Rugby : comment le XV de France peut-il se trouver un seizième homme ?
Les places peinent à s'écouler dans les stades, les supporters s'ennuient, les invités ronflent et les chants en tribunes sont faméliques. Mais des solutions existent.
Il y dix ans, Bernard Laporte, alors sélectionneur des Bleus, avait traité le public du Stade de France de "bourgeois de merde" après... une victoire contre l'Irlande, où un Frédéric Michalak fébrile avait été conspué. Dix ans ont passé, dont cinq de désamour latent entre le public et son équipe. Alors que les Tricolores retrouvent le Stade de France pour affronter l'Ecosse, dimanche 12 février, lors de la deuxième journée du Tournoi des six nations, que manque-t-il aux Bleus pour se retrouver un seizième homme ?
Se débarrasser de la chape de plomb du Stade de France
"Le Stade de France n'a pas vraiment d'âme", déplorait Bernard Laporte dans son livre Petites histoires secrètes du rugby, en 2015. Devenu président de la fédération l'année suivante, il a rayé d'un trait de plume le projet d'un grand stade propriété de la FFR, mais caresse l'idée de disputer plus de matchs en province : le France-Nouvelle-Zélande du 11 novembre 2017 pourrait ainsi bien échapper à Saint-Denis. Ce n'est pas l'ex-international Imanol Harinordoquy qui le contredira : "Le Stadium de Toulouse, pour l'ambiance, c'est plus fort que le Stade de France !"
L'ambiance du stadium nord durant un LOSC-Châteauroux > L'ambiance du stade de France durant un match de rugby. #6nations #FRAANG
— Moustache FC (@MoustacheFC) 1 février 2014
Des six stades utilisés lors du Tournoi des six nations, l'enceinte dionysienne est de loin la moins sonore, avec 85 décibels enregistrés lors du (calamiteux) tournoi 2015, loin derrière le Millenium de Cardiff. Il y aurait du boulot pour des ingénieurs acoustiques - comme ceux qu'a employés Manchester United pour améliorer l'ambiance d'Old Trafford. "Mettez quatre tambours au premier rang de la tribune A, derrière les poteaux. Au quatrième rang, on ne les entend pas", peste Franck Lemann, président délégué de la fédération française des supporters de rugby (FFSR). "Aussi facile à enflammer qu’un morceau de bois humide avec deux silex", résume, lapidaire, le Républicain lorrain. "Le Stade de France a été conçu de manière à maximiser la sécurité, pas l'ambiance", regrette Maxime Rouquié, rédacteur en chef du site Le Rugbynistère, qui se souvient avoir étudié le contre-exemple du SDF dans ses cours de management du sport.
Et une fois le match terminé, le supporter de rugby peine à trouver un comptoir pour refaire le match. Les rares bars situés au pied du stade ? Pris d'assaut ? La fameuse Rue de la Soif à Paris, et le légendaire bar du Pousse-au-crime ? A une heure de métro, et souvent réservés aux VIP. De ce point de vue-là, même l'Italie peut nous donner des leçons : "Au Stadio Olimpico de Rome, il y a toujours un concert après le match, raconte Franck Lemann. Je ne suis jamais parti moins d'une heure après le coup de sifflet final. Et en plus, ça nous évite d'être tous entassés dans le tramway."
Renouveler (enfin) les chants
Avez-vous déjà entendu parler de la chanson Standing Ovation, de François Valéry ? L'auteur du tube Aimons-nous vivants a signé ce titre dance aux paroles 100% british, hymne officiel du XV de France en 2003. Une chanson tombée aux oubliettes depuis, et désormais écoutable sur le seul site Bide et musique. A peu près à la même époque, la FFR a confié à des bandas de toute la France l'animation autour de la rencontre. D'où le fait que la Peña baiona, serinée à chaque match, à grand coup de "la, la, la", soit devenue l'hymne officieux du XV de France.
"Mais pourquoi on n'entend que ce chant pendant les matchs de l'équipe de France ?, s'amuse Franck Lemann. C'est comme si on chantait : 'Qui ne saute pas n'est pas lyonnais' pendant les matchs des Bleus ! Et le pire, c'est que ça fait un bail qu'on n'a pas vu de Bayonnais sous le maillot de l'équipe de France. A la rigueur Scott Spedding [l'arrière des Bleus, d'origine sud-africaine], puisque c'est là qu'il a commencé en France..." Sans parler de l'inusable Marseillaise, généralement entonnée quand la France est devant au tableau d'affichage et qu'il reste quelques minutes à jouer.
Répétitifs les chants ? Nicolas Royer, de la Banda du Périgord, qui va animer le match contre l'Ecosse affiche un répertoire allant de la Peña baiona à Muse en passant par Téléphone ou... l'hymne écossais, répété pour l'occasion. Ce percussionniste a aussi en charge d'adapter les chansons au jeu : "je fais signe à mon chef de groupe quand le jeu arrive de notre côté ou quand il y a une pénalité, qu'on arrête de jouer." Nicolas Royer est néammoins concient que le choix d'une telle animation n'incite pas forcément les spectateurs à donner de la voix : "on animait les matchs du club de basket de Boulazac, mais quand l'équipe est montée en Pro B et devenue professionnelle, les supporters ont préféré se constituer en groupes pour chanter plutôt que de laisser l'animation aux bandas."
Renouveler le public
Le public du rugby est-il un peu trop âgé pour s'égosiller 80 minutes durant ? Les 35-59 ans constituent le gros des gradins du Top 14, alors que la Ligue 1 de foot s'enorgueillit de compter un spectateur sur deux âgé de moins de 35 ans. Deux publics distincts à qui on ne propose pas la même chose. Pour preuve, ce passage de l'étude KantarSport sur le public du rugby, indique que "le profil CSP+ des spectateurs doit permettre aux clubs de proposer des places ou abonnements
haut de gamme". Embourgeoisé, le rugby ? Encore plus pour les matchs du XV de France, où les prix des places atteignent des sommets. Parfois trop : la Fédération a bradé à -40% les places pour un France-Australie de gala à l'automne dernier. Même le match face aux All Blacks n'a pas fait le plein.
Parce que France Australie n'est pas déjà plein... Inquiétant https://t.co/XdCGPnuQFr
— Sud Rugby (@Sudrugby) 28 octobre 2016
Si on baisse les prix, peut-être n'entendra-t-on plus ce témoignage d'une habituée du Stade de France "où les gens sont plus préoccupés à aller chercher des hot-dogs et réussir leur 'ola' que par le match en lui-même". Les mêmes qui portent le tee-shirt "XVIe homme", vendu 20 euros à la boutique de la FFR ? Daniel Herrero, le sage au bandeau rouge qui a coaché le RCT, l'avait théorisé : "Les joueurs de rugby sont déguisés en champions, les dirigeants en 'employeurs', le public en 'clientèle'." Dans le viseur des amoureux du rugby : les invités, qui garnissent les loges. Franck Lemann se souvient avoir vu les invités d'une célèbre marque d'anisette ronfler à l'heure du match, quand d'autres lui demandaient "où était le gardien de but".
S'inventer une culture de supporter
Mis à part quelques villages d'irréductibles supporters aux ambiances de feu (La Rochelle, Toulon...), on entend les mouches voler dans les tribunes en Top 14. Au Stade toulousain, fleuron du rugby hexagonal, des amoureux du club se mobilisent pour ressusciter un stade Ernest-Wallon moribond.
Le phénomène se reproduit, puissance dix, quand l'équipe de France joue à Saint-Denis. Mais pas que. "Les supporters français avaient pris une leçon par les supporters brésiliens et sud-africains lors des Sevens de Paris [un tournoi de rugby à sept organisé peu avant les Jeux de Rio]", souligne Maxime Rouquié.
Réussir à copier les "manchots" du football ?
Grâce aux Irrésistibles Français, mis en avant par la Fédération française de football, désormais installés dans une tribune dédiée, avec un "capo" (un leader de supporters qui organise les animations), la possibilité de se mettre debout, et des tarifs préférentiels pour animer une tribune où on chante, il est prouvé qu'on peut faire du bruit au Stade de France. Pourquoi ne pas transposer ce modèle au rugby ?
"On a essayé, répond Franck Lemann, dont l'association regroupe 12 000 supporters actifs, d'équipes de Top 14 à la Fédérale 3. On a vite abandonné tant ça n'a pas pris." Aujourd'hui, la FFR ne veut pas ouvrir un bout de tribune près du terrain à des supporters organisés. "On doit acheter les places - plein pot - en septembre, et à ce moment-là, beaucoup de gens ne savent pas ce qu'ils feront en février." D'où le fait que la FFSR n'occupe que 600 places sur les 80 000 du Stade de France.
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