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Ski alpin : pourquoi la France accueille peu d'étapes de Coupe du monde

A l’approche des fêtes, les stations de ski françaises sont vides. Et vont le rester jusqu'au 7 janvier minimum, avec la fermeture des remontées mécaniques. Mais d’eux d’entre elles vont vivre un week-end très animé : Val d’Isère et Courchevel. La première accueille une étape de coupe du monde masculine de ski alpin, et la seconde une étape féminine. Une parenthèse dans un hiver compliqué, mais aussi dans un circuit qui passe finalement peu par l’Hexagone. Quoique. 
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
La station de Val d'Isère

La France et le ski, c’est une relation qui glisse depuis plusieurs décennies maintenant. De toute l’Europe, et de tous les pays, les amateurs de poudreuse convergent chaque hiver vers les stations françaises toujours plus équipées. D’un point de vue loisirs, le ski a fait son trou dans l’Hexagone, mais pas d’un point de vue sportif. La preuve : en dépit de son réseau de stations de sports d’hiver qui fait pâlir le monde entier, la France est loin de ses voisins en terme d’organisation d’étapes des coupes du monde de ski. En la matière, elle figure au 5e rang entre 1967 et 2015 chez les hommes, derrière l’Autriche, la Suisse, l’Italie et les Etats-Unis, et au 4e chez les femmes derrière le même trio, mais devant le pays de l'oncle Sam. Alors pourquoi la France accueille moins d’épreuves que ses voisins malgré un réseau plus dense ?

Une question d'engouement

D’abord, c’est un problème culturel. Comparée aux autres pays alpins que sont la Suisse, l’Autriche et l’Italie, la France vibre beaucoup moins pour ses skieurs et skieuses. Les faibles audiences TV en attestent, tout comme le bilan sportif. Avec quatre gros globes de cristal (deux pour Jean-Claude Killy, un pour Luc Alphand et un pour Michèle Jacot), la France n’est que 8e au classement mondial, à des années-lumière de l’Autriche (34), la Suisse (19), les Etats-Unis (13) ou l’Italie (7). Sans rentrer dans le détail, le ski français peine à se faire une place au tableau d’honneur mondial. Ainsi, avec ses 30 victoires en coupe du monde, Alexis Pinturault n’est « que » 10e dans l’histoire, malgré son statut de numéro un tricolore. Bref, la France n’a pas la fibre ski, ce qui est loin d’être la seule explication.

D’ailleurs cela ne l’empêche pas d’accueillir plus d’étapes de coupe du monde que d’autres nations plus passionnées par les sports d’hiver (Norvège, Suède, Canada). La saison dernière, la France était ainsi la quatrième nation la plus visitée par la coupe du monde (toujours derrière l’Italie, l’Autriche et la Suisse), mais devant les pays scandinaves ou d’Amérique du Nord. Une tendance pas étonnante puisque la situation s’améliore pour les stations françaises, années après années. Mais au final, trois tirent vraiment leur épingle du jeu : Val d’Isère, Courchevel et Chamonix. Ce qui est peu au regard de la grosse vingtaine de stations qui ont déjà accueilli une étape. Pire, seule Val d’Isère est vraiment présente en continu depuis 65 ans maintenant : "Il y a eu un vrai engouement dès le départ pour organiser des compétitions, on est réputés pour assurer les courses, et il y a une vraie volonté d’accueillir des événements. On a aussi un savoir-faire tiré de cet héritage, de l’accueil des JO d’Albertville en 1992, des Mondiaux en 2009", avance ainsi Maïwenn Chloerec, du club des sports de Val d’Isère.

Dans la moyenne haute, la France n’égale pas ses voisins pour une autre raison : une stratégie différente. "Les trois quarts des étapes de coupe du monde organisées en France se font en décembre pour donner de la visibilité aux stations, et donner envie aux gens de skier. Ça permet la promotion du ski mais au final on en parle moins le reste de l’année", explique Laurent Chrétien de la Fédération Française de Ski (FFS). Il ajoute : "On n’arrive pas non plus à se positionner pour obtenir des courses de repli. Souvent quand une épreuve est annulée, elle est reportée en Italie. Or, la société qui détient la majeure partie des droits TV est italienne, et les deux race Director sont italiens. De là à voir un lien de cause à effet ? En tout cas, il y a une forme d’influence italienne". Ce qui est indéniable lorsque l’on voit le nombre d’étapes italiennes, pays le mieux servi par le calendrier.

Le calendrier, nœud du problème

Toutefois, la situation évolue et de nombreuses stations françaises attendent au portillon, prêtes à bondir sur l’occasion : "Il y a un renouveau d’intérêt des stations pour ces événements", apprécie Laurent Chrétien. Jusqu’ici concentrées sur le tourisme, les grands stations s’intéressent de plus en plus à la compétition, même si certaines se tournent vers d’autres disciplines comme Tignes avec les X Games de 2010 à 2014, ou Val Thorens plutôt portée sur le ski cross. Mais d’autres qui ont connu les joies de la coupe du monde veulent y regoûter, à l’image de Morzine-Avoriaz, selon le directeur du ski-club, Ludovic Maxit : "Le président souhaite accueillir une étape de coupe du monde. C’est le but. D’ici là il faut gravir les échelons, faire voir qu’on sait faire en coupe d’Europe, puis ensuite espérer prendre des places qui se libèrent. Il y en a peu, et on fait face à une forte concurrence entre stations françaises, et c’est difficile de déloger Val d’Isère, Chamonix et Courchevel".

Là est tout le problème : le nombre de place dans le calendrier. En somme les stations françaises n’ont pas moins envie, ou moins de moyens que leur concurrentes étrangères, mais la Fédération Internationale de Ski (FIS) doit composer pour ne pas frustrer tout le monde. "Le programme est chargé. C’est comme en vélo, il y a plein de courses classiques historiques", détaille Luc Alphand, qui poursuit : "Val d’Isère, Val Gardena, Garmisch, Wengen, Kitzbuhel, Bormio… On ne peut pas les enlever. De fait, depuis 40 ans, le calendrier est presque établi. Il y a peu de changements". Du côté de la FFS qui coordonne et pousse les candidatures françaises, Laurent Chrétien ajoute : "On atteint déjà environ 40 courses par an, au milieu desquelles il faut rajouter les championnats du monde, les JO tous les 4 ans. Quand on a fait tout ça… Les calendriers prévisionnels sont quasiment bouclés à 4 ans, ensuite ça peut encore bouger un peu à la marge".

La Coupe du monde pour sauver l'hiver ?

Restent alors de rares opportunités à saisir, quand une course est annulée (comme le week-end dernier à Val d’Isère), ou lorsque la FIS libère une ou deux places dans la saison. Ainsi, en 2022 Courchevel devrait accueillir une étape masculine qui servira de test à un an des Mondiaux dans la station. Mais pour arriver à ce statut, il faut d’abord faire ses preuves selon Luc Alphand : "La FIS va demander avant de faire des courses de 3e niveau, des coupes d’Europe, voir les championnats du monde junior. Une fois que tu as rempli le cahier des charges politiques, tu peux aussi postuler pour des courses de remplacement". Pour le vainqueur du globe de cristal 1997, "Il faut aussi une volonté locale. Une étape de coupe du monde, c’est un budget, pas mal de préparation, beaucoup de mains-d’œuvre, un centre de presse, des volontaires etc. C’est un gros budget". Des coûts auxquels s’ajoute cette année le protocole sanitaire, lourd à porter : "A Val d’Isère, on a beau avoir 65 ans d’histoire, cette année on est quasiment parti d’une feuille blanche pour tout assurer", témoigne Maïwenn Chloerec.

Ce long chemin de croix donc, ces coûts importants et cet investissement humain refroidiraient-ils des prétendants en France ? Peut-être, surtout dans un cas de figure précis : "Tout organiser pendant des mois, et tomber sur une mauvaise météo, c’est le truc le plus rageant. Une étape de coupe du monde c’est souvent fédérateur au niveau d’une station, ça réunit tous les corps de métiers, les hôteliers. Mais si la météo vient briser l’élan…", avance Alphand. Comme ce fut notamment le cas aux Arcs au début du siècle. Toutefois, le jeu en vaut la chandelle. "Au moment de l’événement, on ne gagne pas d'argent, le but c’est plutôt de ne pas en perdre", sourit Maïwen Chloerec. "Mais une étape de Coupe du monde, ce n’est pas un événement à but lucratif. Par contre c’est retransmis dans énormément de pays. L’intérêt premier c’est le rayonnement de la station à l’international et en France pour asseoir notre statut" ajoute-t-elle depuis Val d’Isère. Alors, forcément se pose la question : entre une étape annuelle de la coupe du monde de ski alpin, ou le tournage du cultissime Les Bronzés font du ski, qu’est-ce qui a le plus fait connaître Val d’Isère ? "Ah, ce sont différentes cibles (rires). La question serait plutôt : est-ce que les Bronzés auraient été tournés ailleurs si Val d’Isère n’était pas l’étape historique en France ?"

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