propre classement parce que le gazon a ses propres règles
• Règle numéro 1 : Les favoris le sont moins qu’ailleurs
La notion de favori perd de sa substance au All England Club. Wimbledon est le Grand Chelem où il y a eu le plus de surprises en première semaine sur ces dix dernières années. En dix ans, 40 Tops 10 sont tombés en première semaine à Wimbledon, contre 30 à l’US Open, 26 à Roland-Garros, et 21 à l’Open d’Australie, le plus sécurisant des Grands Chelems pour l’élite mondiale. Il y a donc bien un fossé entre le Grand Chelem londonien et les trois autres. Et ce n’est pas Rafael Nadal qui dira le contraire. La barque espagnole est souvent chahutée dans les eaux agitées de la première semaine. A trois reprises depuis sa dernière victoire en 2010, Nadal s’est fait débouter avant le 3e tour par un joueur hors du Top 50, dont une fois contre un qualifié (Dustin Brown en 2015). Un chiffre illustre ses débuts de tournoi poussifs : Rafael Nadal a 75% de chances d’atteindre les demi-finales, une fois qu’il a passé le 3e tour, selon son passif à Wimbledon. Ce qui veut dire qu’une fois passés les premiers matches, il redevient l’ogre qu’il est partout ailleurs. Doit-on ne pas tenir compte de cette fragilité exceptionnelle des meilleurs sur une surface qui a tendance, lorsqu’elle est dans son état originel dans les premiers jours du tournoi, à niveler le jeu et à bouleverser la hiérarchie ?
Car Nadal n’est pas le seul à subir les caprices de l’herbe fraîche. Souvenez-vous du choc Stakhovsky : en 2013, le maître des lieux Roger Federer se fait sortir par le 116e mondial en quatre sets lors d’un match surréaliste où le Suisse a plié face à un joueur encore plus offensif et audacieux que lui. Federer lui-même le répète souvent à l’envi : « Sur gazon, ça peut devenir une loterie entre bons serveurs ». Rappelez-vous aussi l’hécatombe du tournoi féminin en 2018 : neuf des dix premières têtes de série étaient tombées avant le terme de la première semaine. Et le sacre de Marion Bartoli en 2013 ? Elle n’avait eu à affronter aucune membre du Top 15. Bien plus qu’ailleurs, les cartes sont rebattues à Wimbledon ; et rien que pour ça, un classement fait maison ne devrait pas être considéré comme une hérésie.
D'autant que le barème dudit classement est relativement intuitif : il donne beaucoup de poids aux résultats sur gazon du joueur. Aux points officiels du classement ATP sont ajoutés les points remportés sur gazon lors des 52 dernières semaines ainsi que 75% du meilleur résultat de 2017. Le but est clair : éviter que les joueurs les plus susceptibles de faire des contre-performances sur gazon ne soient trop bien classés.
• Régle numéro 2 : Le gazon est une surface complexe à appréhender
Oui, on ne dompte pas l'herbe anglaise facilement. Parce que le gazon a un impact certain sur la balle, sur sa trajectoire, et donc sur le jeu. Les joueurs doivent s’adapter, à la fois techniquement et tactiquement. Sur l’herbe, les balles rebondissent beaucoup moins. Elles ont tendance à fuser, et garder leur trajectoire basse ; contrairement à la terre battue sèche par exemple qui fait fuser les balles mais vers le haut. Le gazon décuple le slice des balles de Roger Federer, mais réfrène le lift de Nadal.
Enfin, élément très peu mis en avant, le jeu de jambes de gazon. Comme les glissades sur terre battue, le gazon demande une science du déplacement très particulière, très ardue à maîtriser. Il faut un centre de gravité plus bas, des appuis encore plus précis qu’ailleurs, sous peine de glisser ou de trébucher. Les novices sur gazon, ou même les professionnels qui ne se sont pas suffisamment préparés avant un match officiel, chutent très souvent pendant leur match. « C’est une surface difficile à apprivoiser, on se sent toujours en insécurité dans les déplacements, on marche un peu sur des œufs, confirme à Tennis Magazine Lionel Roux, l’ancien entraîneur de l’équipe de France de coupe Davis. Certains ont des aptitudes naturelles, comme Matthew Ebden, et si vous tombez sur un gars comme ça au 1er tour, les rapports de force ne sont plus vraiment les mêmes. »
• Règle numéro 3 : Être prêt...sans préparation
Trois semaines. Et il y a quelques années, deux. Voilà ce à quoi se résume la saison sur gazon. Ce qui veut dire que certains joueurs arrivent avec deux semaines de matches sur la surface, la plupart une semaine. Certains choisissent même de jouer leur premier match de la saison…à Wimbledon. Cette année par exemple, Novak Djokovic et Rafael Nadal ont choisi de s’aligner sur le Grand Chelem britannique sans tournoi de préparation. Ce qui veut dire que les derniers ajustements se font lors des premiers tours, là où à Roland-Garros par exemple, les joueurs ont entre quatre et six tournois pour parfaire leur jeu sur terre.
Si Federer a dépassé Nadal au classement cette semaine, c’est justement parce que le Suisse a glané quelques points à Halle, là où Nadal a choisi de ne pas jouer et donc de laisser son compteur gazon au même niveau. N’est-il pas légitime qu’un joueur qui a quelques matches de gazon dans les jambes passe devant celui qui arrive sans repères, même si ce dernier totalise plus de points ATP ?
Si on reste dans les mathématiques, Wimbledon a une ultime raison de garder son propre système de points. Le classement ATP reflète beaucoup mieux le niveau des joueurs sur terre battue pour Roland-Garros, et sur dur pour l'Open d'Australie et l'US Open. Prenons Rafael Nadal, par exemple. Sur ses 7945 points, acquis sur les 52 dernières semaines, 50% ont été gagnés sur terre battue, 41% sur dur…et donc 9% sur gazon. Pour le vainqueur de Wimbledon l’an dernier, Novak Djokovic, la proportion de points gagnés sur herbe ne s’élève qu’à 16%. Le classement ATP est-il dès lors aussi légitime à Wimbledon, Grand Chelem sur gazon, surface sur laquelle les joueurs ne gagnent qu’une infime minorité de leurs points ?
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