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Business, confidences et paillettes... Comment Sharapova a orchestré son retour après sa suspension pour dopage

La Russe est restée quinze mois loin des courts. Mais elle ne les a pas passés les bras croisés. Récit d'un retour millimétré, alors qu'elle doit affronter la Hongroise Timea Babos au 2e tour de l'US Open, mercredi.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La joie de Maria Sharapova après sa victoire face à Simona Halep au premier tour de l'US Open, le 28 août 2017, à New York (Etats-Unis). (KATHY WILLENS/AP/SIPA / AP)

Une robe sertie de cristal, un mini-concert de Shania Twain, le ban et l'arrière-ban du tennis américain dans les tribunes... Il fallait bien ça pour fêter le retour de Maria Sharapova dans un tournoi du Grand Chelem. La Russe, qui n'a jamais perdu lors d'un match programmé en soirée à New York, a fait du petit bois de la n°2 mondiale Simona Halep (6-4, 4-6, 6-3), lundi 28 août. Et ce alors qu'elle a rétrogradé au 146e rang, après plus d'un an loin des courts à cause d'une suspension pour prise de produit dopant. Retour sur quinze mois d'une lente reconquête avant son 2e tour, face à la Hongroise Timea Babos, mercredi 30 août.

"Je me suis sentie toute petite"

"C'était pire que le matin d'un gros match. Je devais avouer au monde entier que j'avais merdé." Ce matin du 8 mars 2016, Maria Sharapova donne une conférence de presse dans un hôtel de Los Angeles. Les rumeurs vont bon train sur sa possible retraite. L'enfant prodige du tennis féminin, dans le circuit depuis une douzaine d'années, collectionnant les titres dont cinq du Grand Chelem, a laissé entrevoir des signes de lassitude. Sharapova, alors âgée de 29 ans, ne va pourtant pas annoncer qu'elle raccroche la raquette, mais son contrôle positif au Meldonium, un produit qu'elle prend depuis des années, passé sur la liste des produits interdits au 1er janvier 2016. Comme toutes les joueuses, Sharapova a été prévenue par un email de l'ITF, la fédération internationale. Des courriers qu'elle n'ouvre que rarement : "D'habitude, ils envoient des informations très générales", se justifie-t-elle. La championne, suspendue avec effet immédiat, ne résiste pas à une dernière pirouette : "Croyez-moi, je n'aurais pas annoncé ma retraite dans un hôtel de la banlieue de Los Angeles avec une moquette aussi moche."

Tout Sharapova est résumé dans cette phrase : une championne de papier glacé au talent inédiable, mélange d'arrogance et d'autodérision. En privé, elle se montre beaucoup plus sensible et sympathique que sur le circuit, affirment ses proches. Dans le documentaire The Point, qui raconte son année loin des courts, elle ne cache pas avoir cherché à se replier dans sa bulle.

Juste après la conférence de presse, j'ai supprimé toutes les applis de réseaux sociaux sur mon téléphone. Pour me protéger contre le jugement des gens.

Maria Sharapova

dans le documentaire "The Point"

Les premiers jours, chacune de ses sorties tourne au calvaire : "Je me demandais si les gens savaient pour ma suspension, ce qu'ils pensaient de moi... Je me suis sentie toute petite, ce qui est très inhabituel pour une femme qui mesure 1,88 m."

Retour à zéro

La PME Sharapova garde le cap, même dans la tempête. Toute son équipe, le coach, le sparring-partner, le kiné... ont été conservés. Son entraîneur Sven Groeneveld aurait pu quitter le navire et retrouver un boulot dans l'heure, vu sa réputation. Il est resté. "Très vite après sa suspension, elle nous a dit : 'Je ne veux pas finir comme ça, je veux donner une autre image de moi. On va faire ça, ça et ça, et on repart", raconte son kiné français, Jérôme Bianchi, dans L'Equipe. Vous avez dit "obstinée" ? Rappelez-vous qu'elle s'est présentée à 7 ans sur le perron de Nick Bollettieri, l'homme qui a façonné Andre Agassi, sans être invitée et sans aucun plan B en cas de refus du coach de l'entraîner. 

La reconquête ne passe pas tout de suite par les courts. "Pendant les cinq ou six premiers mois, j’avais l’impression de passer tout mon temps avec les
avocats. C’était dur à vivre", confiera la Russe au Parisien Magazine. Objectif : réduire la suspension de deux ans en appel devant le Tribunal arbitral du sport. En septembre, elle parvient à ses fins et voit sa sanction réduite à 15 mois. Reste à gérer le vide, inhabituel après une carrière si bien remplie : "Après 15 ans de routine, 15 ans de certitudes et d'incertitudes [sur la météo, le comportement de la balle, etc.], plus rien, écrit-elle sur le site The Players Tribune. C'est très long et angoissant à la fois. J'avais l'impression de tout recommencer à zéro."

Régime, tourisme et alcool

L'hyperactive Sharapova va en profiter pour mettre son nez dans son business. Son nom, sa marque, constitue aussi une formidable machine à cash. La Russe est restée onze ans de suite la sportive la mieux payée au monde, essentiellement grâce à ses sponsors (80% de ses 30 millions gagnés en 2015). Le responsable des achats de la chaîne de supermarchés 7-Eleven aura la surprise d'avoir la championne suspendue début 2017 plusieurs fois au téléphone pour le convaincre de proposer ses sucreries "Sugarpova" dans son réseau, raconte Forbes. Elle met en scène sur les réseaux sociaux, forte de ses millions de followers qui continuent de la soutenir, son passage à Harvard pour un cours d'été sur le management et son stage éclair à la NBA. La presse, qui rapporte ses faits et gestes, se veut plus caustique. Le New York Post fait ainsi remarquer que juste après la fin du stage de Sharapova, la NBA a décidé d'interdire le meldonium, le médicament qui l'a fait tomber. 

Libérée de ses obligations de sportive, la championne en a aussi profité pour se faire plaisir. En faisant des voyages, par exemple : "Je connaissais Wimbledon, mais pas Londres". Ou en adoptant un régime alimentaire plus lâche : "L'année dernière, ma consommation d'alcool a dépassé tout ce que j'avais pu picoler dans ma vie entière, glisse-t-elle à Vogue. Tout simplement parce que j'ai enfin pu avoir une vie sociale." Un petit ami, plusieurs années après sa séparation de son boyfriend Grigor Dimitrov (lui aussi tennisman) ? Elle botte en touche devant le journaliste du Times : "J'ai eu des rencards avec des gens de tous les horizons (...). Mais si vous connaissez le type idéal, présentez-le moi, je cherche encore."

"Le tennis a besoin de toi, Maria"

Dans les médias aussi, Sharapova a su orchestrer son retour. Interview à Vogue pour se rappeler au bon souvenir du public américain, au Parisien quelques semaines avant Roland-Garros, au Times avant Wimbledon, un documentaire hagiographique produit par la société IMG, qui gère son image, une séance photos avec la prestigieuse photographe Annie Leibovitz pour rappeler son statut d'icône... Quelques semaines avant son retour, son agent de toujours glisse que cette pause forcée a sauvé sa carrière, permettant à son corps meurtri de panser ses blessures. Et comme, pendant ce temps, aucune joueuse n'a véritablement émergé et que Serena Williams est partie en congé maternité, le compte Twitter de l'ITF s'est fendu d'un "le tennis a besoin de toi, Maria !" Ce à quoi la joueuse française Alizé Cornet a aussitôt répondu : "Pardon ????"

Une réaction épidermique partagée par "99% des joueuses du circuit", confie l'une d'elle au New York Times. Dominika Cibulkova décrit la Russe comme une personne "détestable, arrogante, vaniteuse et froide." Certes, le circuit féminin est assez éloigné du monde des Bisounours – quand Monica Seles s'était fait poignarder, la majorité des joueuses ont refusé qu'elle bénéficie d'un classement protégé – mais Sharapova fait l'unanimité contre elle. Sans que ça la gêne : "Leurs remarques, c'est le cadet de mes soucis", lâche-t-elle au journal allemand Stern. Jérôme Bianchi se souvient lui avoir conseillé de "dire bonjour à droite à gauche" pour améliorer son image. Réponse de Sharapova : "Je ne peux pas. Si je deviens copine avec des joueuses, j'aurai du mal à jouer contre elles. Je me sers de ce levier pour trouver de la motivation." On parle d'une joueuse qui a comparé le fait d'entrer sur un court à "aller au bureau". 

Maria Sharapova lors de son retour sur les courts le 26 avril 2017, pour un match contre Roberta Vinci au tournoi de Stuttgart (Allemagne).  (ADAM PRETTY / BONGARTS / GETTY IMAGES)

Le retour sur les courts en avril est difficile, d'autant que n'ayant plus de classement mondial, elle doit obtenir des invitations par les organisateurs de plusieurs tournois pour jouer. Au programme : des éliminations prématurées, le refus de la Fédération française de lui accorder une invitation pour Roland-Garros, une blessure qui la prive de Wimbledon. Elle finit par voir le bout du tunnel avec une "wild-card" accordée par l'US Open, en échange d'un speech sur l'importance de la lutte contre le dopage aux espoirs américains. "J'en ai la chair de poule", tweete la championne. Un succès sur Simona Halep, la n°2 mondiale, dans une robe de cuir et de cristal qui a déchaîné les passions. "Quelqu'un qui s'habille comme ça sait pourquoi elle est là ce soir", observe l'ex-n°1 mondiale Chris Evert à la télé américaine. Ce n'est pas pour rien que Nike a débauché un directeur artistique de Givenchy pour lui dessiner des tenues. Un ultime artifice pour faire parler de son retour, avant la sortie de son livre Unstoppable qui coïncidera avec la fin de l'US Open. "Derrière cette robe, derrière ces paillettes, il y a une fille qui a du cran et qui n'est pas près de partir", glisse Sharapova. Message reçu cinq sur cinq.

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