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Tennis : les pires traquenards de la Coupe Davis

La France doit choisir la surface sur laquelle elle recevra la Suisse en finale de la Coupe Davis. Elle peut jouer fair-play... ou piocher dans le passé du tennis quelques coups tordus pratiqués aux dépens des visiteurs.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le joueur de tennis Björn Borg est porté en triomphe par ses équipiers après la victoire de la Suède en Coupe Davis, le 21 décembre 1975. (STF / SCANPIX SWEDEN)

Le tennis a l'image d'un sport de gentlemen. Mais quand l'honneur national est en jeu, lors de la Coupe Davis, tous les coups bas sont permis. Arnaud Clément, le capitaine des Bleus, piochera peut-être quelques idées dans l'histoire du tennis au moment de choisir la surface pour recevoir la Suisse de Roger Federer, du 21 au 23 novembre, pour la finale de cette compétition.

Traquenard à la roumaine, en pleine guerre froide (1972)

1972. Les Etats-Unis se déplacent en Roumanie pour la finale de la Coupe Davis, quelques semaines après la prise d'otages sanglante dont a été victime l'équipe israélienne aux Jeux olympiques de Munich. Deux des joueurs de l'équipe américaine sont juifs et l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) a émis des menaces de mort. "On a passé l'année flanqués de deux types en imperméable avec une mitraillette", se souvient l'un d'eux, Brian Gottfried, cité par tennis.com (en anglais). La question de disputer ou non la finale dans ce pays ami de l'OLP remonte jusqu'au président américain, Richard Nixon, qui donne son feu vert. Le SWAT, l'unité d'élite de l'armée américaine, prend ses quartiers sur le toit de l'hôtel où logent Roumains et Américains. Les joueurs des deux équipes, qui se sentent comme des prisonniers, fraternisent. "A tous les repas, on mangeait avec vingt officiers de police, officiellement des traducteurs, qui tiraient la gueule", se rappelle le joueur roumain Ilie Nastase, n°1 mondial à l'époque, dans The Oregonian (en anglais).

Le double de la finale de la Coupe Davis entre l'équipe roumaine et les Etats-Unis, le 15 octobre 1972, à Bucarest (Roumanie). (JERRY COOKE / SPORTS ILLUSTRATED / GETTY IMAGES)

L'équipe roumaine a choisi une terre battue ultra-lente pour contrarier le jeu de la star américaine Stan Smith. Certains juges de touche supporters de la Roumanie sont disposés autour du court. Le public est bouillant. Mais l'arbitre du match, l'Argentin Enrique Morea, ne se démonte pas : "J'ai fait sortir un juge de ligne que je trouvais trop partisan. Il ne voyait que des fautes qui arrangeaient Ion Tiriac [un autre joueur roumain], raconte Morea au New York Times (en anglais). Avant de passer cette consigne au capitaine américain Dennis Ralston : "S'il vous plaît, ne touchez pas les lignes, ça va compliquer les choses." Les Américains l'emportent grâce à un Stan Smith au sommet de son art. Quelques mois plus tard, il reçoit même le prix du fair-play de l'Unesco pour son flegme au milieu de la tempête. L'équipe américaine n'a même pas le loisir de fêter sa victoire : le service de sécurité embarque manu militari les joueurs et le staff dans des voitures, direction l'aéroport.

Traquenard à la suédoise, sur fond de politique (1975)

Quand la Suède de Björn Borg hérite du Chili en demi-finale de la Coupe Davis 1975, les organisateurs ne voient pas venir le piège. Ils programment le match dans la paisible station balnéaire suédoise de Bastad (trois boulangeries, 5 000 habitants). Erreur. La confrontation tombe pile deux ans après la prise du pouvoir par le général Pinochet à Santiago du Chili. Recevoir les Chiliens à ce moment précis, n'est-ce pas cautionner la dictature sanguinaire de Pinochet ? La Suède se déchire sur la question. Le joueur chilien Jaime Fillol reçoit des menaces de mort. Des milliers de manifestants suédois et occidentaux menacent de déferler sur Bastad. Le gouvernement, réuni en urgence, ne parvient pas à trancher. La rencontre a donc lieu, mais devant un public trié sur le volet : des journalistes, les membres du tennis-club de Bastad et les forces de l'ordre. Ce match Suède-Chili constitue... la plus grosse opération policière de l'histoire du pays : 1 200 policiers mobilisés, un bateau qui patrouille en permanence dans le port de Bastad, et des hélicoptères qui survolent la zone, énumère le Helsingborg Dagsblad (en suédois).

Lors du simple décisif, Bjorn Borg expédie Jaime Fillol en trois manches sèches (6-1, 6-2, 6-1). Le joueur chilien était peut-être déconcentré par les cris hostiles des 7 000 manifestants repoussés à quelques centaines de mètres, qu'on entendait très bien sur le court. L'équipe suédoise, inférieure sur le papier, se qualifie pour la finale, qu'elle remportera, à la surprise générale, contre la République tchèque quelques mois plus tard.

Traquenard à la paraguayenne, sur un parquet (1985)

Le principal moyen de faire déjouer l'adversaire, c'est de lui imposer une surface sur laquelle il n'est pas à l'aise. Le Paraguay est passé maître dans ce domaine dans les années 1980. Prenez une petite salle de 1 500 places remplie à craquer par deux fois plus de supporters chauds bouillants, munis de grosses caisses et de trompettes. Et un improbable court en bois, avec du parquet vitrifié qui n'existe que là-bas. Les visiteurs sont totalement pris au dépourvu, alors que l'équipe locale s'y est entraînée pendant des semaines.

En quelques années, le Petit Poucet de la Coupe Davis fait tomber la France de Leconte et Noah, la République Tchèque d'Ivan Lendl et les Etats-Unis de Jim Courier. En 1985, lors de sa sortie du court, Noah doit utiliser sa raquette pour se protéger de la foule hostile qui lui jette des capsules de bière, raconte le blog Service Cuillère. Henri Leconte se sert lui aussi de sa raquette pour en découdre avec les spectateurs venus le chauffer juste après la défaite... à 4 heures du matin, dans une salle surpeuplée et non climatisée.

Les Etats-Unis ne se sont toujours pas remis de leur déplacement à Asuncion, la capitale paraguayenne, en 1987. Jimmy Arias se rappelle, sur le site Grantland (en anglais), d'une scène incroyable lors de la défaite de son équipier Aaron Krickstein : "Je regardais le match depuis les vestiaires, et j'ai vu tous les juges de ligne lever les bras au moment de notre défaite !" Ce week-end apocalyptique a longtemps poursuivi Arias, qui en a fait des cauchemars pendant plusieurs mois, et sursaute encore dès qu'il entend une grosse caisse, raconte SportsCentral (en anglais). Et dire que dans l'avion, avant les matchs, les tennismen américains riaient à gorge déployée en évoquant le modeste pedigree de leurs adversaires...

Traquenard à la russe, avec un café latte douteux (2007)

Le leader de l'équipe allemande a-t-il été empoisonné ? Tommy Haas se prépare à disputer un match capital contre la Russie, à Moscou, en 2007, en demi-finale de la Coupe Davis, quand il ressent de violentes crampes d'estomac. Le joueur allemand accuse son dessert ou un café latte machiatto frelaté. "J'ai passé six heures aux toilettes, enfin, je suis resté penché au-dessus, explique Haas, qui n'épargne aucun détail, cité par le Daily Mail (en anglais). Son équipier Alexander Waske rapporte la confidence d'un membre de l'encadrement russe : "Ça allait être un match serré, c'est dommage que Tommy ait été empoisonné. Crois-moi Alex, je connais bien Moscou. Ce genre de choses peut tout à fait arriver." Résultat : Haas ne joue pas son deuxième match, privant l'Allemagne de son meilleur atout, et la Russie l'emporte 3 à 2. 

Le joueur allemand Tommy Haas lors de la demi-finale de Coupe Davis contre la Russie, à Moscou, le 21 septembre 2007. (MAXIM MARMUR / AFP)

L'affaire fait grand bruit : trois ans plus tôt, le président ukrainien Iouchtchenko a été victime d'un empoisonnement à la dioxine, peut-être par les services secrets russes. Les analyses demandées par Haas ne donnent rien de concret. Et les Russes nient en bloc : Alexander Katsnelson, un des organisateurs, explique carrément au Moscow Times (en anglais) que Haas, arrivé à Moscou diminué, était le plus faible joueur allemand, et qu'il n'y avait par conséquent aucun intérêt à l'empoisonner. "C'était évident qu'il n'était pas en bonne forme. A l'entraînement, on le voyait tousser et souffler. C'est juste le mauvais argument du type qui a perdu."  

N'allez surtout pas croire que ce genre de traquenards constitue une pratique d'un autre âge. Même si la fédération internationale a limité le recours à des surfaces farfelues, les Belges ont tenté de faire trébucher la Serbie de Novak Djokovic avec de la terre battue recouvrant un parquet, les manifestants suédois ont à nouveau élevé la voix avant un match contre Israël, les Britanniques se sont vus attribuer un bordel pour vestiaire lors d'un déplacement en Ukraine. Quant aux Français, ils ont eu la surprise de jouer dans un hangar d'aéroport sans douches lors d'un déplacement au Autriche. Tout ça ces dix dernières années.

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