Un Sud-Africain en bleu : bienvenue dans le rugby sans frontières
Tout joueur étranger qui a passé trois ans dans un pays peut en porter le maillot. L'Angleterre le fait de façon industrielle et les Français s'y mettent doucement, avec l'arrivée d'Antonie Claassen.
Un Sud-Africain portera peut-être le maillot bleu, samedi 23 février, lors du choc du Tournoi des six nations entre l'Angleterre et la France. Il s'appelle Antonie Claassen, il est troisième ligne à Castres. C'est la surprise de la liste de Philippe Saint-André, sélectionneur sous pression après deux défaites en deux matchs. Arrivé dans l'Hexagone en 2007, Antonie Claassen est sélectionnable grâce à une règle qui prévoit que tout joueur ayant passé trois ans consécutifs dans un pays peut en porter le maillot. Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes...
La France toujours réticente
Le règlement qui permet à Antonie Claassen de porter le maillot bleu a été instauré dans les années 1990 par l'International Rugby Board (IRB) (voir la règle 8.1 à la page 63 du PDF). Un joueur peut porter le maillot d'une équipe nationale s'il est né dans le pays, si ses parents ou ses grands-parents en avaient la nationalité, ou s'il y a résidé trois ans sans avoir déjà joué pour une autre nation.
La France n'a utilisé qu'avec parcimonie cette règle : dans l'histoire des Bleus, seuls neufs étrangers ont porté le maillot national, dont six Sud-Africains. Avec des réussites, comme le centre Tony Marsh et le pilier Pieter de Villiers, mais pas mal d'expériences mitigées.
Pendant le mandat de Marc Lièvremont, aucun joueur étranger n'a été appelé. Une volonté politique du sélectionneur, ex-entraîneur des Bleus de moins de 21 ans, qui voulait s'appuyer sur la formation. Son successeur, Philippe Saint-André, a adopté l'approche pragmatique qui règne outre-Manche. "Si un joueur sélectionnable est considéré comme l'un des meilleurs à son poste, je ne me priverai pas de l'appeler, se justifie le sélectionneur dans Midi Olympique. Pourquoi devrais-je m'interdire quelque chose que nos adversaires utilisent depuis des années ? L'an passé, lorsque les Anglais sont venus nous battre au Stade de France, huit joueurs sur leurs vingt-deux n'étaient pas de naissance anglaise."
Le grand marché du joueur de rugby a commencé
Pleine de bonnes intentions, cette libéralisation du joueur national a engendré beaucoup de rancœurs. En résumé, la Nouvelle-Zélande, qui pique des rugbymans aux îles du Pacifique, accuse le Japon et l'Australie de lui prendre des joueurs ; l'Australie accuse l'Angleterre de lui en faucher ; et l'Afrique du Sud pointe du doigt, pour sa part, l'Australie et l'Angleterre. Gallois, Irlandais et Ecossais ne sont pas en reste.
Illustration de ce grand brassage ou de ce mercenariat décomplexé, selon les points de vue : lors de la dernière Coupe du monde, en Nouvelle-Zélande, 75 joueurs présents sur le terrain n'évaluaient pas dans leur sélection nationale, mais pour un pays d'adoption. Record de l'export : les Néo-Zélandais, qui en plus des 30 All Blacks ont vu 38 compatriotes porter les couleurs d'un autre pays.
Ces mutations sont aussi le reflet du grand brassage de populations au sein du Commonwealth, cet ensemble d'Etats issus de l'ancien empire britannique : 500 000 Néo-Zélandais vivent en Australie, ce qui explique pourquoi certains joueurs ont préféré porter le maillot or et vert des Wallabies plutôt que celui des All Blacks. "Sept de nos trente joueurs nés à l'étranger, c'est un reflet assez juste de notre société", estime le site australien spécialisé The Roar (en anglais). Ce n'est pas un hasard si le cricket, autre sport très british, suit les mêmes règles de nationalité.
Et maintenant, on recrute au berceau
Pour éviter de se faire faucher les jeunes talents, de nombreux pays s'attellent à les détecter très vite. La Nouvelle-Zélande s'est fait une spécialité de repérer les jeunes talents issus des familles immigrées originaires des îles du Pacifique, souvent installées près d'Auckland. Une fois détectés, ils sont intégrés dans un centre de formation avant que le pays d'origine ne puisse intervenir. En Irlande, la fédération, propriétaire des clubs, fait venir ni vu ni connu des jeunes Fidjiens, histoire qu'ils passent les trois ans requis pour porter le maillot vert le plus vite possible. "Avoir le droit de jouer pour l'Irlande ne doit pas être aussi facile que prendre un avion pour Dublin, regrette Keith Wood, le légendaire talonneur du XV du Trèfle, cité par The Daily Shift (en anglais). Ça ne doit pas se passer comme ça."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.