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Spanghero : histoire d'une société au cœur de la tempête

Un nom émerge dans le scandale : Spanghero, un patronyme qui fleure bon le rugby d'antan. La famille, fondatrice de l'entreprise accusée aujourd'hui de tromperie par le gouvernement
Article rédigé par Yann Bertrand
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
  (Jean-Philippe Arles Reuters)

Les larmes aux yeux, Laurent Spanghero a pris la parole devant la presse jeudi, dans son fief de Castelnaudary (Aude). Son visage défait traduit le désarroi d'une famille qui voit son nom traîné dans la boue depuis le déclenchement de l'affaire.

Les Spanghero, héros nationaux et industriels reconnus

S'il fallait en retenir un seul, ce serait lui. Walter Spanghero, "l'homme de fer", véritable colosse, héros du XV de France et de Narbonne dans les années 1960-1970. A l'évocation de son nom, les férus de rugby se souviennent  d'un troisième ligne puissant, un  dynamiteur de défenses. A l'arrêt de sa carrière en 1979, il se reconvertit en chef d'entreprise, mais aussi dans la politique. Dès 2001, il est recruté par le maire de Toulouse Philippe Douste-Blazy en tant qu'adjoint.

Mais ce sont ses frères, ou plutôt deux de ses cinq frères et deux sœurs, qui se lancent dans l'aventure industrielle. Laurent, l'aîné de la fratrie, et Claude, anciens rugbymen émérites également, rejoints par Guy, fondent en 1970 à Castelnaudary la société Spanghero, une SARL, avec pour but l'exploitation de l'abattoir municipal de la ville. Au fil des ans, la société enfle, se développe, crée une activité de plats cuisinés ou encore un site de production de saucisses fraîches.

Spanghero change de mains

Mais après les années fastes viennent les premières difficultés. La société Spanghero, qui emploie au milieu des années 2000 près de 400 salariés, fait face à une sévère crise.

La décision est prise en 2009 ; Spanghero change de mains. "Pour un euro symbolique" selon Philippe Spanghero, le fils de Guy, ancien gérant, la boîte et surtout le nom sont cédés à un "géant" du Sud-Ouest, Lur Berri. Laurent Spanghero s'explique :

"Nous pensions que c'était profitable, pour l'entreprise et pour la préservation des emplois."

Lur Berri, une coopérative implantée de longue date dans le Pays basque, est un nom déjà bien connu dans la région. La société Spanghero entre alors dans le giron d'un groupe tentaculaire.

Lur Berri aux commandes

Le nom Spanghero est une formidable carte de visite pour Lur Berri ; c'est aussi un gage de confiance pour les consommateurs.

En 2011, Spanghero S.A. devient A la table de Spanghero , "revendiquant plus que jamais son goût pour le partage et la convivialité" peut-on lire sur le site internet de la marque. L'activité, elle, se décline en deux branches : la production de viandes transformées et les plats cuisinés vendus sous le nom A la table de Spanghero aux grandes surfaces notamment (10.000 tonnes annuelles environ chacune). Le chiffre d'affaires tourne depuis plusieurs années autour des 60 millions d'euros. Aujourd'hui, l'entreprise qui s'étend sur 12.000 m² d'usines et ateliers de fabrication sur plusieurs sites du Sud-Ouest, emploie 331 salariés.

Mais l'ancienne société familiale ne représente qu'une infime partie des actifs de Lur Berri, qui revendique plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. Les deux filiales, Labeyrie et Arcadie Sud-Ouest, pèsent en effet beaucoup plus lourd (plus des trois-quarts du chiffre d'affaires).

Quant à la famille, plus rien ne la lie à son ancienne société : le dernier Spanghero, Jean-Marc, a quitté son poste de directeur général en février 2012, pour rejoindre une société fournissant des steaks à Mc Donald's. Il n'y a plus aucun Spanghero chez Spanghero.

Une première alerte en 2011

Avant le scandale actuel de la viande de cheval, la société avait déjà été pointée du doigt. En juin 2011, le nom Spanghero fait la une de l'actualité à cause de steaks hachés contaminés par la bactérie E. coli, dangereuse pour la santé. Après un contrôle interne positif sur un lot, près de 20 tonnes de viande sont retirées des rayons de plusieurs grandes surfaces du Sud et de l'Ouest de la France.

Le coup porté à Spanghero est terrible, non seulement financier - les dirigeants estimaient à l'époque que l'affaire allait coûter plusieurs centaines de milliers d'euros – mais aussi en termes d'image. Car en plein été 2011, la bactérie E. coli suscite la psychose en Europe. Des graines germées contaminées provoquent des diarrhées mortelles en Allemagne, et neuf hospitalisations en France.

Même si, finalement, la bactérie incriminée ne se révèle pas pathogène, les dirigeants de Spanghero admettent la nécessité de réagir "plus vite" lorsqu'un problème est décelé.

L'entreprise en danger ?

Cette fois, avec cette affaire de viande de cheval, le coup est encore plus grave. Jeudi, le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a prononcé le retrait de l'agrément sanitaire à Spanghero. Quelques minutes plus tôt, les mots de Benoît Hamon, ministre délégué à la Consommation, ont été très durs. Selon lui, Spanghero "savait" que la viande vendue comme du bœuf était en fait du cheval.

> A lire : Spanghero savait, selon le gouvernement

L'accusation est formellement balayée par le président de la société, Barthélémy Aguerre :

"Pour moi, le ministre a été extrêmement imprudent [...] Il va mettre en grande difficulté l'entreprise et 300 personnes."

Tout au plus reconnaît-il quelques "négligences" sur l'étiquetage de la viande.

A Castelnaudary, où le secteur agroalimentaire représente une part importante de l'économie, les lendemains sont difficiles. Les salariés de l'entreprise dénoncent eux aussi les propos du ministre ; ils se sont réunis en comité d'entreprise vendredi matin, pendant que des inspecteurs vétérinaires procédaient à de nouvelles expertises dans l'usine.

> A lire : les coupables sont la filière et les autorités

Dans un département, l'Aude, frappé durement par le chômage (près de 14 %), une perte définitive de l'agrément sanitaire signifierait la "mise à mort de 300 familles" selon le personnel qui a publié un communiqué.

Dans cette affaire, la famille Spanghero, les dirigeants actuels de l'entreprise, les salariés, tous ont désormais beaucoup à perdre.

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