Cet article date de plus de douze ans.

Au procès du tennis féminin, la parole est à la défense

Ennuyeux, peuplé de starlettes plus que de sportives, d'un niveau pathétique, le circuit féminin actuel en prend pour son grade. Et si on arrêtait avec les clichés pour examiner les faits ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Maria Sharapova lors de son entrée en lice à Roland-Garros contre la Roumaine Alexandra Cadantu, le 29 mai 2012.  (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Tennis féminin, levez-vous. Vous êtes accusé d'être inintéressant, prévisible, ennuyeux, médiocre, pleurnichard, sans tête d'affiche et sans aspérités. Des pontes du tennis réclament, sinon votre tête, au moins la rétrogradation de votre statut, actuellement égal à celui du tennis masculin. Qu'avez-vous à dire pour votre défense en pleine quinzaine de Roland-Garros ? FTVi va se faire votre avocat.

• "Le tennis féminin pique les yeux"

Il est assez rare d'entendre les exégètes du tennis s'enthousiasmer sur la qualité du jeu pratiqué sur le circuit féminin en ce moment. Bien souvent, les mêmes connaisseurs soupirent : "Du temps des Davenport, Pierce, Mauresmo, Steffi Graf, la qualité était nettement meilleure." Pour certains, ce qu'on retient le plus, ce sont les larmes des joueuses qui perdent et les cris échangés pendant l'heure de jeu. Les tenniswomen qui placent des volées ou utilisent à bon escient l'amorti se compteraient sur les doigts d'une main.

La parole à la défense

C'est vrai et faux à la fois. L'uniformisation du jeu touche aussi le circuit masculin. Et certaines joueuses injustement méconnues, comme la Polonaise Agnieszka Radwanska (n°3 mondiale quand même !), ont un des plus beaux jeux du circuit. 

• "Les tenniswomen qui gagnent autant que les hommes : une escroquerie"

"Les prix des billets, les sponsors, les affluences aux matchs : tout indique que les hommes devraient gagner plus", estime l'ancienne vedette des années 1970 Pat Cash, sur Rue89.

Les chiffres sont là : le tennis féminin draine moins d'argent et moins d'intérêt que son homologue masculin. Si vous êtes déjà allé à l'Open GDF-Suez, le tournoi féminin majeur en France, vous vous êtes sans doute retrouvé dans des tribunes désertes du stade Pierre-de-Coubertin avec en fond sonore le lave-vaisselle du restaurant du tournoi.

A l'audimat, les garçons font deux fois mieux que les filles. Lors de l'Open d'Australie, au milieu des années 2000, il a fallu baisser le prix des places pour le tournoi féminin, faute d'amateurs. "La BBC s'était plainte du trop grand nombre de sièges vides", se souvient un ancien directeur du tournoi dans le quotidien australien The Age (lien en anglais) en 2009.

Le quart de finale de l'Open d'Australie entre la Française Nathalie Dechy et la Suissesse Patty Schnyder n'avait attiré qu'une assistance clairsemée à Melbourne, le 26 janvier 2005. (JIMIN LAI / AFP)

La parole à la défense

Faut-il vraiment reprocher au tennis d'être l'unique sport paritaire au monde ? Même si Roland-Garros et Wimbledon n'ont adopté la mesure qu'en 2007, 34 ans après l'US Open.

• "Mais au fait, qui est la numéro 1 mondiale ?"

La détentrice du poste pendant deux ans, la Danoise Caroline Wozniacki, n'a pas aidé à poser des repères sur le circuit. Aucune victoire en Grand Chelem, aucune finale significative, la joueuse s'est surtout illustrée en dehors des courts, dans la chanson (attention les oreilles si vous écoutez son titre Oxygen), par ses imitations des autres joueurs du top mondial et par ses blagues d'un goût particulier. Il faut la voir lamentablement échouer à faire éclater un ballon de baudruche dans le dos de Maria Sharapova ou imiter le malaise de Rafael Nadal

Le fait qu'une joueuse comme la Belge Kim Clijsters puisse faire un break de deux ans et remporter un tournoi du Grand Chelem quelques semaines après son retour n'en dit-il pas long sur l'écrêtement au plus haut niveau du tennis féminin ? Et si vous arrivez à citer les trois dernières lauréates de Roland-Garros sans aller sur Google, vous êtes un expert.

La parole à la défense

On peut cependant noter que, contrairement au tennis masculin où vous pouvez miser les yeux fermés votre bas de laine sur des demi-finales Djokovic-Federer et Nadal-Murray (seuls une poignée de joueurs ont déjoué les pronostics depuis quatre ans, note Carnet Sport), le suspense est à son comble chez les filles. Comme le résume la Biélorusse Victoria Azarenka, n°1 mondiale, sur We Love Tennis"Chez les filles, c'est sympa parce que vous voyez pas mal de joueuses différentes gagner en Grand Chelem. Comme Na Li, qui a été le première joueuse chinoise à en remporter un, ou Samantha Stosur et Petra Kvitova, qui ont aussi gagné l'année dernière. C'est intéressant et je suis sûre que le public apprécie cela aussi !"

• "Un tournoi de tennis féminin, c'est intéressant à partir des quarts de finale"

Les trois premiers tours qui se concluent sur des 6-0, 6-1 en 40 minutes, c'est un cliché qui a la vie dure. 44 des 64 simples dames du premier tour de Roland-Garros se sont achevés en deux sets secs, et les matchs des têtes d'affiche ont rarement dépassé l'heure de jeu. Dans ce grand concours de "qui va le plus écraser son adversaire", citons la Polonaise Agnieszka Radwanska qui a signé un 6-0, 6-1, la Serbe Ana Ivanovic un 6-1, 6-1, la Danoise Caroline Wozniacki un 6-0, 6-1 et la Russe Maria Sharapova un 6-0, 6-0. Durée moyenne : entre 45 et 50 minutes. Et les finales qui dépassent les deux heures sont rares. Il n'y a guère que la Française Virginie Razzano pour faire mentir les pronostics en sortant une joueuse dans le top 10 mondial, en l'occurrence Serena Williams, lors d'un match de plus de trois heures. Comme disait l'ancienne star Lindsay Davenport : "Je ne suis jamais restée suffisamment longtemps sur un court pour avoir des crampes."

La parole à la défense

Lors du premier tour de Roland-Garros, 34 des 64 matchs du tableau masculin se sont terminés en trois sets secs. Soit plus de la moitié. Même si l'impression visuelle n'est pas aussi marquante qu'un 6-0, 6-0 , la "double roue de bicyclette", les stars masculines comme Federer ou Nadal ont joué au petit trot pour sortir leurs adversaires sans transpirer plus que nécessaire. Le procès en facilité instruit contre le tennis féminin peut aussi être appliqué aux hommes.

• "Le tennis féminin, un sport sur papier glacé"

La discipline est victime de ce qu'on pourrait appeler le syndrome Kournikova. La joueuse russe a dû sa notoriété mondiale à son joli minois plus qu'à ses performances sur le court. Starlette avant d'être championne, celle qui partage désormais la vie du chanteur Enrique Iglesias a raccroché la raquette avant d'avoir remporté un titre.

Depuis, des tenniswomen se sont servies de leurs charmes pour améliorer leurs revenus publicitaires : Maria Sharapova et Li Na, qui partagent l'influent agent Max Eisenbud, ont des lignes de vêtements à leur nom chez leur équipementier. La Russe a fait la couverture du prestigieux magazine américain Sports Illustrated à 17 ans avec en titre "Star Power". Et ses photos en maillot de bain sont devenues un classique du calendrier du journal.

Maria Sharapova lors d'une opération publicitaire pour Land Rover, lors du tournoi de Wimbledon en juin 2006. (LEON NEIL / REUTERS)

La parole à la défense

Quand Rafael Nadal fait de la pub pour des slips, personne ne pousse des cris d'orfraie. C'est aussi un silence poli qui accueille la propension de Roger Federer à exhiber à tous bouts de champ sa montre, d'une célèbre marque qu'il faut posséder avant 50 ans sous peine d'avoir raté sa vie. A papier glacé, papier glacé et demi.

Et n'allez pas dire que le tennis féminin se résume à une bande de braillardes, les hommes crient aussi. Maria Sharapova a été mesurée en 2005 à 101 décibels, soit l'équivalent du bruit d'un train entrant en gare. Mais les feulements rauques de Rafael Nadal sont tout aussi agaçants, même s'ils n'ont pas été mesurés ou comparés à la bande sonore d'un film porno

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.