Témoignage franceinfo Gabriella Papadakis : "Je pense avoir été en burn out pendant longtemps mais ça va beaucoup mieux"

Article rédigé par Quentin Ramelet, franceinfo: sport - Envoyé spécial à Montréal (Canada)
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13 min
La championne olympique française de danse sur glace, Gabriella Papadakis, pose lors d'une séance photos, le 23 février 2022. (JOEL SAGET / AFP)
La championne olympique de danse sur glace, toujours en pause de compétitions avec son partenaire Guillaume Cizeron, s'est longuement confiée à franceinfo: sport.

Des championnats du monde de patinage artistique, à Montréal, au Canada, sans Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, il faut l'avouer, "ça fait bizarre". De leurs propres aveux, d'ailleurs. En marge de la compétition (du 18 au 24 mars), franceinfo: sport a pu s'entretenir longuement, dans un restaurant paisible du centre-ville, avec la championne olympique tricolore, domiciliée à Montréal depuis 2014, et toujours en retrait des compétitions depuis la fin de saison 2022.

S'ils n'ont toujours pas pris leur décision quant à un potentiel retour à la compétition, les Clermontois n'ont pour autant pas chômé ces 18 derniers mois, entre les galas et les spectacles un peu partout dans le monde. Une vie toujours aussi rythmée par la danse sur glace, leur discipline, mais finalement loin du "monde systémique et malsain" du patinage, que dénonce avec courage Gabriella Papadakis, qui lutte encore avec certains démons de son passé.

Franceinfo: sport : Gabriella, depuis presque deux ans et l'annonce de votre pause, en quoi votre vie et votre quotidien ont-ils changé ?

Gabriella Papadakis : On a été assez peu à Montréal. On a voyagé beaucoup plus qu'on ne l'avait jamais fait, même si on voyageait déjà beaucoup. Mais c'était chouette de faire des voyages, et d'être plus libres. Toute notre vie, on a tellement été habitués à n'avoir quasiment pas de vacances... Là, on a eu plus de liberté, plus d'autonomie, et moins de cadre. Je trouve que le sport de haut niveau te permet et te force à grandir très vite sur certains aspects, mais en même temps, ça te garde dans une sorte de petite bulle d'adolescence permanente. Parce que tu es encadré, tu as des coachs, des choses à faire quotidiennement. Cette pause m'a permis de prendre un peu de distance, de recul, juste de manière saine, pour m'individualiser davantage. Pour penser à moi.

"Pendant plus de huit ans, ma vie n'avait pas changé. Ce qui était très nouveau, très adulte à 19 ans, eh bien à 27, ça l'est beaucoup moins !"

Gabriella Papadakis, championne olympique de danse sur glace

à franceinfo: sport

Pendant combien de temps n'êtes-vous plus montée sur la glace à la suite de l'annonce de votre pause ?

Je ne sais pas précisément, je dirais deux mois environ. C'était la première fois de ma vie... Et c'était génial ! [Elle éclate de rire] Il y a aussi le fait qu'à Montréal, et au Canada, la santé mentale est un sujet beaucoup moins tabou qu'en France et ça, c'est vraiment bien.

Justement, durant votre carrière, dans le milieu du patinage artistique, avez-vous la sensation d'avoir été bien accompagnée sur cet aspect ?

[Long silence] Non ! Pas du tout ! [Elle éclate de rire nerveusement] Non, non et non ! Je trouve que dans le sport - et il y a de plus en plus de gens qui le disent -, on priorise tellement la performance qu'on oublie le bien-être des gens. On se dit : "Parce que c'est du sport, on oublie." Je crois qu'il faut revoir cette manière de penser dans le patinage. On pense trop : "On s'en fout si tu n'es pas bien, tant que tu as des médailles... Et si tu as des médailles, tu seras heureuse." Mais non !

Vous n'avez pas été heureuse pendant votre carrière ?

Qui a été heureux toute sa vie ? Ce serait trop facile, et on a tous nos merdes dans la vie.

On sent que vous êtes particulièrement remontée, voire agacée, face à la situation et au système actuel dans le milieu du patinage artistique... 

Le problème, c'est qu'on autorise, qu'on accepte et qu'on normalise quand même beaucoup de violences. Et on pense que les résultats vont juste les effacer ou les annuler, ou permettre de tout pardonner. Alors que non ! Moi, je crois sincèrement que ces violences ne sont absolument pas nécessaires à la réussite. Il reste beaucoup de problèmes systémiques même s'il y a du mieux, et que ça évolue énormément.

De plus en plus de grandes championnes ou champions s'expriment sur leur mal-être et même sur leur dépression qui a pu surgir après le succès... Est-ce que vous avez eu, vous aussi, cette sensation d'avoir été rattrapée à un moment donné par un surplus psychologique et émotionnel ?

Oui. [Elle fait une pause et se reprend] C'est comme si tous les trucs que j'avais ignorés - et que j'avais mis dans des petites boîtes toute ma carrière -, étaient ressortis.

"J'étais dans le déni. Je ne m'en rendais pas compte car c'était provoqué par des choses qui sont normalisées autour de moi. Et je me suis dit : 'Allez ! On continue, on continue, on continue !' Et à un moment, bam ! J'ai frappé le mur."

Gabriella Papadakis

à franceinfo: sport

Ça a commencé un peu avant le Covid, puis ça a vraiment frappé pendant la pandémie. D'un coup, je me retrouvais toute seule. Je n'avais pas de compétition, il n'y avait pas d'adrénaline, rien. Plus rien. D'un coup, bam ! Tu te regardes dans le miroir, et tu te dis qu'il va falloir régler certaines choses.

Comment avez-vous fait pour tenir alors que vous êtiez en pleine préparation pour les Jeux olympiques de Pékin [février 2022] ?

Honnêtement, je pense que je n'ai pas fait grand-chose [pour aller mieux] avant les Jeux. Je sentais que c'était très existentiel, sur beaucoup de mes réalisations et sur le travail [thérapeutique] à faire. Je pense qu'une partie dans mon cerveau me disait : "Si je fais ça avant les Jeux, je ne vais plus pouvoir aller m'entraîner, et je vais être dégoûtée de tout." Mais c'est normal, car la thérapie, c'est toujours comme ça : ça va d'abord encore plus mal avant d'aller mieux.

Qu'est-ce qui vous a permis d'aller au bout ?

J'ai assumé le déni, je me suis dit : "On met des œillères et on y va !" Mais je ne savais pas de quoi j'étais dans le déni.

La championne olympique française de danse sur glace, Gabriella Papadakis, pose avec sa médaille d'or olympique, le 23 février 2022. (JOEL SAGET / AFP)

A ce moment-là, vous ne vous demandez pas quelles conséquences tout ça pourrait avoir sur vous ?

Non, parce que j'avais tellement envie d'avoir ma médaille. Je me suis dit : "Allez, on y va quoi !" Et je ne le regrette pas du tout.

Cette médaille d'or peut-elle tout justifier dans ce cas ?

Non, ce n'est pas qu'elle justifie tout, mais au moins il y a cette médaille, et c'est très cool. Cela permet aussi de finir sur quelque chose de beau, avant d'aller fouiller dans le passé, et dans toutes les merdes. Après, je ne veux pas dire que je n'ai vécu que des merdes et que ma carrière est horrible. Non, bien sûr que non. Ce n'est pas du tout le cas, mais c'est bien d'en parler. En plus, je dirais que la plus grosse de mes peines, c'était de me sentir seule, outre évidemment mes plus proches et mon partenaire.

"J'avais l'impression d'être la seule à voir qu'il y avait des choses qui n'allaient pas, qui m'ont blessée, qui ont été un peu malsaines dans le passé, et dont je garde encore des séquelles."

Gabriella Papadakis

à franceinfo: sport

Quand j'en ai parlé à plein de proches, surtout à des femmes patineuses, tout le monde m'a dit : "Oui, après ma carrière, ça m'a pris aussi. Même si ma carrière était très belle, ça m'a pris des années à faire la paix avec certaines choses."

Ces problèmes que vous évoquez, voulez-vous justement en parler aujourd'hui ?

Je ne sais pas. [Elle réfléchit longuement] Il y a certaines choses que je n'ai pas envie d'évoquer, mais, par exemple, tout ce qu'il s'est passé ces dernières années avec l'affaire Sarah Abitbol... Même si ensuite, cela a été merveilleux, parce que ça a changé beaucoup de choses et que ça a permis aux gens de sortir un peu du déni. C'est sûr que ça m'a permis également de sortir du déni. D'un coup, je me suis dit : "Ah ouais, en fait, c'était un climat."

Et avec le recul, ce "climat", vous l'aviez ressenti quand vous êtiez plus jeune ?

Oui, mais c'était tellement normalisé... [Elle coupe et se reprend] C'était tellement normalisé que je ne m'en rendais pas compte. En fait, petit à petit, tu grandis, le temps passe, et tu entends des histoires comme ça. Tu te dis que ce n'est pas si normal que ça, finalement. Et peut-être que j'ai plus de séquelles que ce que je pensais.

C'est-à-dire ?

Il est important de comprendre que ce ne sont pas des actes isolés, ni des personnes isolées. C'est un climat. Moi, par exemple, quand je partais en tournée, j'avais entre 16 et 18 ans. On partait en tournée avec Gilles Beyer [qui a été accusé de viol par Sarah Abitbol] quoi ! Qui était bourré, qui nous faisait des commentaires toute la journée, et qui rentrait dans les vestiaires quand on se changeait. On en riait parce qu'on ne savait pas quoi faire. Il n'y avait pas d'autres issues. Tout le monde trouvait ça normal, et tout le monde faisait comme si c'était normal. Donc oui, c'est un climat.

"Une autre fois, par exemple, et je ne sais même pas si j'étais majeure, un commentateur de la télé me dit qu'il voudrait être au lit avec moi, puis fait d'autres commentaires comme ça, sur mon corps. Ce qui me fait le plus de mal, ce ne sont pas les actes en eux-mêmes, mais la façon dont c'est normalisé."

Gabriella Papadakis

à franceinfo: sport

Tu regardes autour, et tu vois que les gens s'en foutent. Moi, je voyais... [Elle fait une pause] Je voyais Gilles [Beyer], clairement... Ce n'était pas l'ampleur de ce qu'a décrit Sarah Abitbol. Je n'ai pas assisté à des choses de ce niveau-là, mais quand même, c'était des choses très problématiques. On savait déjà qu'il avait un passé d'abus, et qu'il s'occupait de jeunes comme si de rien n'était. Au final, tu grandis en te disant à toi-même : "Je n'ai aucune importance." C'est dur. Très dur. Et tu ne t'en rends pas compte en plus. Moi, évidemment que je ne me suis pas dit ça à cette époque-là. Mais, maintenant, je me rends compte que je me suis formée dans ce sport en ayant ce sentiment-là.

Vous en prenez donc conscience durant le Covid. Est-ce à ce moment-là que vous comprenez que vous êtes en train de faire un burn out ?

Je pense que j'étais en burn out depuis longtemps. Et je suis restée en burn out. Aujourd'hui, ça va beaucoup mieux, parce que c'était un travail [thérapeutique] que je ne pouvais pas faire pendant que je patinais. Je ne pouvais pas affronter toutes ces choses-là alors que j'allais à la patinoire tous les jours. D'où le break. Ce n'était pas la seule raison, mais ça en fait partie. Il fallait que je le fasse, et je suis contente de l'avoir fait, car ça m'a permis de comprendre pourquoi j'étais de moins en moins motivée, et de plus en plus démoralisée.

"C'est démoralisant de te rendre compte que les gens n'en ont rien à foutre de ton bien-être ! Il y a trop de mauvaises personnes autour de nous. C'est une culture qui autorise ça."

Gabriella Papadakis

à franceinfo: sport

On le voit encore, c'est difficile de s'exprimer. Désormais, moi j'arrive à trouver de la force avec d'autres gens, avec mes proches, etc. Mais on le voit, les témoignages des victimes sont encore tellement mal accueillis. C'est difficile à vivre, c'est surréaliste. Quand je vois le nombre de gens qui ont vécu des trucs horribles et qui savent qu'ils ne parleront jamais, parce qu'ils savent que ça ne sera jamais pris au sérieux... Il y a quelque chose de très démoralisant là-dedans. Donc oui... [Elle cherche ses mots] Honnêtement, j'avais besoin d'un break.

"Le meilleur truc que j'ai fait dans ma vie, c'est de commencer la thérapie"

Aujourd'hui, comment vous sentez-vous par rapport à tout cela ?

Comment dire ? Je pense que c'est un processus qui prend longtemps. Puis, cela ne sera jamais fini. Toutes les personnes qui suivent une thérapie le savent, il n'y a pas vraiment de fin. En tout cas, moi, le meilleur truc que j'ai fait dans ma vie, c'est de commencer la thérapie.

Finalement, quel a été le déclic chez vous pour vous décider à aller consulter un thérapeute ?

J'avais commencé un peu avant [les Jeux de Pékin 2022], mais j'avais du mal à trouver des thérapeutes qui me convenaient.

"De toute façon, je crois que mon déni était tellement fort qu'inconsciemment, je savais que si j'ouvrais la boîte de Pandore, je n'irais jamais jusqu'aux Jeux olympiques. Quand tu as une partie de toi qui ne veut pas, tu peux avoir les meilleurs psys du monde, ça ne sert à rien."

Gabriella Papadakis, quintuple championne du monde danse sur glace

à franceinfo: sport

C'est vraiment arrivé après les Jeux, un petit moment après l'annonce de notre pause. Cela faisait quand même quelques années que j'avais les mêmes difficultés. Une amie avait suivi un processus thérapeutique et ça lui avait fait énormément de bien. J'avais vraiment vu la différence entre l'avant et l'après. C'est là que je me suis dit : "Moi aussi, je veux ça."

Je me rends compte aujourd'hui que d'avoir été suivie par une personne extérieure au monde du sport m'a fait beaucoup de bien. Cela m'a aidé à "dénormaliser" des choses qui, en réalité, m'avaient fait souffrir. Pour pouvoir se dire : "Ca, ce n'était pas normal, ce n'était pas acceptable." Je suis allée voir le même thérapeute que mon amie, mais ça a pris des semaines. Et c'est drôle, car c'est lors de la dernière séance qu'il y a eu "le truc". Du moins, celle où je m'étais dit : "S'il n'y a pas LE truc au terme de celle-ci, j'arrête tout !". Comme quoi, c'est fou.

Enfin, d'ici cinq à dix ans, où vous voyez-vous sur les plans professionnel et personnel ?

Dans le futur lointain, j'ai plein d'idées... [Elle rigole puis réfléchit] On verra ce qui se concrétisera. D'abord j'ai envie de continuer à apporter des choses positives au patinage. Le faire davantage. J'aimerais faire partie du changement et de faire ce que je peux pour que le monde du patinage continue d'évoluer de manière positive car je sais que la fédération se concentre beaucoup à réparer les choses du passé et fait en sorte que ça devienne un milieu le plus sain possible.

Puis après j'ai envie d'apprendre plein de choses, de m'amuser, de continuer à patiner quand même longtemps. [Rires] Peut-être dans mes propres spectacles ? Explorer moi-même ma pratique. J'aimerais aussi faire des choses dans d'autres milieux artistiques, quitte à les joindre au patinage. L'écriture, le théâtre, la musique que j'aime beaucoup. J'ai envie un peu de mélanger toutes mes passions.

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