Alexis Pinturault, "l’animal" est devenu géant
La « graine de champion », elle ne s’apprend pas ou n’arrive pas comme ça, comme un flocon venu du ciel. Elle est innée. Souvent rarissime. La performance, elle provient à la fois du talent brut du sportif, puis évidemment de sa capacité à fournir des efforts intenses, grâce à des entraînements répétés, adaptés puis enfin une préparation mentale qui dépasse clairement une grande majorité des Hommes. Dans le cas du sport de très haut niveau, en professionnel notamment, le dépassement de soi, un état de transe total, semble évident ou facile à atteindre. Détrompez-vous, c’est un don. Alexis Pinturault, 25 ans, en parle à sa façon, comme si de rien n’était : « au moment de l’épreuve, je suis assez décontracté. Mais lorsque qu’il faut y aller, à une minute du départ, alors-là, c’est l’animal qui ressort. »
Un prédateur à la chasse du chrono
Attention, cet animal-là est une espèce très rare. Il aime « prendre des risques, tout envoyer » sur la piste tel un prédateur à la traque de son gibier, tentant alors de s’enfuir et éviter les pins qui se dressent sur sa route. « Au risque de tout perdre, mais au final c’est comme ça que l’on gagne », esquisse-t-il malicieusement. Avec le Savoyard, le gibier se fait souvent rattraper. Il adore et sait chasser le chrono pour gagner. Le patron du ski alpin français, David Chastan, l’affirme aussi : « Alexis sait très bien où il veut aller. C’est un garçon ambitieux, professionnel, qui se donne tous les moyens pour gagner. Il a tout pour bien faire. »
Un caractère de compétiteur qui se complète bien avec cette « décontraction naturelle » qui le définit. Trop parfois ? Pas vraiment lorsque l’on s’intéresse à son palmarès bien rempli, et pourtant : « on ne dirait pas mais c’est quelqu’un de tête en l’air. On arrivait sur le site de la course, puis on s’apercevait qu’Alexis n’avait pas de bâtons. C’est embêtant » nous confie alors David Chastan, un brin chambreur. Le skieur français, réaliste visiblement, se marre un bon coup mais ne se démonte pas pour autant : « en effet, j’ai tendance à parfois oublier les choses, régulièrement même. Je ne pense pas forcément aux choses principales au moment où je dois le faire. » Les victoires ne font évidemment pas partie de ces fameuses « choses principales ». Certes, il « aime rigoler, être déconneur », mais la finalité demeure la même : exulter, puis lever les bras sur le parvis d’arrivée.
Animal blessé, animal dangereux
Comment réagit une bête blessée, vexée et finalement revancharde ? En général, s’y frotter expose à plusieurs risques… Marcel Hirscher et Ted Ligety peuvent témoigner d’ailleurs. La saison dernière, Alexis Pinturault ratait complètement sa première partie de saison. Une blessure pesante (une commotion à Beaver Creek début décembre 2015), une confiance en berne ou encore beaucoup de fatigue, bref, le skieur de Courchevel ne retrouvait pas ses repères habituels : « je prenais des tartines car plusieurs choses n’allaient pas. Après la commotion, j’ai mis beaucoup de temps à revenir, je me sentais épuisé. L’envie s’en allait et quand il n’y a plus d’envie, il y a moins de mordant et cela devient compliqué, j’ai dû faire le dos rond. »
C’est donc en janvier dernier que « l’animal » sort de son hibernation… « Grâce au travail surtout, au repos, et à l’apport de ses proches », le natif de Moûtiers retrouve les places d’honneur (5e et 6e des Géants d’Alta Badia) avant le succès à Kitzbuhel en Combiné, discipline où il remporte deux mois plus tard le petit Globe. Point de départ de sa résurrection, Kiztbuhel présageait de nouveaux triomphes, et de quelle manière ! Alexis Pinturault rentre alors dans la cours des immenses champions, des skieurs d’exception en remportant quatre Géants consécutifs en février.
Il devient « l’animal » à abattre en fin de saison. Et quand il raconte cette période faste, son sourire fait des jaloux et des étoiles scintillent dans ses yeux : « après la quatrième victoire, on me dit « que c’est vraiment impressionnant » puisque je rejoins le cercle des Ted Ligety, Marcel Hirscher, Jean-Claude Killy… Bref, les plus grands géantistes de l’histoire… On me dit clairement « que je rentre dans ce milieu-là ». Cela fait automatiquement plaisir mais je savais que le lendemain, j’avais une autre course donc il fallait prendre du recul, rester calme et vigilant. » Conscient de son exploit, mais lucide. Voilà comment sa "décontraction naturelle" lui permet de réaliser des prouesses. Maintenant, une question se pose, comment battre Marcel Hirscher et attraper le plus beau des gibiers ?
La traque du Globe
« L’expérience de la saison dernière, le rebond de champion qu’il a pu avoir et la régularité des performances dont il a fait preuve, voilà des éléments qui montrent qu’Alexis peut être plus performant cette année. » David Chastan reste prudent mais confiant lorsqu'on lui demande si son poulain pourra rivaliser avec le monstre autrichien dans la quête du Globe de Cristal ou du titre mondial. Le Savoyard croit aussi en lui et sait sur quoi il devra s'appuyer : « si on considère que je suis capable de retranscrire le niveau que j’affichais en fin de saison dernière durant toute l’année, alors oui, c’est possible de battre Marcel. » Le combat commence dès dimanche. Comme le commente si bien Alex Boyon, les « fauves seront lâchés » à Sölden où il avait pris l’an passé la 5e place pendant que Ligety s’imposait devant Fanara et Hirscher.
Avec six victoires (deux en Combiné et quatre en Géant) de janvier à mars 2016 et une troisième place finale au général pour la troisième année consécutive, Alexis Pinturault se présente clairement comme l’un des géants du ski alpin mondial. Il lui faut désormais de nouvelles cordes à son arc, déjà bien fourni, pour atteindre le graal. Chastan a peut-être la solution : « il devra s’appuyer sur la répétition des victoires. Il a pris conscience de ce qu’il était capable de faire, notamment battre Marcel Hirscher plusieurs fois, pas qu’une fois ici et là… » Voilà une bien belle façon de provoquer « l’animal » de Courchevel. Si tenter de battre le quintuple détenteur du Globe de Cristal est une chose, il lui faudra d’abord se révéler en Slalom où il reste performant mais pas encore tranchant, avec aucun podium l’an passé. Sa marge de progression reste donc importante et c’est bien ça qui, un jour, pourrait faire pencher la balance en sa faveur.
Alexis Pinturault s’apprête à vivre une nouvelle saison aussi exaltante qu’éprouvante. Les défis sont immenses. Les enjeux sont encore plus fous. Si pour lui, la ligne de conduite reste la même, « il faudra juste tout envoyer à chaque course, quitte à sortir, mais prendre tous les risques », la tâche s’annonce aussi ardue qu’excitante. Aux côtés des Hirscher, Kristoffersen, Jansrud et Svindal, c’est une meute de loups enragés qui traquent le même gibier. Reste à savoir si Alexis peut en devenir le chef.
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