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Mourad Boudjellal et Toulon, une histoire passionnelle

Homme fort d’un Rugby Club Toulonnais qu’il a fait passer de la Pro D2 au statut de triple champion d’Europe depuis son arrivée sur la Rade en 2006, Mourad Boudjellal n’est plus, depuis ce lundi, l’actionnaire majoritaire du club. S’il reste pour le moment président du RCT, c’est une nouvelle ère qui débute du côté du Var.
Article rédigé par Mathieu Aellen
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
  (NICOLAS TUCAT / AFP)

Cela restera peut-être comme l’un des derniers gros coups venu de la patte de Mourad Boudjellal. Vendredi dernier, le Rugby Club Toulonnais officialisait l’arrivée du tout frais champion du monde sud-africain Eben Etzebeth, considéré comme l’un des meilleurs deuxième-ligne au monde. Une énième star du rugby qui débarque sur la Rade, la marque de fabrique de Boudjellal depuis son arrivée à la tête du club. Pourtant, ce vendredi, l’habituel provocateur, jamais le dernier pour s’accaparer les caméras et les micros, s’est fait discret et a laissé la lumière à Bernard Lemaître, devenu ce lundi le nouvel actionnaire majoritaire du RCT. Pendant 25 minutes, l'homme d'affaires de 80 ans a organisé la conférence de presse, a pris la parole pour présenter Etzebeth avant de traduire lui-même les questions des journalistes dans un anglais parfait. Boudjellal, silencieux, s’est lui contenté d’observer. Les prémices d’un changement d’ère sur la Rade.

Le calme et tempéré Bernard Lemaître, qui a fait fortune dans l'industrie bio-pharmaceutique, vient donc prendre la suite du sulfureux et passionné Mourad Boudjellal. "Le Top 14 nécessite des capitaux financiers importants, notamment pour doter notre club d'infrastructures sportives de haut niveau. Je suis heureux que la collaboration de Bernard Lemaître nous permette de nous comparer sur ce plan aux meilleurs clubs d'Europe", justifie, dans le communiqué publié ce lundi par le club, le désormais ex-actionnaire majoritaire, qui garde pour le moment son costume de président du RCT.

Arrivé au capital du club à l’été 2018, Lemaître doit aujourd’hui stabiliser un club en proie à des difficultés financières que son prédécesseur ne pouvait plus assumer seul. Et permettre à Toulon de poursuivre l'aventure dorée initiée par Mourad Boudjellal qui, en 13 ans, a fait renaître le RCT pour en faire l’un des plus grands clubs sur la scène française et européenne.

Effectif "galactique"

Né à Ollioules dans la banlieue toulonnaise, d'un mariage entre des familles immigrées algériennes et arméniennes, il est parti de rien et, comme Toulon depuis son arrivée, n'a pas mis longtemps avant de tutoyer les sommets. Après avoir fait fortune dans l'édition de bande dessinée grâce à sa maison d'édition "Soleil Éditions", il décide en 2006 – aux côtés de Stéphane Lelièvre – de venir au chevet d’un RCT alors en Pro D2. Homme pressé et devenu dès l’année suivante le seul actionnaire majoritaire du club, il veut rapidement faire du RCT un club qui compte.

Pour cela, la méthode Boudjellal est simple : bâtir une équipe avec les meilleurs joueurs du monde à chaque poste. Dès son arrivée au pouvoir, il acte la venue du capitaine néo-zélandais Tana Umaga. Un All-Black à Toulon : le coup est énorme, le buzz tout autant. Un premier grand nom qui en appellera rapidement d'autres. George Gregan, Victor Matfield, Jonny Wilkinson, Ma'a Nonu, Sony Bill Williams, Juan Smith, Matt Giteau, Brian Habana ou encore Bakkies Botha, c'est une succession de stars qui défile sur la Rade durant le mandat Boudjellal.

Cette politique de recrutement "galactique", assez inouïe pour un club français, mettra plusieurs années à porter ses fruits. Mais la récolte n’en sera que plus savoureuse. Un Bouclier de Brennus ramené sur la Rade 22 ans après, puis un triplé historique en H Cup (2013, 2014, 2015), la décennie 2010 portera le sceau de Toulon et de Boudjellal.

Ce dernier ne fait rien comme personne, et dans un monde qu’il ne manque pas de qualifier de "rugby-cassoulet", l’entrepreneur casse les codes et fait basculer Toulon dans le monde moderne. Création de loges VIP au Stade Mayol, multiplication des produits dérivés, signature avec un équipementier qatarien, délocalisation de certains matches au Stade Vélodrome : le carnet de chèques fait la loi et Boudjella refait de Toulon un bastion de l'ovalie, faisant grimper de manière exponentielle le nombre d'abonnés qui se pressent à Mayol pour voir les leurs dominer la planète rugby sous la délicieuse mélodie du "Pilou-Pilou".

Sorties virulentes et épiques polémiques

Le coup de pied dans la vieille fourmilière du rugby français est sec et brutal, et le personnage dérange autant qu'il fascine. Grande gueule et provocateur à souhait, Boudjellal est devenu au fil des années un personnage incontournable et controversé dans le paysage de l'ovalie tricolore, pointant dès qu'il le peut sa différence et ses antagonismes avec l'ancien monde du rugby."Que comprennent-ils au monde, qui a changé depuis dix ans ? Le minitel, c’est hyper moderne pour eux, ils sont largués. Qu’est-ce qu’ils nous emmerdent ? Il faut comprendre qu’il faut changer, lance-t-il après la finale de Top 14 perdue face à Toulouse en 2012. C’est le jeu des générations. Ils sont vieux, ils s’accrochent, ils se liquéfient presque pour certains et ils continuent de s’accrocher. Ils vont rester jusqu’à quand, jusqu’à ce qu’ils se pissent dessus ? Il faut arrêter. Il y a un âge où on ne peut plus gérer le monde moderne, il faut qu’ils en soient conscients."

Personne ne passe sous les balles de Boudjellal, pas vraiment à l'aise avec les conventions et plutôt adepte des polémiques épiques et des sorties virulentes. L'une des plus célèbres reste probablement celle lâchée en 2012 au sortir d'une défaite face à Clermont, où le président du RCT n'hésite pas à faire dans la métaphore proctologique pour évoquer un arbitrage qu'il estime défavorable.

"Ce qui est toujours chiant, c’est qu’à un moment donné, les arbitres font pencher la balance. J’ai connu ma première sodomie arbitrale en demi-finale contre Clermont. Ce soir, j’en ai connu une seconde. On pourra revoir les images non pas sur YouTube mais sur YouPorn." Une saillie, marque de fabrique d'un Mourad Boudjellal rapidement devenu une bête médiatique, qui lui vaudra une suspension de 130 jours par la Commission de discipline de la Ligue nationale du rugby et une poursuite en diffamation de l’Union nationale des arbitres.

  (FRANCK PENNANT / AFP)

Fin de cycle

Passionnée et dorée, l’histoire d’amour entre Mourad Boudjellal et le Rugby Club Toulonnais s’est pourtant peu à peu étiolée au fil d'années moins fructueuses, marquées par le départ de Bernard Laporte - coach de 2011 à 2016 - et d'une période sans titre qui se prolonge depuis quatre ans. En 2016 déjà, le propriétaire avait envisagé de vendre le club et de laisser la main, avant de finalement faire machine arrière et d’annoncer l’ouverture du capital du club aux supporters et partenaires. "Je veux changer de vie et c’est une réalitéavait-il alors déclaré. J’ai d’autres projets dans la poche, notamment dans le livre. J’ai envie de refaire de l’édition"

Trois ans plus tard, le voilà libéré de ses obligations d’actionnaire, tout en restant pour le moment président du RCT. Pour combien de temps ? Adepte des contre-pieds, Mourad Boudjellal pourrait laisser de côté l'édition encore quelques temps pour prolonger son histoire d'amour avec le ballon ovale. Il se murmure ainsi qu'il pourrait se laisser tenter l'année prochaine par une candidature à la présidence de la Ligue Nationale de Rugby, quatre ans après une première tentative manquée. Le monde du rugby n'en a peut-être pas encore fini avec Mourad Boudjellal.

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