Coupe du monde de rugby : Fabien Galthié et ses "finisseurs", changement de considération pour les remplaçants ou simple terme "marketing" ?
"Flèche du temps", "émulation", "ovnis"... Depuis sa prise de fonction sur le banc du XV de France, Fabien Galthié s'est appuyé sur une terminologie qui lui est propre. Parmi ces éléments de langage, le sélectionneur a popularisé l'expression de "finisseur". Traduction presque littérale de l'anglais "finisher", elle désigne ceux qui entrent en jeu pour relayer les titulaires et apporter un nouveau souffle à l'équipe.
Pendant toute la phase de poules du Mondial, les finisseurs ont d'ailleurs été loués par le staff et les joueurs pour leur apport, souvent décisif, sur les fins de match. Le terme représente-t-il une véritable vision particulière pour les remplaçants ? Ou s'agit-il simplement d'un élément de langage pour mieux faire passer la pilule de démarrer sur le banc ?
"Contre n'importe qui, n'importe quand, n'importe où"
La première explication du terme de finisseur dans la bouche de Fabien Galthié remonte à l'éphémère Autumn Nations Cup de 2020. Avant le match contre l'Ecosse, fin novembre, il avait défini leur rôle comme être prêt "contre n'importe qui, n'importe quand, n'importe où". Le staff avait alors décidé, pour lancer cette nouvelle compétition, de titulariser l'habituel banc, en gage de reconnaissance du travail effectué par les seconds couteaux sur ce début de mandat.
"S'il a mis ça en place, c'est pour une raison, Fabien Galthié n'est pas une personne qui laisse les choses au hasard", prévient Thierry Dusautoir, ancien capitaine des Bleus. Pour Joris Vincent, historien du rugby à l'université de Lille, le sélectionneur utilise ce terme d'abord d'un point de vue médiatique, pour se positionner de manière différente par rapport à ses prédécesseurs.
Le mot finisseur permet aussi de mettre l'accent sur le rôle stratégique des entrants. "C'est dans un but psychologique. Le remplacement n'est pas par défaut, mais dans un fonctionnement collectif", explique l'historien. A travers l'appellation de finisseur, Fabien Galthié change donc l'approche de la gestion de son groupe. "En équipe nationale, on a un groupe de joueurs qui sont des compétiteurs, qui n'ont pas l'habitude d'être dans cette position de finisseur. C'est peut-être une façon de la faire accepter plus facilement", expose l'ex-capitaine du XV de France.
Cette dimension peut aussi se voir dans les autres emplois du mot finisseur, selon Joris Vincent. "On peut aussi le lier aux finishers dans les sports extrêmes, dans l’ultra trail par exemple. Globalement, c’est arriver au sommet et à l'extrémité de la performance. Ces joueurs-là vont y participer et faire un travail extraordinaire", avance l’historien.
De plus en plus d'impact sur le terrain
Dans les faits, et sur le terrain, l'utilisation de l'appellation de finisseurs s'est accompagnée d'une grande importance accordée aux remplaçants en équipe de France. Si Fabien Galthié et son staff ont longuement travaillé à la construction d'une équipe-type, ils ont aussi affiné le banc, chargé de finir le travail. Après une première partie de mandat marquée par des défaites concédées dans les dernières minutes (contre l'Ecosse et l'Angleterre lors du Tournoi 2021, à deux reprises en Australie lors de la tournée d'été la même année), les Bleus et les finisseurs ont travaillé pour en devenir des spécialistes.
"C'est la qualité de cette équipe de France : dès que les remplaçants entrent, ils font la différence et, surtout, ils maintiennent le même niveau que les titulaires."
Dimitri Yachvilià franceinfo: sport
Cette dynamique vient aussi du fait que les Bleus bénéficient d'une profondeur d'effectif assez remarquable, avec de nombreuses individualités aux épaules de titulaires. En 13 matchs en 2023, ils ont ainsi inscrit 15 essais après la 60e minute de jeu, dont quatre par un finisseur. A l'image du match d'ouverture du Mondial contre la Nouvelle-Zélande, remporté en partie grâce au second souffle apporté par le banc. "C'est un très bon exemple, avec une blessure rapide de Julien Marchand suppléé par Peato Mauvaka qui a fait une superbe entrée, Arthur Vincent avait fait une bonne entrée avec des grattages...", rembobine Vincent Clerc, consultant pour France Télévisions. A titre de comparaison, un 2020, un seul finisseur avait réussi à inscrire l'un des huit essais bleus aplatis dans les 20 dernières minutes.
La "science" du remplacement
Mais la tendance ne concerne pas que l'équipe de France. De manière globale, le jeu moderne demande toujours plus des remplaçants, introduits en 1968. Avec le développement de la dimension physique, le rugby est aujourd'hui devenu un sport qui se joue à 23 plus qu'à 15. Dans le vocabulaire anglophone, la notion d'"impact player" s'est ainsi elle aussi développée pour désigner les entrants et leur impact sur le terrain.
"Entrer et savoir gérer la fin du match, encore plus à l'échelon international, c'est capital. A ce niveau, on sait que les rencontres se gagnent vraiment sur la fin", expliquait déjà Demba Bamba début 2020. Sur la planète ovalie, les remplaçements sont maintenant bien pensés et codifiés, à tous les niveaux. "Leur rôle est important puisqu'il permet de faire des ajustements tactiques, et un rééquilibrage d'intensité physique. Le remplacement est devenu une science, c'est une expression très significative", note Joris Vincent.
Une science au sein de laquelle les entrants ont toute leur place, qu'il soient appelés remplaçants ou finisseurs. Nul doute qu'ils seront eux aussi attendus au tournant sur la pelouse du Stade de France dimanche soir face aux Springboks.
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