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Pourquoi le coup de poing de Sébastien Chabal vous choque (alors qu'il ne devrait pas)

Le barbu le plus célèbre du rugby français a envoyé un adversaire au tapis samedi contre Agen. Dérapage ou simple vestige du rugby d'antan ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Sébastien Chabal (maillot noir) résiste à la charge de deux joueurs d'Agen lors du match Agen-Lyon, le 14 décembre 2013. (MAXPPP)

L'évènement a éclipsé les performances des clubs français en coupe d'Europe. Au cours d'un match de pro-D2 entre Lyon et Agen samedi 14 décembre, Sébastien Chabal a donné un coup de poing à un adversaire, l'Agenais Marc Giraud, sorti du terrain sur une civière.

Le barbu le plus célèbre du rugby français a écopé d'un carton jaune. L'affaire suscite une immense émotion, et Chabal pourrait être suspendu pendant 52 semaines, sanction maximale prévue pour son geste. Autant dire, à 36 ans, la fin de sa carrière. Mais pourquoi tant de bruit autour d'un geste assez banal dans l'imagerie du rugby ? Eléments de réponse. 

"J'étais content de sortir du terrain vivant"

Le rugby est "un sport de brutes joué par des gentlemen", pour reprendre la formule consacrée. Les instances dirigeantes ont successivement interdit le coup de pied dans la figure dans les années 1830, la "fourchette" - les doigts dans les yeux de l'adversaire - quarante ans plus tard, la "cravate" - un plaquage au niveau du cou - au début du XXe siècle, le coup de genou dans la tempe en 1995 et le "plaquage cathédrale" (soulever un joueur pour le projeter au sol, façon catch) en 2006. Reste que le rugby est un sport de combat, comme le rappelle le légendaire Daniel Herrero sur le site spécialisé Le Rugbynistère : "Quand tu rentres sur un terrain de rugby, tu ne sais jamais comment tu vas en ressortir."

La violence a longtemps fait partie du folklore de l'ovalie. Surtout en France. Comme l'atteste la phrase de Walter Spanghero, sortant du terrain le maillot couvert de sang en 1973, qui se félicite de son côté Cyrano de Bergerac : "Heureusement que j'avais ce nez, sinon, ce coup de poing, je le prenais dans la gueule."

Dans The Observer (en anglais), le deuxième ligne néo-zélandais John Daniell raconte son passage dans le rugby français, au Racing et à Perpignan, entre 1997 et 2002 : "Pour mon premier match, j'étais content de sortir du terrain vivant. Dès la deuxième minute, mon nez s'est répandu sur mon visage…" Autre souvenir de John Daniell, une large victoire de son équipe contre un adversaire réduit à 14 pour brutalité. "Le président est venu nous engueuler dans les vestiaires pour nous dire qu'un type qui s'attaque à l'un des nôtres ne doit sortir du terrain que sur un brancard."

"En 1990, il y avait trois 'poires' par match"

"Un carton jaune pour une 'poire', ça ne me choque pas, estime l'ancien pilier international Sylvain Marconnet, contacté par francetv info. Sébastien Chabal doit écoper de deux ou trois semaines de suspension, pas plus, au-delà c'est un scandale. Dans le rugby d'il y a quinze ans, il y en avait quinze comme ça lors de chaque journée de championnat. Et dans le rugby d'il y a vingt-cinq ans, c'était trois par match."

Qu'est-ce qui a changé entre-temps ? L'arrivée du professionnalisme et des caméras de télévision. La raréfaction des incidents ne fait qu'augmenter leur caisse de résonance médiatique. Encore plus auprès du nouveau public du rugby, celui qui a découvert ce sport avec le calendrier des Dieux du Stade plutôt qu'avec la tortue béglaise. "Les règles du jeu se sont transformées sous l'effet de causes externes. La sensibilité à la violence, par exemple, a considérablement augmenté et il a fallu donner une partie de l'arbitrage à la télévision, au grand public", expliquait déjà en 2000 l'universitaire Alain Garrigou dans Le Monde.

En Australie, dans les années 1980, les téléspectateurs découvrent la télévision en couleur, les ralentis… et, lors des matchs de rugby télévisés, les maillots tachés de sang et les fourchettes dans les mêlées. Conséquence : l'audience du rugby s'effondre, expliquent les universitaires Brett Hutchins et Murray Phillips dans leur thèse Selling Permissible Violence (en anglais). La Rugby League prend alors un virage à 180 degrés, en durcissant les règles du jeu et en lissant son image. Pour preuve ce spot publicitaire de 1989 mettant en scène Tina Turner, une famille nombreuse qui assiste aux matchs, et des joueurs de rugby - déjà - sexualisés. Le public suit, et le rugby retrouve son audience d'antan. 

La France suit le même chemin, quelques décennies plus tard. Beaucoup de spectateurs initiés regrettent l'aseptisation de leur sport. "Pour eux, quand on renvoie aux valeurs de l'ovalie, tant vantées par la publicité, il est difficile de prendre les choses positives, comme la solidarité qu'on voit dans les pubs pour les assurances, sans prendre les autres, fondées sur le combat, explique à francetv info Julien Fragnon, qui a écrit une thèse sur la violence dans le rugby.

Mais les coups de poing ne sont pas acceptés partout par les amoureux du ballon ovale. Lors du banquet d'après-match après un Montpellier-Toulon fin 2011, le 3e ligne varois Olivier Missoup a violemment boxé son homologue héraultais Rémy Martin. "Et dans ce cas précis, on est sorti des règles tacites de l'ovalie, note Julien Fragnon. On a le droit de se mettre dessus, mais uniquement sur le terrain." Pas touche à la sacro-sainte troisième mi-temps… qui elle aussi a tendance à disparaître à cause du professionnalisme.

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