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Sponsoring, prize money : les conséquences financières de la crise du Covid-19 pour les sportifs professionnels

Depuis la fin du confinement, le monde du sport retrouve peu à peu ses habitudes. Pour autant, il va falloir encore patienter avant la reprise des compétitions. Face à cette situation, les initiatives d’aides se multiplient pour les clubs et associations sportives, dans le dur économiquement. Mais il ne faut pas oublier les sportifs et sportives qui, en plus d’être privés de leur passion, ne sont pas non plus épargnés par les conséquences financières de la crise sanitaire.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
 

Pour les sportifs comme pour beaucoup, ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, mais plutôt la pratique de leur discipline. La principale conséquence de la crise sanitaire pour les athlètes est donc, évidemment, le manque de compétition : “C’est un arrêt net en pleine saison, alors que les premières échéances approchaient avant les JO”, avance ainsi le nageur Clément Mignon. “La saison a quand même été amputée d’un bon tiers”, regrette de son côté la skieuse Tessa Worley. Sauf que lorsque l’on est athlète professionnel, au-delà d’une passion, la pratique sportive est un métier. Dès lors, son arrêt entraîne des conséquences financières, peu importe les disciplines.

Salaires, prize money et effet boule de neige

En dehors des sports collectifs, où les joueurs touchent des salaires de leur club, les athlètes de sports individuels font face à des situations variables selon les disciplines, mais aussi selon leur niveau et leur notoriété. “Le ressenti financier sera surtout pour les nageurs de haut niveau qui ont beaucoup de sponsors et de primes de participation. Moi, j’ai déjà la chance d’être dans un bon club à Marseille, il n’y aura pas de répercussions sur mon salaire”, explique ainsi Clément Mignon, qui poursuit : “La fédération verse aussi des aides personnalisées aux sportifs inscrits sur les listes élites du ministère des sports”. Pour y figurer, il faut performer aux championnats d’Europe ou Mondiaux. Sur les pistes de ski, la situation est plus compliquée pour Tessa Worley et les skieurs, non salariés dans un club : “Pour nous, la rémunération se fait via les primes de participation et le sponsoring”.

"Ce contrat aide surtout les athlètes les moins dans la lumière. Pour un Renaud Lavillenie par exemple, ce contrat ne doit peser que 5 ou 10% de ses revenus"

En athlétisme, la fédération a poussé les clubs à contractualiser leurs relations avec les athlètes, pour leur garantir un salaire : “Le but était d’offrir une assurance aux athlètes pour le quotidien et en cas de crise comme celle-ci. Avant, ils étaient employés par les collectivités territoriales, mais n’étaient pas couverts en tant que sportifs de haut niveau”, explique Stéphane Diagana, qui précise : “Ce contrat aide surtout les athlètes les moins dans la lumière. Pour un Renaud Lavillenie par exemple, ce contrat ne doit peser que 5 ou 10% de ses revenus”. Toutefois, le consultant France tv sport s’interroge : “Les clubs vont-ils tous pouvoir payer ? Ils sont dans l’incertitude, notamment concernant les cotisations des licenciés. En plus, ils sont dépendants de leurs partenaires, qui sont eux aussi en pleine crise. Par un effet boule de neige, les athlètes peuvent être mis en difficulté”. Et cet effet boule de neige, il est craint partout.

Comment gagner sa vie sans compétition ?

Avant d’espérer des contrats de sponsoring, un athlète doit déjà briller lors des compétitions pour se faire remarquer, et pour gagner sa vie. “Ce sont elles qui apportent les revenus. En natation, il y a de plus en plus de meetings avec des primes de participation”, explique ainsi Clément Mignon. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les événements majeurs types JO ou championnats d’Europe ne sont pas les principales sources de revenus des sportifs. “Briller aux JO, au-delà des primes de fédération, cela a un impact indirect sur les revenus de sportifs. Ça les rends attirants pour les meeting et sponsors, cela leur permet de demander plus de primes de participations aux autres événements, mais cela ne rapporte pas directement de l’argent”, développe Stéphane Diagana. Car en athlétisme, c’est lors des meetings que les athlètes touchent le plus de revenus.

"Briller aux JO, au-delà des primes de fédération, cela a un impact indirect sur les revenus de sportifs (...) mais ne rapporte pas directement de l’argent"

Pour gagner leur vie, les sportifs misent donc sur le reste de l’année. Diagana poursuit : “En athlétisme, ce qui va toucher les revenus, ce sont les annulations de meetings. Même les athlètes pas invités sur la Diamond League font des meetings plus petits où ils gagnent quelques centaines d’euros. C’est là que l’on se fait un revenu quand on est athlète”. Autrement dit, pour les sportifs n’ayant pas de sponsors et pas - ou peu - de salaire via leur club, ces meetings sont la seule source de revenus. Même chose pour les skieurs, dépendants des épreuves de coupe du monde : “Ce ne sera pas une saison comme les autres au niveau du nombre de courses, de leurs localisations, et des primes, qui seront peut-être revues à la baisse”, imagine Tessa Worley.

En dehors des stades, l’athlétisme vit aussi des courses de fond amateures dont les vainqueurs touchent quelques centaines d’euros. Mais elles aussi pourraient être remises en cause : “Elles sont aussi soutenues par l’argent public, qui aura d’autres priorités ailleurs, et par les entreprises, qui en auront d’autres aussi”, prévient Stéphane Diagana. Plébiscitées par des coureurs venus d’Afrique de l’Est, ces épreuves de fond de seconde zone pourraient voir leur nombre diminuer, et donc la concurrence s’accroître : “Les coureurs qui viennent de l’Afrique de l’Est gagnent leur vie ainsi, parce que 500 euros par mois pour nous ce n’est pas grand chose, mais au Kenya c’est énorme”, expose Diagana.

Des sponsors moins généreux ?

Face à l’arrêt des compétitions, les sportifs peuvent toujours compter sur leurs sponsors. Pour le moment. “A partir d’un certain niveau, les partenariats sont économiquement aussi importants que le sport. C’est un revenu fixe, alors que les primes de victoires sont dues à nos performances, d’où l’importance d’avoir des partenaires qui nous suivent dans les bons et mauvais moments”, glisse Tessa Worley, pour qui les revenus de sponsoring représentent “une bonne moitié voire deux tiers du total”. Mais sur les skis comme dans les piscines, cela ne concerne que les têtes d’affiches : “Je n’ai pas de sponsor moi, c’est plus pour les gros poissons comme Florent Manaudou ou Charlotte Bonnet”, reconnaît Clément Mignon.

"Même si économiquement l’entreprise a toujours la possibilité de soutenir un évènement ou un athlète, elle peut décider d’arrêter pour ne pas trop s’afficher"

Et pour ceux qui ont des contrats de sponsoring, rien n’est acquis. “En général dans le privé quand vous êtes dans une situation difficile et que vous tenez un discours d'austérité auprès de vos employés, la moindre dépense peut être vue comme superflue. Autrement dit, même si économiquement l’entreprise a toujours la possibilité de soutenir un évènement ou un athlète, elle peut décider d’arrêter pour ne pas trop s’afficher”, analyse Stéphane Diagana. Tessa Worley approuve : “Nos partenaires sont en plein dans cette crise. Il y a des répercussions possibles. Concrètement, les gens n’ont pas forcément été au ski, donc le tourisme ski est en berne, ce qui va toucher certains de nos partenaires”. D’autant que pour les skieurs, la fin de saison traditionnellement consacrée aux apparitions en public est tombée à l’eau :"On n’y peut rien, mais pour les marques, cela pose un problème de communication. Ce sont peut-être plutôt les prochains contrats qui seront diminués, les répercussions seront plus tard”.

Des contrats pas renouvelés ?

Dans l’immédiat, contrairement aux revenus issus des compétitions, ceux du sponsoring sont donc assurés. C’est à moyen terme que les choses pourraient se compliquer. “Il y aura certainement des contrats revus à la baisse, mais c’est normal, chacun doit faire un effort. J’ai la chance d’avoir des partenaires de longues dates, avec lesquels ça se passe très très bien. Ils font tout pour m’aider et moi aussi en retour. Je me sens dans une situation stable, c’est important d’être rassurée”, confie Tessa Worley. De fait, tous n’ont pas ce luxe, notamment en athlétisme. Stéphane Diagana explique pourquoi : “Beaucoup de contrats sont signés sur des périodes olympiques, donc devaient s’achever fin 2020. Cela offre une possibilité de sortie pour les partenaires, alors qu’on voit déjà des sponsors se retirer à droite à gauche. Les marques pourraient se concentrer sur les meilleurs athlètes dans la perspective des JO de Tokyo, et donc ne pas forcément prolonger tous les athlètes. Il y a un risque pour de ne pas être renouvelé auquel pensent les sportifs”.

Venus s’ajouter aux incertitudes sportives, ces problèmes financiers constituent un véritable enjeu pour les athlètes. Heureusement, plusieurs disciplines se mobilisent pour les soutenir du mieux qu’elles peuvent. “Un fond de 500 000 dollars a été mis en place par la World Athletics, avec des critères bien précis, pour aider des athlètes avec très peu de revenus. Par exemple, il ne faut pas avoir touché plus de 6000 euros de gains en meeting l’année d’avant”, affirme Stéphane Diagana. En natation, les nageurs des équipes de l’International Swimming League seront aussi dédommagés, à hauteur de 15 000 dollars. De quoi rassurer les athlètes, à l’heure où ils retrouvent enfin leurs lieux de travail,  leurs terrains d’entraînements, en attendant le retour à la compétition.

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