Fart au fluor dans le milieu du ski nordique : "un poison dit éternel, que le corps ne peut pas évacuer", révèle une enquête de l'Equipe Explore
La cellule investigation du journal l'Equipe publie mercredi 10 novembre une enquête sur le fart, substance "extrêmement dangereuse" utilisée pour améliorer la glisse des skis.
Aurélien Delfosse, rédacteur en chef de L'Équipe Explore, met en garde sur franceinfo sur la dangerosité du fluor, un composant utilisé dans le milieu du ski, "ce composé chimique est un poison dit éternel puisque ni le corps, ni l'environnement ne savent comment s'en débarrasser." La cellule investigation du journal l'Equipe publie mercredi 10 novembre une enquête sur le fart, substance utilisée pour améliorer la glisse des skis, qui pourrait avoir contaminé des milliers de professionnels du secteur.
franceinfo : Dans votre enquête, on comprend que le fluor était une substance géniale pour la glisse mais qu'elle était surtout dangereuse ?
Aurélien Delfosse : C'est même extrêmement dangereux. Il y a des entreprises de pétrochimie qui ont développé ce produit au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Comme un peu partout, le pétrole s'est invité dans le ski. Ce composé chimique est un poison dit éternel puisque ni le corps, ni l'environnement ne savent comment s'en débarrasser. Cela veut dire qu'une fois que vous l'avez en vous, le corps n'est pas capable de l'évacuer, ni par l'urine, ni par rien d'autre. Vous en avez de plus en plus à mesure que vous en manipulez, et vous pouvez développer des pathologies qui sont de plus en plus renseignées. Le problème, c'est que l'on ne savait pas pendant de nombreuses années qu'elles étaient les conséquences de cette manipulation. On notait bien du côté des préparateurs ski, des odeurs un peu particulières, quelques effets secondaires comme des maux de tête. Mais sur le long terme on ne savait pas ce que cela entraînait.
Comment se passe le fartage et comment ces produits chimiques sont-ils utilisés ?
Il faut déjà rassurer tout le monde. Ce n'est pas parce que vous allez faire du ski une fois par an, et que vous allez louer des skis, que vous êtes contaminés par le fluor. Le fluor s'utilise principalement en ski nordique, puisqu'on est censé monter ou se déplacer sur du plat. On en mettra moins lorsqu'il s'agit de descendre.
"Le fluor est une substance hydrophobe qui limite le frottement avec la neige et qui permet d'avancer plus rapidement."
Aurélien Delfosse, rédacteur en chef de L'Équipe Exploreà franceinfo
Il n'y en a pas partout, sur tous les skis. Et puis tous les farts ne contiennent pas de fluor. On en met surtout en compétition. On a un chapitre de notre enquête qui s'appelle "pour quelques secondes de moins", c'est cela le fluor en réalité. Les gens que nous avons rencontrés nous parlent d'un produit magique, et même addictif dans le sens où une fois que vous avez skié avec du fluor, vous avez beaucoup de mal à vous en passer parce que les sensations que vous éprouvez sont incomparables avec les sensations de glisse sans fluor. Ce fluor se présente sous plusieurs formes. Cela existe en cire, que l'on fait fondre au-dessus du ski pour faire une sorte de premier revêtement. Après, on peut aller encore beaucoup plus loin et y mettre une forme de poudre que l'on va chauffer avec un fer pour l'appliquer sur la spatule du ski. C'est d'ailleurs pendant cette opération de chauffe, à 150 à 200 degrés, qu'il devient très dangereux.
Le danger peut être dans l'air inspiré par les personnes qu'ils l'ont appliqué ?
On peut faire un parallèle avec le Covid-19, le virus ne se voit pas et peut se déposer partout. Le fluor, c'est la même chose, il va se déposer absolument partout. Si vous avez un paquet de cigarettes qui est de l'autre côté de la pièce, il y aura du fluor sur ces cigarettes. Quand vous allez sortir pour fumer vos cigarettes, vous allez inhaler du fluor à haute température, puisque passé par la cigarette, et plus le fluor est chauffé, plus il est dangereux. Pour ce qui est des effets sur le long terme, il est très compliqué lorsque l'on parle de produits chimiques de faire un lien extrêmement direct, notamment lorsqu'ils sont produits par des énormes groupes [industriels] qui ont toute une ribambelle d'avocats, et de très bonnes raisons de fabriquer ces produits. Il y a des concomitances que l'on fait apparaître dans cette enquête entre des utilisations très poussées de ces produits et des malaises qui peuvent intervenir. On a rencontré un ancien entraîneur de l'équipe de France de ski de fond qui, à la suite d'une nuit où il a farté une centaine de paires de skis pour ses skieurs, a fait un AVC et depuis, il a encore des difficultés à parler. Il y a aussi des Norvégiens qui ont contracté des nausées, qui ont fait des malaises. Quand vous chauffez le fluor, il peut occasionner ce que l'on appelle "une fièvre des polymères". Cette fièvre se présente exactement comme une grippe, vous avez le nez qui coule, vous avez mal à la tête pendant plusieurs jours, mal à la gorge. En fait, vous êtes contaminés au fluor. Barbara Demeneix, l'une des plus grandes spécialistes des PFAS, le nom des substances perfluorées, a fait des études sur le PFAS, et elle ne savait pas qu'il était utilisé dans le ski. Cela entraîne des fausses couches, des cancers, des malformations. Des choses dont on connaît donc les effets, mais on ne savait pas forcément que l'on pouvait les retrouver dans cette communauté du ski, notamment parce qu'on va chauffer cette matière.
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