Menaces sur la Coupe d'Europe
Des airs de déjà-vu
Le conflit actuel à des airs de déjà-vu. D'un côté, une coalition franco-anglaise de clubs estimant fournir la majorité du spectacle et de revenus, sans en tirer les bénéfices proportionnels. De l'autre, des Celtes - Irlandais, Gallois, Écossais - et Italiens qui ne brillent guère par leurs résultats (à l'exception des Irlandais) mais pèsent lourd dans la gouvernance de l'European Rugby Cup (ERC ), société commerciale organisatrice des tournois. En 2006 déjà, les clubs français représentés par Serge Blanco à l'époque, et les Anglais, réclamaient une plus grosse part du gâteau européen, puis en 2007, une meilleure répartition du pouvoir. Un accord avait été alors signé pour sept ans en mai 2007 après plusieurs mois de bras de fer sur fond de menace de boycott. Puis il a été dénoncé en juin 2012, respectant le préavis de deux ans requis, dans le but d'établir un nouveau protocole à l'horizon de la saison 2014-2015.
Une affaire de gros sous
Dans ce nouveau dossier, même s'il semble s'agir avant tout d'une affaire financière, les pierres d'achoppement sont multiples. La première concerne les formules des compétitions, notamment celle de la Coupe d'Europe qui met aux prises actuellement 24 clubs répartis en six poules de quatre: six sont issus du Top 14, six du championnat anglais, onze de la Ligue celtique auxquels il faut ajouter le vainqueur de la précédente édition. Les Français et les Anglais réclament un passage à 20 clubs et un vrai processus de qualification au sein de la Ligue celtique qui envoie donc 11 de ses 12 clubs.
L'autre point de blocage concerne les droits télévisuels. Contre l'avis de certains de ses actionnaires, l'ERC a prolongé son contrat avec Sky jusqu'en 2018. En parallèle, les clubs anglais ont, eux, vendu les droits de leurs matches à British Telecom, dans le cadre d'un "package" global incluant aussi le championnat. Un contrat qualifié d'"illégal" par l'ERC et qui mène à un imbroglio juridique. Il y a bien sûr aussi la question de la répartition financière des bénéfices, que les Français et Anglais souhaiteraient voir réévaluer en leur faveur. En 2011-2012, la Ligue nationale de rugby a ainsi touché 11,3 millions d'euros de l'ERC , dont 8,7 M EUR ont été ventilés entre les clubs.
Enfin, flotte aussi sur l'affaire un parfum plus politique. L'alliance franco-anglaise reproche à l'ERC "une attirance" celte, n'hésitant pas à souligner que le siège est à Dublin et que le président français Jean-Pierre Lux, s'était fait réélire en 2011 avec les voix des Gallois, Irlandais et Ecossais...mais sans le soutien de la Ligue Nationale de Rugby ! D'ailleurs, longtemps vice-président de la LNR, Lux n'a pas été réélu au comité directeur en novembre 2012. Et cette semaine, le Français, président de l'ERC depuis 1999, a annoncé qu'il ne se représenterait pas pour un nouveau mandat à l'expiration de l'actuel en juin 2014. "Tout le monde sait que mon mandat s'achève à la fin de la saison. Quel que soit le futur, ce sera terminé pour moi", a déclaré l'ancien centre international qui compte 47 sélections sous le maillot du XV de France entre 1967 et 1975. "Je n'ai pas envie dans les conditions actuelles de me représenter. On se trouve dans des compétitions dirigées par les Fédérations et où deux Ligues veulent exister et veulent même le pouvoir", relève ainsi M. Lux. "Dans la mesure où les accords sont mis en place pour une durée de cinq, six, sept ans selon les cas avec, deux ans avant l'échéance, la possibilité de les dénoncer, on vit pratiquement dans un climat d'affrontement permanent", poursuit-il, rappelant le conflit de virulence similaire en 2007.
Et maintenant ?
Les clubs français et anglais engagés dans leur championnat respectif estiment qu'il y a urgence car ils ne savent pas encore quelles places seront qualificatives pour les éditions 2014-2015 de la Coupe d'Europe et du Challenge européen... si les compétitions ont lieu. En effet, les Français et les Anglais menacent de boycotter les compétitions ERC et avancent même la possibilité de créer leurs propres tournois, à leurs conditions et ouverts aux autres nations. A la Ligue nationale, en France, le discours est ferme et on assure que l'alternative est crédible - "on n'est plus dans la posture, mais dans l'action". Outre la difficulté de créer aussi rapidement ces nouvelles compétitions, compte tenu des aspects sportifs, organisationnels, marketing...il faut également obtenir l'agrément de l'IRB, organe suprême du jeu. Il sera aussi impératif de trouver une solution au contrat télé BT/Premiership, qui ne pourra pas être longtemps gardé sous le tapis. Quelle sera l'attitude des Fédérations, également actionnaires de l'ERC ,face à la dissidence des clubs ? La FFR, par exemple, touche environ 10% du surplus annuel versé par l'ERC à la LNR. Quelle serait alors sa part dans une nouvelle formule ?
Dans la tempête, l'ERC s'efforce de temporiser. Réunies à Dublin en comité directeur, les parties ont "acté" un retour à la table des négociations, plus de trois mois après les derniers pourparlers. Mais de son côté, dans une interview à The Observcer, le directeur général de la PremierShip est passé outre cette possibilité de rentrer dans le rang en affirmant: "Nous commençons à organiser une nouvelle compétition avec les Français. La Coupe d'Europe est une compétition de clubs et devrait être dirigée par les clubs". Derrière tout cela, on voit bien qu'il s'agit avant tout d'une affaire de droits et de gros sous. Une conception qui pose évidemment problème pour l' Écosse et l'Irlande, qui alignent en Coupe d'Europe des équipes de Provinces et non de clubs.
Pour l'heure, la prochaine Coupe d'Europe démarrera comme prévu le 10 octobre. Mais si les négociations n'aboutissent pas et si les dissidents anglais et français restent sur leurs positions, ce pourrait bien être la dernière Coupe d'Europe dans son format habituel. Du côté de l'ERC, il y a désormais urgence à trouver un compromis, car une compétition européenne sans Anglais ni Français n'aurait évidemment que très peu d'intérêt.
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