Toulon-Castres : faux bling-bling contre faux bouseux
La finale du championnat de France de rugby a été présentée un peu vite contre un match entre l'ogre et le Petit Poucet.
D'un côté, Toulon, deuxième budget du championnat de France, champion d'Europe en titre, de l'autre Castres, 10e budget du championnat, dont le dernier titre a vingt ans. L'affiche de la finale du Top 14, samedi 1er juin, est déséquilibrée sur le papier, un peu moins sur le terrain. Comme le dit le président toulonnais, Mourad Boudjellal, dans La Provence : "Il ne va pas falloir que l'on chante longtemps l'histoire du petit - Castres - et du gros - Toulon -, car cette chanson s'arrêtera dès le premier couplet, croyez-moi !"
Les "mercenaires" contre "Astérix"
Toute ressemblance entre Castres et des Gaulois moustachus gavés de potion magique ne serait pas purement fortuite. "On nous présente un peu comme les irréductibles face aux grosses écuries comme Clermont, Toulouse et Toulon", explique le troisième ligne castrais Yannick Caballero dans La Dépêche du Midi. La mascotte du club s'appelle même Olympix, hommage transparent à Obélix. Et pourtant... le Castres Olympique est avant tout un club de Top 14 comme les autres, avec peu de joueurs du cru et pas mal de vedettes étrangères, comme le Sud-Africain Rory Kockott, un des meilleurs joueurs de la saison. "A Castres, il y a deux ou trois joueurs du centre de formation qui ont percé, sinon, c'est du recrutement extérieur. Le professionnalisme a tué la formation française, de toute façon", analyse Julien Joligard, président du groupe de supporters Puissance Castres, contacté par francetv info.
Dans le camp adverse, on ne dit pas autre chose. "Je ne vois pas pourquoi quand un étranger arrive à Toulon, c'est un mercenaire, et pas quand il arrive à Castres, regrette Jérôme Lecompte, président des Fils de Besagne, une association de supporters toulonnais, interrogé par francetv info. L'année dernière, c'est Agen qui avait le record d'étrangers en Top 14, mais on préfère nous coller cette étiquette. Si on avait une équipe de mercenaires, croyez-vous qu'on aurait résisté vingt minutes acculés en défense sans commettre de faute en finale de la Coupe d'Europe, contre Clermont ? On parle de 'mercenaires', mais on oublie de dire que notre président est un enfant du pays."
La vieille fortune contre le nouveau riche
Les deux clubs appartiennent chacun à un richissime homme d'affaires. A Castres, c'est Pierre Fabre, 54e fortune de France au classement de Challenges, qui possède le club et y investit chaque année un montant tenu secret. Pas de folies comme au PSG, car le budget du club plafonne à la 9e place du Top 14, avec 15 millions d'euros, contre près du double pour son adversaire. "La grande différence entre Toulon et nous, c'est qu'on a un mécène raisonnable", estime Julien Joligard, de Puissance Castres. Pionnier du professionnalisme, le Castres Olympique est condamné au miracle permanent pour se maintenir dans le haut du classement, face à des équipes bien plus riches. "Ça m'inquiète, reconnaît Didier Hardy, qui dirige le groupe de supporters castrais Les Amis du rugby. On est sur la corde raide. Il suffit qu'on perde deux ou trois matchs en début de saison pour le traîner comme un boulet, comme il y a deux ans, où Biarritz avait frôlé la relégation."
Mourad Boudjellal, devenu millionnaire grâce aux éditions Soleil, est l'homme qui a transformé le RCT, qui végétait dans les profondeurs de la pro D2, en machine à gagner. "Les Anglais m'appellent Moneybag, sac d'argent. C'est réducteur, écrit-il dans son autobiographie Ma mauvaise réputation (éditions de La Martinière). Le rugby m'appauvrit. Mon principal mérite n'est pas l'argent investi, mais l'économie de marché déployée. Aujourd'hui, le club fait entre 25 et 30 millions d'euros de chiffre d'affaires sans que j'aie besoin de mettre un sou."
Le club d'une ville contre le club d'une région
Le drame de Castres est d'être coincé au cœur d'une région de rugby. Toulouse n'est qu'à 80 km, Montauban et Narbonne à 120 km. Le stade Pierre-Antoine, qualifié pudiquement de "rustique" par les supporters, et ses 10 000 places font figure d'antiquité dans une économie du sport prompte à construire toujours plus grand et toujours plus de loges VIP. Quand il y a une grosse affiche, on délocalise dans une ville voisine. "Quand on regarde les villes de moins de 50 000 habitants en Top 14, on voit qu'il n'en reste plus beaucoup, remarque Julien Joligard. Là-dessus, on est des irréductibles."
En revanche, Toulon bénéficie d'une situation géographique beaucoup plus favorable. "Autour de Toulon, c'est un véritable désert du rugby pro, et un vrai public potentiel à séduire", note Jérôme Lecompte. L'ambition du club est de devenir le club de la région Paca - on voit de plus en plus d'autocollants du RCT sur les voitures à Marseille -, voire mieux. "Notre association a ouvert une antenne à Nantes", se félicite Patrick Fornet, président du club de supporters Les Mordus du RCT.
N'empêche, Toulon est toujours vu comme le méchant de la finale, le nouveau riche qui brise l'hégémonie du rugby-cassoulet. "On a toujours été le rebelle du rugby français, soupire Patrick Fornet. Je suis le club depuis 1964, et avant d'être des mercenaires, on nous qualifiait de voyous." Les supporters castrais ne veulent pas de cette popularité éphémère : "Ce qui me gêne, ce sont ceux qui se rallient à nous car ils sont contre Toulon, regrette Julien Joligard. On oublie trop que ce club a une histoire centenaire. Ils ont réussi à construire quelque chose. Toulon, ce n'est pas l'anti-Castres."
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