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Rugby : pourquoi les buteurs ont-ils autant de tics ?

Vous connaissiez Jonny Wilkinson et sa drôle de position avant de frapper. On est passé à un stade supérieur. Et il y a une bonne raison à cela. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le buteur anglais Jonny Wilkinson lors du match Angleterre-Ecosse comptant pour le précédent Mondial, le 1er octobre 2011 à Auckland (Nouvelle-Zélande). (RYAN PIERSE / GETTY IMAGES)

Dan Biggar a crevé l'écran lors du match de Coupe du monde Angleterre-Pays de Galles, samedi 27 septembre. Grâce à ses 23 points, décisifs pour la victoire galloise, mais aussi grâce à son drôle de rituel avant de buter : jeter des brins d'herbe, se passer la main sur les épaules, le visage, dans un ordre très précis, avant chaque coup de pied. Une sorte de lointain remake de la Macarena.

En face, son rival anglais Owen Farrell jetait son coup d'œil en coin caractéristique, mais particulièrement effrayant, vers les poteaux.

Mais pourquoi les buteurs adoptent-ils un rituel si sophistiqué ? 

Buteur, un job de "maso"

Dans les temps anciens de l'Ovalie, les buteurs ne participaient guère au jeu, et se traînaient avec des chaussures à bout carré renforcé en fer, pour assurer les coups de pied. Depuis, on a inventé le tee, le petit support en plastique que chaque buteur customise pour l'adapter à son coup de pied, et l'amateurisme de papa a laissé la place à un professionnalisme débridé. Les pénalités représentent environ 45% des points marqués dans chaque match, une manne de points à ne pas prendre à la légère. 

C'est le taux de réussite du buteur qui déterminera souvent la victoire ou la défaite de son équipe. "Il faut être un peu maso pour être buteur", reconnaît Dimitri Yachvili, demi de mêlée du XV de France dans les années 2000. Aujourd'hui, Philippe Saint-André impose à Frédéric Michalak un taux de réussite de 80% face aux perches, sous peine de perdre sa place de titulaire. 

Le rituel, le truc en plus des meilleurs buteurs

Une partie de la réussite des buteurs tient dans leur capacité à faire le vide au moment de frapper le coup de pied décisif. L'entraînement permet d'y parvenir – les buteurs des Bleus ont enquillé les tirs après des séances d'entraînement très dures – mais le rituel d'avant frappe y contribue tout autant. Dans le jargon, on appelle cela une routine pré-performance. Une étude britannique de 2001 montre que les sportifs qui ont un rituel établi depuis des années sont moins sensibles à la pression et commettent moins d'erreurs. "Quand mon cœur bat très vite au point que mon maillot se soulève, je parviens à mettre ça dans un coin de ma tête sans que cela me déconcentre", explique Jonny Wilkinson à la BBC.

Et cela fonctionne : le chef du département de performance des All Blacks a démontré, chiffres à l'appui, que le taux de réussite de Jonny Wilkinson augmente lors des coups de pied décisifs. Lors du match Angleterre-Pays de Galles, le Gallois Dan Biggar et sa Macarena ont fini à 100% de succès quand les statistiques ne lui en prédisaient que 82%. 

Enfin, cela fonctionne quand le buteur a le temps de procéder à son rituel. Parlez-en au buteur de Brive Gaëtan Germain, lors d'un match à Grenoble, en novembre 2014. Son équipe venait de marquer un essai à 1'30 de la fin du match. Si la transformation passait, Brive remportait la victoire. Mais le joueur a mis du temps à tenter sa chance, à cause de crampes et d'un tee qui n'arrivait pas. Il ne lui restait que vingt secondes pour tirer... "Je n'ai pas pu faire ma routine", confiera-t-il à L'Equipe (article abonnés). Son coup de pied, précipité, part à quatre secondes de la fin du temps réglementaire, et file à côté des poteaux. 

Canard, ski de fond et Robocop

Beaucoup de joueurs ont cherché à copier le rituel de Wilkinson – approche en canard, corps penché vers l'avant –, qui lui-même s'inspirait du demi d'ouverture gallois Neil Jenkins. D'autres ont adopté un rituel... plus exotique, comme le numéro 10 de Gloucester Rob Cook à la technique façon "ski de fond" particulière. 

Dans le top 14, c'est l'ex-buteur castrais Romain Teulet qui récolte tous les suffrages. Ne le surnommait-on pas Robocop quand il sévissait sur les terrains ? N'empêche, il est encore aujourd'hui le meilleur buteur du championnat de France. 

Avoir son rituel, c'est bien, avoir le bon rituel, c'est mieux. Les chercheurs se sont penchés sur le geste qui allierait confiance et efficacité. D'après une étude de l'université de Bath relayée dans Science Daily, les buteurs droitiers qui balancent leur bras gauche sur leur poitrine pendant leur frappe sont les plus précis, car ce mouvement leur permet de mieux contrôler leur course d'élan. C'était le cas de Jonny Wilkinson, mais on s'en doutait un peu. N'allez pas croire que le prodige anglais a élaboré son rituel tout seul en se levant le matin. Il a fait appel à un conseiller, Dave Alred, qui l'a suivi depuis ses 16 ans, pour toujours s'améliorer face aux perches. "Regardez les images de 1998 [au début de sa carrière] et vous verrez que mes bras sont plus écartés du corps. Chaque année, ils se sont rapprochés, (...) jusqu'à ce que je trouve ma position optimale", confie-t-il au Guardian

S'il fallait une dernière preuve pour vous convaincre qu'il ne s'agit pas d'un gadget, sachez que les concepteurs du tout premier robot buteur, créé dans une université néo-zélandaise, lui ont programmé un rituel avant chaque coup de pied en s'inspirant des études sur la question. 

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