Rugby : sélectionneur du XV de France, le pire job du monde ?
Après les deux défaites des Bleus, Philippe Saint-André est sur la sellette. Mais entre un calendrier chargé, les pressions des clubs du Top 14 et une presse à cran, son métier n'est pas une sinécure.
Soixante millions de sélectionneurs, et c'est tombé sur Philippe Saint-André. Le sélectionneur du XV de France a déjà droit à des articles comme celui du Parisien se demandant s'il est encore "l'homme de la situation", après le revers à domicile des Bleus dans le Tournoi des six nations, face au pays de Galles, samedi 9 février. Il est vrai que l'équipe de France réalise son pire début dans le Tournoi depuis 1982, avec deux défaites en deux matchs. Et le job de sélectionneur des Bleus du rugby n'est pas de tout repos. Voici pourquoi.
Une compétition couperet tous les ans
Didier Deschamps, le sélectionneur de l'équipe de France de football, n'a pas eu à se poser beaucoup de questions sur les objectifs qui lui étaient assignés. Qualifier les Bleus pour le Mondial brésilien de 2014, point barre. En revanche, Philippe Saint-André doit faire face à une multitude d'échéances d'ici au Mondial anglais de 2015, pour lequel la France est automatiquement qualifiée. Les Tournois des six nations chaque année, où le public français attend une des trois premières places avec l'Angleterre et l'Irlande et un Grand chelem de temps en temps. Et les tournées contre les pays de l'hémisphère sud à l'été et en automne, où il faut faire bonne figure face à la Nouvelle-Zélande ou à l'Australie, avec une équipe privée des cadors, ménagés à cette époque de l'année.
Une très forte exigence de jeu
Contrairement aux "pousse-citrouilles" (le doux surnom donné aux footballeurs), l'équipe de France de rugby a bâti sa légende sur un jeu très audacieux : la balle à l'aile, les relances à la main devant sa ligne d'embut... Et si possible, un essai du bout du monde, comme celui de 1994, entré dans la légende.
Toute équipe gagne-petit se fait reprendre de volée, même après un Grand chelem comme en 2010. Pourtant, la France joue de cette façon depuis une dizaine d'années. C'est le président de la fédération française de rugby, Pierre Camou, qui fixe la ligne directrice du mode de jeu des Bleus. En gros, Philippe Saint-André doit rompre avec l'ère Lièvremont, qui lui-même avait reçu comme feuille de route de rompre avec l'ère Laporte. Dans le texte, ça donne : "sortir d’un certain empirisme latin, qui a son charme, pour une organisation où chacun sait ce qu’il a à faire".
Une "fragile alchimie"
Qu'y a-t-il de plus difficile à bâtir qu'une équipe de rugby qui gagne ? Une équipe de rugby qui gagne deux ou trois fois de suite. C'est ce que Philippe Saint-André qualifie de "fragile alchimie". Après un début d'année 2011 encourageant pour la bande à Lièvremont, les Français avaient perdu à la surprise générale contre l'Italie, à Rome. Tout le projet de jeu bâti en vue de la Coupe du monde avait volé en éclat. "Ce match remet tout à zéro, soupirait Marc Lièvremont. Je suis désabusé." Philippe Saint-André est désormais dans le même état.
Pas de jurisprudence Jacquet
Chaque sélectionneur des Bleus du foot bénéficie de l'indulgence de la presse depuis la "jurisprudence Jacquet". Dès sa prise de fonction en 1994, jusqu'au mois de juin 1998, la presse et particulièrement le journal L'Equipe ont tiré à boulets rouges sur Aimé Jacquet. Le rédacteur en chef de l'époque a été jusqu'à déclarer qu'il "se fouetterait bien" si la France remportait le Mondial, rappelle Libération. Le fameux 12 juillet 1998, à Saint-Denis, Aimé Jacquet n'a pas fait que remporter la Coupe du monde, il a créé un bouclier qui protège encore son successeur quinze ans plus tard.
En rugby, c'est tout le contraire. Quel sélectionneur a bénéficié de l'indulgence de la presse lors de son entrée en fonction ? Au bout de quelques matchs ? A l'approche de la Coupe du monde ? Aucun. Marc Lièvremont, cité par 20 Minutes.fr, balayait les critiques d'un revers de main : "Je commence à être vacciné ! Si je devais m'énerver chaque fois que la presse, française ou étrangère, écrit ce genre de trucs..."
Sélectionneur, cet emploi fictif
Autre drame du job de sélectionneur : les exploits les plus retentissants du rugby français ont été accomplis alors que les joueurs fonctionnaient en autogestion. Le France-Nouvelle-Zélande de 1999 et l'accession en finale de la bande à Lièvremont, en 2011, coïncident avec la perte d'autorité du sélectionneur. Marc Lièvremont, qui a vécu le premier en tant que joueur et le second dans la peau du sélectionneur, y revient dans son livre, Cadrages et débordements. La performance de 1999 est résumée à : "je n'ai jamais partagé cette vision chevaleresque de l'épopée" ; quand à celle de 2011, elle serait liée à une de ses décisions : "si le terme d'autogestion a transpiré, le terme de responsabilisation me paraît plus approprié. Parce qu'elle est venue de mon fait."
Un championnat envahissant
Le dernier problème du sélectionneur, c'est la place accordée au championnat. Entre les déplacement cruciaux des Bleus en Angleterre et en Irlande, le calendrier réserve le 2 mars un... Toulon-Toulouse, affrontement entre les deux plus gros pourvoyeurs de joueurs du XV de France. Sans parler du fait que le Top 14 continue pendant le Tournoi, alors que les joueurs étrangers sont libérés bien plus tôt pour préparer la compétition. Dès l'an 2000, Bernard Laporte mettait sa démission dans la balance pour obtenir que l'équipe nationale soit la priorité, rappelle Le Nouvel Observateur. En vain. Depuis, rien n'a changé, ou presque. Résumé de Philippe Saint-André : "On a l'impression que quand on prépare les compétitions, les autres font un 100 mètres et nous un 110 mètres haies."
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