Covid-19 : Galthié victime, limites des bulles sanitaires, retour des spectateurs, rôle de l'Etat... Les mots forts du Professeur Eric Caumes
La contamination au sein de l'équipe de France aurait-elle pu être évitée ?
EC : "Non, la situation est imparable à partir du moment où vous n'imposez pas une quarantaine. La question va aussi se poser pour les Jeux Olympiques, ça va être la même chose. On a bien réfléchi à ces problèmes-là, notamment au Comité médical de la Fédération internationale de l'automobile, dont je fais partie. Le protocole adopté par la FFR est à peu près le même que celui de la FIA. C'est une bulle sanitaire dans laquelle vous pouvez sortir et rentrer en prenant des précautions nécessaires. Pour les sorties, vous devez respecter les gestes barrière, ne pas s'exposer de manière irresponsable comme participer à une fête. Les joueurs ont été stigmatisés parce qu'ils ont mangé une gaufre dehors, il faut être raisonnable ! Ce n'est pas dehors, avec un masque, que le coronavirus se transmet."
L'hypothèse d'un préparateur physique du XV de France avait été évoquée un temps…
EC : "Ce n'est pas plus logique que pour Fabien Galthié puisque les deux ont été positifs en même temps. Si l'un avait contaminé l'autre, il est peu probable qu'ils aient été positifs en même temps. A partir du moment où les deux sont contaminés en même temps, il faut aller chercher une cause d'exposition commune. Ce n'est pas compliqué, ils ont dîné face à face, c'est tout. C'est un joueur de l'équipe de France à 7 qui est le patient zéro. On ne voit pas très bien comment la Covid-19 a pu rentrer dans la bulle autrement. Cela se passe presque toujours dans les lieux clos au cours des moments de convivialité. Galthié, tout le monde lui est tombé dessus alors qu'il est allé faire l'aller-retour en taxi pour voir jouer son fils dans un stade vide avec son masque sur la tronche…"
Vous ne comprenez pas ceux qui ont grincé des dents concernant cette sortie ou celle de Fabien Galthié ?
EC : "On ne peut pas maintenir les gens en cage pendant deux mois et demi, il faut atterrir un petit peu. La compétition dure deux mois, en comptant la préparation ou une éventuelle quarantaine, ça fait deux mois et demi pendant lesquelles les joueurs ne vont pas voir leur femme ou leurs familles, c'est impossible !"
"Enfermer des sportifs pendant des mois, c'est les Jeux du cirque"
L'Open d'Australie a pourtant fait ainsi avec une arrivée deux semaines des joueurs avant pour une quarantaine.
EC : "C'est le modèle. Comme le championnat du monde de handball, aussi. Vous respectez une quarantaine de 14 jours, donc on est sûr qu'il ne se passera rien puisque c'est la durée maximum d'incubation du coronavirus, et ensuite vous entrez sans risque dans la bulle. Si vous ne faites pas ça, vous êtes sur un autre modèle, comme au rugby ou pour la FIA. Et en Formule 1, on a eu le même problème. Certains pilotes, et non des moindres, ont été positifs comme Lewis Hamilton. Et quand Hamilton était rentré dans la bulle, il était négatif. La seule solution garantie à 100%, c'est celle de l'Open d'Australie."
Ce modèle de bulle, comme on a pu le voir aussi en NBA pendant près de quatre mois, est-il envisageable dans les mois à venir pour toutes les compétitions au long cours ?
EC : "C'est compliqué quand même de faire ça pendant des mois. Quelques semaines comme pour les Jeux Olympiques ou des Mondiaux, ou un mois comme un Euro de foot, auxquels vous ajoutez 14 jours de quarantaine, c'est le maximum acceptable pour les joueurs selon moi. En particulier, sur le plan psychique. Les enfermer pendant des mois, c'est les Jeux du cirque. Vous les enfermez dans le stade, ils sortent pour jouer et ils retournent dans leur cellule, ça c'est le temps des gladiateurs. Soit vous transformez les sportifs en gladiateurs des temps modernes, soit il reste un degré d'humanité dans tout ça et on ne peut pas les maintenir au-delà d'une durée maximum."
On ne peut donc pas parler d'entorses au protocole dans le cas du XV de France ?
EC : "Pas du tout, il a été très bien respecté ! Mais il y a des failles dans le système. Pour moi, ils ne pouvaient pas faire mieux compte tenu des impératifs psychologiques et économiques. Et il ne faut pas oublier que les rugbymens sont tenus de rejoindre leur club également. Qu'est-ce que dirait le Top 14 si les joueurs ne pouvaient pas rentrer entre les matches du 6 Nations ?"
"Les gens devraient revenir dans les tribunes, on se contamine au bistrot en face du stade, pas dedans"
C'est inquiétant non pour des compétitions comme les JO, non ?
EC : "Pour une compétition comme les Jeux Olympiques, c'est formel : il faut imposer une quarantaine de 14 jours. Cela permettrait par ailleurs aux athlètes d'accuser le décalage horaire, qui est un vrai problème pour les sportifs. On parle de les faire arriver trois jours avant, c'est complètement fou ! (Ndlr : le CIO a transmis aux athlètes le protocole dans lequel est indiqué un test 72h avant leur départ pour le Japon, mais pas de quarantaine imposée) Les athlètes vont dormir sur la piste… Surtout que les hôtels sont vides au Japon, autant les utiliser pour des bulles quarantaines de 14 jours, comme en Australie."
"Comme l'Etat n'en a rien à faire des avis du Conseil scientifique, on n'est pas sorti des ronces"
Le retour du public dans les stades ne semble pas d'actualité. Serait-ce dangereux aujourd'hui de ramener des spectateurs en tribunes sous conditions ?
EC : "Pas du tout, au contraire ! Je le dis depuis plusieurs mois : les gens devraient retourner dans les stades. On ne se contamine pas au stade, en extérieur, mais au bistrot en face du stade si je puis dire. C'est en lieu clos que les contaminations ont lieu. Le seul facteur de risque dans un stade, ce sont les toilettes. Mais avec une jauge, on pourrait très bien remplir le Stade de France avec 20 ou 25000 personnes, le Parc des Princes avec 10 000, 2 500 dans chaque tribune. Les gens seraient à plusieurs mètres les uns les autres. Les familles auraient plus de risques de se contaminer entre eux, plutôt que d'aller au stade. Ce sont des décisions politiques, pas sanitaires. Même les gens n'y comprennent plus rien. Et comme l'Etat n'en a rien à faire des avis du Conseil scientifique, on n'est pas sorti des ronces…"
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