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Ski alpin : comment la Covid-19 a chamboulé la préparation estivale de l'équipe de France

Habituée depuis des années à passer une partie de l’été dans l’hémisphère sud pour préparer l’hiver, l’équipe de France de ski alpin a dû revoir ses plans cet été face à la pandémie de Covid-19. Entre débrouilles sur les glaciers français, conditions idéales puis embouteillages en Suisse et en Italie, retour sur une préparation estivale inhabituelle, mais réussie et appréciée par les skieurs français. De quoi donner des idées pour la suite.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
 

"Beaucoup de choses ont changé mais ça n’a pas été si problématique que cela. On s’est finalement bien adapté. Le nouveau programme était bien, je me sentais bien dedans", résume Alexis Pinturault. Un sentiment partagé par les autres membres de l’équipe de France de ski alpin, dont Tessa Worley : "On a skié en Europe, pas en hémisphère sud, mais on a eu des conditions super bonnes. Je me sens prête pour l’hiver". Si les deux têtes d’affiche du ski alpin français s’accordent, c’est effectivement que la préparation estivale des Bleus s’est étonnamment bien déroulée, malgré l’impossibilité de se rendre dans l’hémisphère sud sur de la neige d’hiver.

Un été en France

La réussite de cette préparation a commencé dès le confinement. Pour la première fois de leur carrière, les rois de la glisse ont pu déchausser pour de bon les skis, et se ressourcer. "Ça m’a permis de faire le bilan, de voir l’avenir, de trouver des solutions, de prendre du recul. On peut aussi profiter de ce qu’on a et vivre un peu plus au jour le jour, ce qu’on avait tendance à oublier avant la Covid. Ça m’a amené une forme de sérénité", analyse ainsi Pinturault. Pour Tessa Worley, touchée au genou la saison dernière, les bienfaits du confinement sont plutôt physiques : "Ça a permis à mon corps de récupérer. J’ai pu construire petit à petit ma force est mon endurance, toutes les petites choses qui manquaient à mon genou et que je n’arrivais pas à travailler".

Mais comme tout le monde, les skieuses et skieurs tricolores rêvaient des grands espaces, qu’ils ont retrouvés dès juin après une préparation physique amorcée lors du confinement, en "télétravail" : "On n’a pas coupé physiquement avec des vacances en mai comme d’habitude, ce qui finalement a permis de tout de suite travailler sur le physique. D’habitude on ne skiait pas en juin, on réattaquait par le physique, là on a pu skier dès juin et profiter des belles conditions sur les glaciers français", raconte Victor Muffat-Jeandet. "Le fait de revoir la nature, la neige, de reglisser, ça a été un vrai bonheur", avoue Tessa Worley, qui complète : "Pouvoir avoir des stages dans de bonnes conditions, ça n’était pas forcément évident. Il y avait beaucoup de contraintes. Dès qu’on était en stage, on était conscient de la chance qu’on avait, on en profitait un maximum". Et l’équipe de France a eu beaucoup de chance cet été, lors de ses séjours sur les glaciers de Val d’Isère, Tignes et des Deux Alpes.

Directeur des équipes de France masculine, David Chastan se félicite de cette préparation : "On repartait quasiment de zéro sans les stages en hémisphère sud, et au final, en quantité de journées de ski, on a eu beaucoup de chances avec la météo. On a vraiment eu une super situation d’entraînements, avec plusieurs pistes". Seul point noir de ces mois de juin et juillet passés sur les glaciers français : la neige. Ou plutôt la glace. Normal pour un été, mais pas idéal pour préparer l’hiver. "Ça a permis de travailler dans la répétition. Ce n’est pas la neige que j’aime le plus parce que ça va très vite, mais justement ça m’a permis de progresser", préfère relativiser Coralie Frasse-Sombret. "De toute façon, c’est pareil pour tout le monde", tranche Chastan. 

Des leçons pour l'avenir 

Si le début de l’été s’est très bien passé pour les tricolores, la situation s’est un peu compliquée à partir du mois d’août. Et pour cause : les glaciers français, moins hauts et moins bien exposés que ceux de Suisse ou d’Italie, ont commencé à tirer la langue avant leur fermeture à la fin des vacances. "Ça a toujours été comme ça. Sur Tignes, le glacier est très exposé au sud donc fatalement c’est déjà difficile de le maintenir tout l’été. À Val d’Isère, après le 14 juillet, il n’y a plus de neige, le glacier est bas. Les Deux Alpes, ça tourne tout l’été mais avec des étés chauds ils sont obligés de fermer pour des raisons de sécurité", explique David Chastan. Concrètement, les équipes de France ont ensuite dû se diriger vers les glaciers italiens et suisses, où les équipes nationales locales avaient logiquement la priorité.

De quoi regretter l’hémisphère sud, et les magnifiques courbes d'Ushuaïa, normalement privilégiées à cette époque de l’année par les tricolores ? Pas forcément. "Ça change nos habitudes. Je suis toujours partie en hémisphère sud. Il y a des avantages dans les deux cas. On a bien géré la situation. Ça a été très bénéfique", tranche Romane Miradoli. Victor Muffat-Jeandet va lui plus loin : "Je suis très content et très épanoui de ma préparation. Ça m’a fait du bien de rester à la maison et de ne pas aller dans l’hémisphère sud. Au bout de dix ans, il y avait un peu de lassitude. Là, en étant proche de la maison, on a par exemple eu beaucoup plus de suivi sur le matériel, un bon travail physique". Un sentiment globalement partagé par tous les poids lourds des Bleus, et compris par David Chastan : "Quand vous allez 15 ans au même endroit, à la même époque, involontairement, ça use. Là, ça a cassé leurs habitudes et ça a apporté une fraîcheur psychologique, ça peut être intéressant pour cet hiver".

Fort de ses enseignements, le staff des Bleus peut-il dès lors envisager de réitérer cette préparation en France ? "On a très bien travaillé en Europe, on pourra peut-être faire un bilan de notre prépa mais l’hémisphère sud, on ira toujours. On a beaucoup progressé grâce à ça, il ne faut pas l’oublier. Après, pour des garçons qui ont beaucoup d’expérience, il y a peut-être moins besoin d’aller faire les stages exigeants qu’on peut faire dans l’hémisphère sud. Eux peuvent plus facilement se préparer dans les Alpes", glisse David Chastan, qui précise : "L’année dernière, les Suisses ne sont pas partis en hémisphère sud et font leur meilleure saison derrière. Sauf qu’ils ont un confort de travail, et des facilités d’entraînements qu’on n’a pas ici, comme les hélicoptères, les glaciers privatisés, etc... Si on avait tout ça, on resterait peut-être plus". En attendant, sans hélicoptères, mais avec ses trois glaciers, l’équipe de France de ski alpin a su rebondir et faire une préparation estivale quasi normale, loin de ses habitudes au Chili et en Argentine. Ce qui relève déjà de l’exploit.

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