US Open : Gaël Monfils, l'Amérique dans la peau
A l’US Open, il y a une règle. Inamovible depuis les premières balles d’Arthur Ashe il y a près de 60 ans. Quand un Américain joue, le tennis n’est plus un sport qui se joue à un contre un. La ferveur patriotique du public compte pour mille. Les Américains ont un bazooka dans la main à la place de la raquette quand ils évoluent à Flushing Meadows. Seuls quelques joueurs parviennent à inverser ce théorème et à faire basculer le public de leur côté. Il y a les superstars : Roger Federer, Rafael Nadal ou encore Novak Djokovic. Et il y a Gaël Monfils.
LaMonf”, so stylish
Court Arthur Ashe, US Open 2013, 2e tour. Gaël Monfils affronte John Isner, le numéro un américain. On est en fin de 3e set, le géant a fait parler son double mètre en enchaînant les services canons pour rapidement mener deux sets à zéro ; la “night session” peine à s’électriser. Monfils finit par prendre le service d’Isner. Premier brouhaha dans le public. Sur sa balle de set, gagnée, Gaël Monfils se retourne, lève les bras et hurle face au public. Standing Ovation. Le Français vient de retourner le public en sa faveur. Pendant tout le 3e set, épique, long d’une heure, les Américains prendront fait et cause pour Monfils.
Isner dira après la rencontre : “J’ai été un peu déçu par l’attitude du public. Si c’était moi qui jouais en France, les Français ne m’auraient certainement pas supporté”. L’Américain finit par se montrer plus compréhensif, en tentant d’analyser le phénomène Monfils. “C’est son style qui les a conquis. Il est tellement divertissant...Il implique le public dans son match, il joue avec eux, et ça, ils aiment bien ça.” Ils, ce sont les Américains. Aux Etats-Unis, on n’apprécie pas le sport comme ailleurs : le résultat compte, certes, mais moins que le spectacle.
Apprivoiser New York, dompter l’Amérique
“LaMonf” sait transformer cette fusion avec l'esprit américain en arme. Car, il ne faut pas s’y tromper : Gaël Monfils est aimé aux Etats-Unis, mais lui aussi aime jouer Outre-Atlantique. A tel point qu’il y a fait son meilleur résultat en Grand Chelem en 2016, en atteignant les demi-finales. Monfils apprivoise Flushing Meadows comme aucun Français ne sait le faire.
“Pour bien jouer à New York, il faut apprivoiser New York, nous explique Roger Rasheed, coach de Gaël Monfils entre 2008 et 2011. Tomber amoureux de la ville, de cette atmosphère spécifique, de Manhattan, des restaurants, de la nuit new-yorkaise. Et ça, Gaël l’a fait instinctivement. La plupart des joueurs n’arrivent pas à faire la transition entre le court et la vie en ville. Or sur le bord du court on retrouve cette vie new-yorkaise, dynamique, détendue, passionnée” Là où un Gilles Simon exècre les tribulations américaines, la musique à fond les ballons aux changements de côté, les spectateurs alcoolisés qui braillent comme des nouveaux-nés à quatre heures du matin... Monfils, lui, s’en nourrit.
“Même sa pensée est américaine : elle n’est pas figée, elle ne rentre pas dans un moule”
Pour Roger Rasheed, Monfils ressemble à New York. “Il y a un large éventail de Gaël. Vous avez le Gaël dynamique, showman, que tout le monde connaît. Et puis vous avez le Gaël tranquille, apaisé, simple, qui aime les choses simples. New York est pareil : vous avez la folie de Manhattan la nuit, et puis la douceur de Central Park où vous pouvez vous poser. J’ai tout de suite compris que Gaël et New york pouvaient parfaitement se correspondre”. Il est particulier de se dire qu’un joueur de tennis ait à ce point besoin de “correspondre” à la ville où il joue.
Mais il est indéniable qu’il y a une magie qui se joue à chaque fois que Monfils pose les pieds sur le ciment de Flushing Meadows. “Même sa pensée est américaine : elle n’est pas figée, elle ne rentre pas dans un moule, poursuit Roger Rasheed. C’est un créatif, il ose tout, quitte à échouer”. S’il se sent si à l’aise à l’US Open, n’est-ce pas parce qu’il a conscience de jouer là où toutes les folies sont permises ? Et si c’était le seul endroit où il pouvait mettre derrière lui les éternelles questions qu’on lui pose sur son degré d’implication et de sérieux, au moindre saut de cabri qu’il effectue sur le court ? “Dès l’échauffement, les gens sont à fond et ils partagent ma vision des choses. Le sport, c’est du plaisir, et le show y est vu comme un plus” avait-il expliqué au Figaro lors de l’US Open 2018.
Libre, il l’est peut-être aussi parce qu’il connaît mieux que beaucoup de joueurs français l’esprit américain. Il s’abreuve de la culture américaine depuis son plus jeune âge. Son idole sportive ? Laissez tomber Pete Sampras, Henri Leconte ou Yannick Noah. C’est Le Bron James, ou Carmelo Anthony, deux joueurs dont il a les maillots floqués, qu’il vénère. Il fallait le voir, ému comme un gamin, debout devant la télé, après le titre des Cleveland Cavaliers, la franchise de LeBron James, en 2018.
"Monfils, c'est du tennis-NBA"
"Il tape très fort, il se meut comme un félin. Il me fait penser à un joueur de NBA : avec lui, c'est du tennis NBA, à l'américaine, raconte à l'Equipe son ancien préparateur physique, Rémi Barbarin. Alors qu'on est de plus en plus dans un jeu basique et standardisé, avec lui, il va se passer une aventure” Exactement comme les plus grandes stars de la NBA, où le spectacle est roi, Monfils accorde énormément d’importance au plaisir des spectateurs. "Je me demande s'il ne préfère pas enflammer un stade en perdant 6-4 au cinquième plutôt que de gagner 6-2 en étant linéaire", s'amuse Barbarin. Grand adepte de rap américain, ses célébrations sont souvent inspirées de gestes seulement populaires dans la culture urbaine d’Amérique. Son geste, les bras en croix, après chacune de ses victoires ? C’est le « Crank that" de Soulja Boy, un rappeur américain dont le clip a été visionné des millions de fois sur Youtube.
Etat d’esprit, culture, voire philosophie : tout concorde pour faire de Gaël Monfils l’un des pires adversaires pour tout joueur américain sur leur sol. Retour en 2013. Nous sommes dans le tie-break du 4e set entre Isner et Monfils. Balle de match pour l’Américain. Le Français plante son passing de coup droit dans le filet. Isner l’emporte. Mais le public américain ne rugit pas vraiment comme il sait si bien le faire quand l’un de ses poulains lève les bras au bout de la nuit. On applaudit, on crie un peu. On se prend la tête dans les mains, heureux pour John mais frustré de voir le coup droit du Français échouer lamentablement au milieu du filet. Comme s’ils avaient rêvé de voir une autre Amérique triompher ce soir-là. L’Amérique de Gaël Monfils.
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