Témoignages "Le sport ne veut pas de nous" : pourquoi les personnes grosses se heurtent à un parcours du combattant pour pratiquer une activité physique

Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La pratique du sport en club ou en salle est souvent source d'humiliation et de moqueries pour les personnes en surpoids. (FRANCEINFO / ASTRID AMADIEU)
Matériel inadapté, critères de performance excluant, préjugés, moqueries, autocensure... Les multiples manifestations de la grossophobie érigent des barrières à l'accès aux sports face auxquelles des collectifs s'organisent.

"À la salle de sport, à la piscine, je passe à peine dans le tourniquet à l'entrée. C'est humiliant..." Pelphine, 33 ans, aime aller nager ou faire une séance à la salle de sport, mais des obstacles se dressent sur son chemin avant même d'atteindre le bassin ou les machines. "Il y a cette idée reçue, selon laquelle les personnes grosses ne veulent pas faire de sport, mais c'est le sport qui ne veut pas de nous", dénonce-t-elle. Déterminée, cette Française de 33 ans installée à Bruxelles a cofondé Fat Friendly, une association de lutte contre la grossophobie. Fat Friendly cartographie notamment les lieux accessibles ou non pour les corps gros. Le but : partager leurs expériences, recenser les lieux inadaptés et s'épargner perte de temps et humiliation.

"On ne me croit pas quand je dis que je fais du running"

Car une fois le portique et les cabines passés, Alina Constantin évoque d'autres barrières. "J'ai mis des tapis en dysfonctionnement à la salle de sport", raconte la présidente du conseil patients de la Ligue nationale contre l'obésité. Et là encore, ce même sentiment : "C'est très humiliant." Pour éviter ces situations, reste le sport à la maison, mais encore faut-il en avoir les moyens. Les tapis de course les moins chers coûtent autour de 400 euros et ne supportent souvent pas plus de 100 kg. Une machine adaptée à un poids de corps de 140 à 150 kg peut coûter deux à trois fois plus.

Et au-delà de la question du matériel inadapté, des critères de performance ferment souvent la porte aux personnes grosses. Steffie, 34 ans, qui participe à des courses de 4 à 20 km depuis 2015, n'est pas assez rapide pour participer à la quasi-totalité des marathons et semi-marathons, qui fixent une limite dans le temps pour finir la course. "J'ai trouvé une discipline sportive qui me fait plaisir, mais je ne peux pas participer", regrette celle qui aime ressentir l'émulation d'une course collective.

"Ça va à l'encontre du fait qu'on nous rabâche qu'il faut qu'on fasse du sport."

Steffie, joggeuse

à franceinfo

Pour son 32e anniversaire, le 2 juillet 2022, la jeune femme s'est offert son propre semi-marathon. "Je l'ai appelé le Semi-marathon des exceptions", raconte-t-elle. La trentenaire a ouvert un compte Instagram, où elle documente sa passion pour la course à pied, et ne compte pas s'arrêter là. "Cette année, comme c'est une année olympique, j'ai prévu d'organiser quatre semi-marathons", ajoute-t-elle. Malgré cet engagement, "il m'arrive souvent qu'on ne me croie pas quand je rencontre quelqu'un et que je dis que je fais du running", raconte Steffie.

"Il y a des préjugés très forts sur l'obésité"

Des moqueries et même des insultes que Gaëlle Prudencio, "entrepreneure body positive" aux plus de 90 000 abonnés sur Instagram, connaît bien. "J'ai fait une vidéo sur le fait de faire du sport quand on est grosse. Je m'y attendais mais les commentaires étaient terribles", se désole-t-elle.

"Faire du sport en public, c'est se confronter au regard des autres. En tant que personnes grosses, on traîne souvent beaucoup de traumas qui rendent ça difficile."

Gaëlle Prudencio, influenceuse

à franceinfo

"Il y a un préjugé très fort dans la société que l'obésité est liée à un manque de volonté, alors que l'obésité est régie par une multitude de facteurs", observe Alice Bellicha, enseignante-chercheuse à l'université Sorbonne Paris Nord, spécialiste de l'alimentation et de l'activité physique. Selon cette diététicienne, c'est cette idée que les personnes grosses le sont par manque de volonté qui sert d'excuse à leur discrimination dans la société. "Il y a toujours des gens pour penser que c'est en les stigmatisant qu'on va les pousser à perdre du poids."

"On observe que les personnes qui ont vécu des stigmatisations prennent plus de poids et font moins d'activité physique. C'est contre-productif."

Alice Bellicha, chercheuse

à franceinfo

Pour elle, "toute activité physique a des bénéfices, même si on ne perd pas de poids".

"On développe des stratégies pour éviter les moqueries"

"On se moque des gros quand ils ne font pas de sport, mais quand on fait du sport, on reçoit encore des moqueries", soupire David Venkatapen, 48 ans, mannequin grande taille et militant contre la grossophobie. Pour échapper aux regards, Lisa, 46 ans, animatrice de l'émission "MonGrosPodcast", s'est longtemps cachée, autocensurée. "J'allais à la piscine à 7h30 du matin pour que personne ne me voie, personne ne se moque", se rappelle cette nageuse, qui apprécie l'eau car "on ne sent plus son poids, on ne voit pas la transpiration".

"On a entendu tellement de moqueries qu'on développe des stratégies pour les éviter", confirme Boréale, 27 ans, militante au sein du collectif antigrossophobie Gras Politique, qui se désole par ailleurs que la pratique sportive des personnes grosses soit systématiquement ramenée à la perte de poids. "C'est difficile de trouver une salle de sport où lorsqu'on est gros et qu'on dit qu'on n'a pas d'objectif de perte de poids, on ne nous regarde pas avec incompréhension", confirme David Venkatapen.

"Il faut arrêter d'accueillir les personnes grosses comme des morceaux de viande qu'il faut dégraisser."

Alina Constantin, membre de la Ligue nationale contre l'obésité

à franceinfo

"On ne met pas assez l'accent sur la joie du mouvement dans notre rapport au sport", estime Julie Artacho, 40 ans, photographe à Montréal, qui travaille sur la représentation des corps gros. D'autant que "tout le monde n'aspire pas à atteindre un niveau olympique !" rappelle la Québecoise.

"Trouver des espaces pour faire du sport qui ne sont pas grossophobes, c'est très compliqué. Ça va plus vite si on les crée nous-mêmes !"

Julie Artacho, photographe

à franceinfo

Alors l'artiste organise des cours de danse entre personnes grosses. "C'est important d'avoir des endroits où on peut exister sans avoir peur du jugement des autres. C'est chouette d'être entouré de personnes qui nous ressemblent. On ne pense pas au mou de notre gras qui bouge, à notre sueur, à notre ventre !"

Claire Castagne, 38 ans, pratique le yoga depuis quinze ans. Elle a longtemps suivi les cours de professeurs qui ne savaient pas adapter leurs instructions aux personnes obèses. Alors Claire est devenue elle-même professeure de yoga, il y a quatre ans. Elle anime la chaîne YouTube YogaRonde, grâce à laquelle elle montre que le yoga est accessible à tous les types de corps pour peu d'adapter les positions.

"On ne fait pas n'importe quoi, mais on s'autorise à placer ses jambes, placer son ventre de manière à pouvoir réaliser les positions confortablement."

Claire Castagne, professeure de yoga

à franceinfo

Claire intervient aussi de plus en plus régulièrement dans des formations pour professeurs de yoga. Elle apprend aux futurs enseignants à "adapter les positions aux personnes grosses", mais aussi à "s'adresser aux élèves sans les blesser", explique-t-elle.

"N'ayez pas honte de votre corps"

Dans d'autres sports en revanche, l'idée d'adapter la pratique aux élèves semble encore assez lointaine. Céline, 38 ans, a essayé en vain cinq clubs de boxe différents, où "les professeurs ne prenaient pas du tout en compte mes limitations", se rappelle cette assistante sociale de 38 ans. Jusqu'à ce qu'elle trouve l'association Keymono, qui propose des cours de boxe "cardio-inclusive".

"Ce n'est pas à la personne de s'adapter au sport, c'est au sport de s'adapter à chacun !"

Céline, boxeuse

à franceinfo

"Mes cours, je les veux pour tous !" revendique d'ailleurs Lynda Medoumir. Kinésithérapeute depuis douze ans, cette mère de quatre enfants a créé Keymono, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), pour rendre accessible la boxe muay-thaï à tous les corps. "Je veux que mes élèves se sentent toutes bien. On rigole, on fait des exercices ludiques, on prend du plaisir. La silhouette, la perte de poids, ce n'est pas du tout le premier objectif", explique Linda. "Beaucoup de personnes grosses ont un regard violent, malveillant sur eux-mêmes, soyez dans l'auto-affirmation bienveillante, n'ayez pas honte !", exhorte Alina Constantin, qui veut encourager les personnes grosses à ne pas s'autocensurer et oser toutes sortes d'activités physiques.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.