Coupe du monde de rugby : Rassie Erasmus et Jacques Nienaber, le duo de coachs qui a permis la renaissance des Springboks

Le directeur du rugby sud-africain et le sélectionneur des Springboks travaillent ensemble depuis près de 20 ans, une histoire d'amour professionnelle entre deux caractères opposés qui sont à 80 minutes de revivre le bonheur suprême.
Article rédigé par Cédric Hermel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Jacques Nienaber (à gauche) et Rassie Erasmus (à droite) avant le quart-de-finale de la Coupe du monde de rugby 2023 entre l'Afrique du Sud et la France, le samedi 15 octobre 2023, au stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (DAVID RAMOS / WORLD RUGBY / GETTY)

L'un ne va pas sans l'autre. Quand Rassie Erasmus apparait à l'écran, Jacques Nienaber n'est jamais très loin, et vice versa. Cela fait près de vingt ans que les deux hommes se suivent sur le bord des terrains, depuis que Johan Erasmus, de son vrai nom, a été nommé en 2005 à la tête de la franchise des Cheetahs, basée à Bloemfontein en Afrique du Sud. Aujourd'hui, les deux hommes sont à la tête des Springboks et à 80 minutes d'un quatrième titre de champion du monde. Une histoire d'amour rugbystique, teintée d'uniforme kaki et de coups tactiques, entre deux caractères diamétralement opposés.

Une rencontre à l'armée avant le rugby

Leurs destins se croisent pour la première fois au début des années 1990 pendant le service militaire que les deux hommes ont effectué ensemble dans la région de Bloemfontein. "On s'est rencontrés il y a longtemps, à l’armée, confirmait Nienaber au site de World Rugby en 2019. L’armée, ça rapproche. Et puis, on est allés à l’université ensemble. Il était bien meilleur que moi quand on était à l’armée." Leurs chemins se séparent quelques années : Erasmus devient un Springbok à 36 reprises entre 1997 et 2001 quand Jacques Nienaber devient physiothérapeute avant de se muer en préparateur physique. Un comble pour l'ancien étudiant du Grey College de Bloemfontein, grande pourvoyeuse de Springboks : Ruben Kruger, François Steyn, Bismarck et Jannie du Plessis, Cobus Reinach y sont tous passés avant de devenir champion du monde sous le maillot vert et or. Nienaber délaisse, lui, la balle ovale pour le cross-country.

Rassie Erasmus (ballon en main) sous le maillot des Springboks lors du match pour la troisième place de la Coupe du monde 1999, face à la Nouvelle-Zélande, le 4 novembre 1999. (WILLIAM WEST / AFP)

De joueur, Rassie Erasmus devient, lui, coach au milieu des années 2000. "C'était déjà un très bon tacticien à l'armée, comme vous pouvez le voir", confiait Jacques Nienaber il y a quatre ans. En 2005, l'ancien troisième-ligne passe de l'autre côté du terrain et devient entraineur de la franchise des Cheetahs et veut l'actuel sélectionneur des Springboks dans son staff. Le résultat en sera une période dorée : la franchise à la panthère qui n'a rien gagné pendant presque 30 ans, remporte la Currie Cup (l'équivalent du Top 14 en Afrique du Sud) deux années d'affilée, en 2005 et 2006. Un succès qui amène Rassie Erasmus à partir de Bloemfontein en 2007, direction Le Cap. La Western Province, l'une des franchises les plus prestigieuses du pays, le débauche. Qui suit le "barjot" Erasmus au Cap ? Jacques Nienaber, évidemment, toujours dans le staff de l'ancien Springbok en tant que préparateur physique. Ils y resteront jusqu'en 2010, sans aucun titre dans leur besace. 

Un "barjot" et un "taiseux" qui innovent

Le duo détonne déja, à l'époque. Des étincelles provoquées par un ancien rugbyman exubérant (Rassie Erasmus) et un taiseux qui n'a jamais joué au rugby (Jacques Nienaber). Des caractères opposés qui s'entendent à merveille et innovent. Lors de leur passage aux Cheetahs, Erasmus est surnommé "DJ Rassie" parce qu'il installe, sur le toit du stade, des boules disco dont la lumière change de couleur, chaque couleur indiquant aux joueurs les choix à faire sur le terrain. "Au départ, il s’agissait de simples cônes de couleur, explique Rassie Erasmus dans son autobiographie, relayée par nos confrères du Midi Olympique. Des cônes que l’on levait depuis le bord du terrain pour communiquer avec les joueurs et leur commander une stratégie : jaune pour maul, rouge pour jouer au ras, bleu au large. (...) Et finalement, on installa des spots lumineux sur le toit de notre stade."

Une boule disco réutilisée lors de l'entrée en matière des Sud-Africains dans le Mondial 2023 face à l'Écosse, le 10 septembre dernier. "Ils ne font rien au hasard, explique l'ouvreur Handre Pollard au Parisien. (...) Lorsqu’ils nous proposent des idées, on ne pose pas de question. Ils nous expliquent pourquoi on fait ce que l’on fait et on suit leurs consignes." Des anti-conformistes qui s'exilent en Irlande, lorsque Rassie Erasmus est nommé entraîneur de la province du Munster, en 2016. Le duo y restera un an et demi permettant à la "Red Army" d'aller en finale du Pro12 (championnat des provinces irlandaises, écossaisses et galloises) en 2017.

Cet intermède irlandais a d'ailleurs vu un Français passer quelques semaines du côté de Limerick. Ce Français n'est autre que l'actuel sélectionneur des Bleus, Fabien Galthié. Celui qui vient alors d'être embauché par Toulon a "assisté à toutes nos réunions tactiques et stratégiques", a confirmé Nienaber il y a quelques semaines. L'objectif de la manoeuvre : se nourrir des innovations tactiques et techniques testées par le duo sud-africain.

Jacques Nienaber (en rouge, à gauche) et Rassie Erasmus (en rouge, au centre) lors d'un entrainement du Munster, à Limerick, le 22 mai 2017. (DIARMUID GREENE / SPORTSFILE)

Mais ce qui fait la qualité du duo, c'est sa complémentarité. Quand Rassie Erasmus est direct et parfois agressif, Nienaber est calme, mesuré, diplomate. "Il est très bon avec les joueurs, notamment pour communiquer avec eux", a estimé Rassie Erasmus en conférence de presse. Ça tombe bien, les joueurs l'adorent, comme Siya Kolisi : "Une des choses que j'adore à propos de Jacques, c'est qu'il va bien plus loin que ce qu'il se passe sur le terrain, a avoué le capitaine des Springboks en conférence de presse. (...) Il me connait moi, ma famille, les raisons pour lesquelles je fais ce que je fais. Je pourrais donner tout ce que j'ai, pour lui sur le terrain parce qu'il prends soin de nous". Ajoutez à cela "sa passion, sa connaissance du rugby et son éthique de travail", comme l'affirme Rassie Erasmus, vous obtenez un un binôme qui a remis le rugby sud-africain au sommet.

La nomination du duo, un tournant pour les Springboks

Un peu plus d'un an après leur arrivée en Irlande, Nienaber et Erasmus sont appelés au chevet des Springboks en 2018, le premier comme entraîneur de la défense, le deuxième comme sélectionneur. À l'époque, les Sud-Africains ne sont pas encore triple champions du monde et végètent à la 6e place du rugby mondial. Qu'à cela ne tienne : le duo "Nienasmus" met en place ses méthodes de travail et ses tactiques. Le mot d'ordre ? "Je me fous de la couleur de peau de mes joueurs. S’ils sont bons, ils jouent. Sinon, non", assène Rassie Erasmus dans son autobiographie, publiée cette année. C'est en suivant cette ligne de conduite qu'il decide de faire de Siya Kolisi le premier capitaine noir des Springboks. 

"Siya était le capitaine des Stormers (province sud-africaine basée au Cap, ndlr) et se trouvait dans la forme de sa vie, se justifie l'ancien troisième-ligne. Il cochait toutes les cases, point. À aucun moment, je me suis dit que j’étais en train d’écrire l’histoire du rugby sud-africain. Je n’en avais rien à foutre." Cette nomination a fait beaucoup parler et a fini par payer puisque celui qui jouera au Racing 92 après le  Mondial, soulève le trophée Webb-Ellis en 2019. Des Springboks replacés sur le toit du monde en grande partie grace au duo Nienaber-Erasmus qui continue sa mission après la Coupe du monde 2019 mais des rôles différents. Le "taiseux" Nienaber devient sélectionneur, le "barjot" Erasmus devient directeur du rugby et continuent de travailler main dans la main jusqu'à la fin de la Coupe du monde 2023.

Jacques Nienaber va intégrer le staff de la province irlandaise du Leinster à la fin de la compétition. Il reste donc quelques heures aux amis de trente ans avant la fin de leur histoire commune. Peut-être, qui sait, verra-t-on encore des boules disco dans l'enceinte de stade de France, samedi 28 octobre, face à la Nouvelle-Zélande.

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