Roland-Garros : d'où vient le bandeau accroché au front des tennismen ?
Accessoire de mode, éponge anti-sueur et maintenant support publicitaire, le bandeau du joueur du tennis a près d'un siècle et plusieurs vies.
La moitié des demi-finalistes de l'édition 2017 de Roland-Garros, hommes et femmes confondus, portait un bandeau vissé sur le front. D'où vient cette tendance, qui a supplanté le bandana cher à Arnaud Clément et ringardisé la casquette (à l'envers, depuis longtemps, à l'endroit, petit à petit, malgré Andy Murray) ?
Les pionniers : la diva et le dandy
Si les joueurs de tennis portent encore un bandeau aujourd'hui, ils le doivent sans doute à Suzanne Lenglen. A l'époque, la diva française préfère arborer les tenues des plus grands couturiers plutôt que de mal se fagoter avec des vêtements de sport. En 1919, le couturier Jean Patou a l'idée de la coiffer d'un large bandeau de tulle. L'accessoire fait fureur, sur les courts comme lors des soirées mondaines. "J'aurais donné n'importe quoi pour pouvoir la voir jouer", confie une autre porteuse de bandeau, Martina Navratilova, dans le livre Tennis Confidential II.
L'engouement autour du bandeau se tarit d'un coup dans l'Hexagone, quand Suzanne Lenglen succombe aux sirènes du professionnalisme, ternissant une réputation dont elle n'avait pas grand-chose à faire, raconte le New York Times en 1927. De l'autre côté de l'Atlantique, sa décision ne fait pas scandale et le bandeau continue de fleurir sur les courts. C'est ainsi qu'une tenniswoman portant bandeau fait la couverture de Vogue en 1938.
Coquet chez les dames, le bandeau est réservé aux marginaux chez les hommes. On trouve pourtant trace de joueurs portant bandeau dès les années 1950. Le plus célèbre d'entre eux s'appelle Torben Ulrich. Le père du batteur de Metallica, mais pas que. Un dandy danois, joueur de tennis le jour (enfin, l'après-midi), fêtard écumant les clubs de Saint-Germain-des-Prés la nuit, resté une trentaine d'années sur le circuit, et qui a renoncé à toute idée de se couper barbe et cheveux. Chez lui, le bandeau n'est pas là pour améliorer la performance, mais plutôt pour faire joli.
Borg, l'homme qui a rendu le bandeau cool
Il faut attendre les années 1970, quand les hommes s'autorisent enfin à porter les cheveux longs, pour que le bandeau devienne grand public. Björn Borg fait un symbole de son bandeau Fila blanc, bleu, rouge. La PME italienne devient une marque mondiale, alors qu'elle ne fournit même pas les chaussures du Suédois. Le quintuple vainqueur de Wimbledon fait école : les meilleurs joueurs de l'époque – Guillermo Vilas, John McEnroe… – ne se baladent jamais cheveux au vent.
Leurs conseillers identifient très rapidement le potentiel commercial d'un espace vierge sur le front de leurs protégés. Le manager Ion Tiriac met aux enchères le crâne de son poulain Vilas. Ford propose un million de dollars par an, mais l'affaire capote au dernier moment, rappelle le livre The Courts of Babylon. Un peu moins gourmand, le front de Borg fera de la réclame pour des causes moins sportives, comme les bières Tuborg. Du temps de sa splendeur, "Iceborg" empochait 2 millions de dollars annuels tous sponsors confondus, avant d'avoir donné le moindre coup de raquette.
L'influence de Borg s'étendra sur la génération suivante. Toute fraîche débutante à l'US Open 1990, Monica Seles, 16 ans, explique au New York Times avoir enfilé son premier bandeau le jour où elle a touché sa première raquette, dix ans plus tôt, pour ressembler au Suédois. Son front déjà vendu, la Yougoslave devenue professionnelle commercialisera aussi... ses cheveux, en signant un partenariat avec une marque de shampooings. Mais le goût de Seles pour les expérimentations capillaires – regardez les photos de ses trois succès à Roland-Garros (1990, 1991, 1992), à chaque fois, elle a une couleur de cheveux différente – compromettra ce partenariat sur la durée.
Une manière de se démarquer
A la suite de Borg, des joueurs vont utiliser le bandeau pour se différencier. Quand il gagne Wimbledon en 1987, Pat Cash arbore un magnifique bandeau à carreaux noirs et blancs. Rien à voir avec le drapeau agité à la fin des Grands prix de Formule 1, c'est un hommage au musicien du groupe Cheap Trick, qui joue sur une guitare avec le même motif. L'accessoire devient tendance en Australie, patrie d'origine de Pat Cash, où des présentateurs télé l'arborent en direct pour fêter sa victoire. Certains lui attribuent même un pouvoir magique. Fait troublant : lors de la finale d'un tournoi vétérans en Belgique, le volcanique Croate Goran Ivanisevic, alors mal embarqué, chipe le bandeau à damiers de son adversaire… et ne perd (pratiquement) plus un point, raconte Inside Tennis. "Ça marche vraiment ! Je vais en demander quelques-uns à Pat."
Aujourd'hui, un tel bandeau ne serait même plus autorisé à Wimbledon, qui durcit chaque fois sa politique vestimentaire. "Mon bandeau est illégal à cause des nouvelles règles, qui autorisent 1 cm de couleur. Des idées pour un autre modèle ?" demandait Cash sur Twitter, en 2014.
confirmed today that my headband is illegal this year with the new all white rule only 1cm of colour stripe allowed any tips on a re design?
— Pat Cash (@TheRealPatCash) 23 juin 2014
L'année suivante, un compatriote de Pat Cash, Nick Kyrgios, a ainsi dû retourner son bandeau… produit officiel de la boutique du tournoi, arborant les couleurs vert et violet du tournoi gazonné britannique.
Federer, jamais sans son bandeau
Le bandeau traverse les époques. Dans les années 1990, Andre Agassi l'utilisera pour maintenir sa perruque, un des accessoires de sa période grunge. En 2008, devenu chauve précocement, le Kid de Las Vegas égratigne gentiment le chevelu Roger Federer, qui dompte sa tignasse à l'aide d'un bandeau depuis son plus jeune âge. "Tu sais que si tu te coupes les cheveux, tu n'auras plus à porter ce truc-là ?", lui lance Agassi lors d'un match exhibition à Indian Wells. Mais pour Federer, cette bande de coton de quelques centimètres de large n'a qu'un lointain rapport avec la coquetterie.
Le bandeau représente toujours un espace publicitaire formidable, car forcément présent sur la photo. On compte ainsi douze sigles Nike sur le corps de Rafael Nadal aujourd'hui, une exclusivité qui se monnaye 10 millions de dollars annuels. C'est trois de plus pour le Suisse, qui ne se sépare pas de son bandeau, même pour poser dans une salle du All England Club.
Le front des tennismen est-il voué à être bradé à jamais aux marchands du temple ? Même le bandeau patriotique est en perte de vitesse. En 1995, l'ex-Canadien Greg Rusedski, naturalisé britannique, portait l'Union Jack sur son front pour Wimbledon. A la fin des années 2000, Kei Nishikori, le premier Japonais à percer au plus haut niveau, a quant à lui accommodé son hachimaki, le bandeau traditionnel, d'un sponsor.
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