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Reportage Traumatismes crâniens dans le sport : à Rosny-sous-Bois, un ostéopathe traite les séquelles des commotions cérébrales grâce à son propre protocole

Faute de trouver une solution auprès de spécialistes de la médecine, certains patients décident de s'en remettre à un ostéopathe pour apaiser leur douleur.

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
L'ostéopathe Bruderick Nsiete et Marina Olarte, ancienne judokate, lors d'une séance de soins en 2018. (SEVERINE MORIN / FRANCEINFO: SPORT)

En ce vendredi soir, à Rosny-Sous-Bois, le cabinet d'ostéopathie est presque vide. Dans une petite salle de consultation, située au fond du cabinet, Bruderick Nsiete réalise une séance un peu particulière avec Catherine, l’une de ses patientes. Exercices de dessins et cryothérapie sont au programme.

Catherine est atteinte d’une encéphalopathie traumatique chronique (ETC). Cette maladie neurodégénérative progressive, causée par des commotions cérébrales à répétition, entraîne un dysfonctionnement du cerveau. Souvent complexe à déterminer lors des examens, elle se manifeste par des symptômes hétéroclites, irréguliers, et sans lien apparent. Dans la liste figurent les maux de tête, la fatigue, l'insomnie, les troubles de la concentration, de la mémoire, de l’équilibre, et du comportement, la dépression, les nausées, l'incapacité à lire, à écrire ou à calculer, l'irritabilité, ou encore la schizophrénie, la bipolarité, et la dépendance.

Dès lors, le mal sème quasi systématiquement le trouble chez les médecins. "Cette maladie est mal connue et donc, arrive très tard dans l'élaboration du diagnostic", souligne François Lhuissier, président de la Société française de médecine de l'exercice et du sport.

Les hémisphères touchés, les neurones altérés

"Le plus dur, c’est de ne pas savoir ce que l’on a et que les gens ne comprennent pas. Ma femme pensait que c’était de l’ordre du psychologique. Elle voulait que j’aille en maison de repos", confie Marc. A 54 ans, cet enseignant a subi deux commotions cérébrales à vingt ans d’intervalle. Comme Catherine, il est suivi par Bruderick Nsiete, ostéopathe de métier, une profession non reconnue par l'Ordre des médecins. Comme un dernier recours contre la souffrance.

Physiologiquement, que se passe-t-il ? Lors d’un choc à la tête, le cerveau va heurter la boite crânienne, faisant ainsi apparaître un hématome pas toujours visible à l’imagerie, synonyme de lésions des cellules. "Chaque hémisphère du cerveau est en charge d’une ou plusieurs fonctions du corps. Quand un hémisphère est atteint, ça va altérer plus ou moins durablement les neurones, selon la violence de l’impact et de la fréquence des coups. C’est l’apoptose, une mort cellulaire programmée", explique Bruderick Nsiete. 

Ainsi, un individu qui reçoit un ou plusieurs coups au niveau de l’hémisphère frontal pourra ensuite manifester des difficultés à gérer ses émotions et avoir des troubles du comportement. Cependant, une commotion cérébrale ne se traduit pas forcément par des troubles cliniques immédiats. Elle peut se résorber sans séquelles apparentes, mais le patient restera fragilisé à vie, souligne l'ostéopathe. Le(s) prochain(s) choc(s), dans un temps plus ou moins long, signera l’entrée officielle dans la maladie. 

Un protocole validé par un neurochirurgien

Si de nombreux athlètes sont victimes de commotions cérébrales, et donc d’ETC pour certains, la plupart des patients suivis par Bruderick Nsiete ne sont pas des sportifs de haut niveau. Quatre fois par semaine, après sa journée de consultation, l'ostéopathe les prend en charge dans son cabinet, bénévolement.

Si la maladie est reconnue, la Haute autorité de santé n'a émis aucune recommandation concernant l'ETC. D'ailleurs, "aucun protocole de soin n'a été établi", appuie François Lhuissier. Bruderick Nsiete a donc voulu pallier ce manque. Alors qu’il n’était encore qu’étudiant, voilà douze ans, il a été confronté à la pathologie, sans pour autant être capable de la résoudre. Ce n’est qu’en 2017 qu’il a trouvé la pièce manquante du puzzle, en étudiant le cas de Lucas, fils de sa collègue sage-femme, Séverine Morin. Le garçon, qui a pratiqué le hockey sur glace pendant plusieurs années, a été victime de plusieurs commotions cérébrales. Il souffre de multiples symptômes.

"En l’observant au quotidien et constatant l’échec de différents autres protocoles, j’ai réussi à faire un lien avec les cas que j’avais eus par le passé."

Bruderick Nsiete, ostéopathe

à franceinfo: sport

Le protocole repose sur trois éléments : la cryothérapie et le repos pour soulager les douleurs ; l’oxygénothérapie pour interrompre la mort des neurones ; la rééducation pour une cicatrisation sur le long terme. "Depuis le début du protocole, j’ai suivi une vingtaine de patients", souligne Bruderick Nsiete, qui dit adapter ses séances en fonction de l'histoire et des maux de chacun. 

Le protocole a été validé par Jean Chazal, neurochirurgien à Clermont-Ferrand, l'un des premiers à avoir alerté sur le danger de la violence des chocs dans le sport et auteur du livre Ce rugby qui tue (ed. Solar). "Il n'y a pas de traitement curatif de la commotion. Bruderick Nsiete atténue et traite les symptômes. Il met ses patients dans de bonnes conditions de repos physique et intellectuel, qui permet à la plasticité du cerveau de compenser les microlésions qui sont apparues", appuie ce spécialiste. 

"Je ne supportais plus rien"

A la fin de l’exercice de dessin, Catherine s’installe dans un fauteuil rouge de la salle de consultation. Seule une veilleuse éclaire la pièce, car une lumière plus forte lui serait insupportable. La tête calée sur le coin du fauteuil, les yeux fermés, elle s’isole afin de se mettre à l’écart du bruit. Assistante de direction de 56 ans, elle a vu sa vie basculer le 9 octobre 2020. Alors qu’elle était chez son fils, elle a été victime d’un malaise vagal, lui faisant perdre connaissance. Dans sa chute, Catherine a subi une commotion cérébrale. "J’avais deux cervicales brisées. Je risquais la paralysie. J’ai donc été opérée", relate Catherine.

Pourtant, l’intervention n'a pas résolu le cœur du problème. Son état de santé s'est dégradé. "J’ai commencé à avoir des troubles de l’humeur, des vertiges, des nausées, une fatigue constante. J’avais une sensation d’ivresse, et ensuite, pendant un an sans interruption, j’ai eu des maux de tête. Je ne supportais plus rien, ni le bruit, ni lumière, ni même la présence humaine", témoigne-t-elle d’une voix basse.

Atteinte d'ETC, Catherine travaille sa concentration et la précision de ses gestes par le dessin, lors d'une séance chez l'ostéopathe, en janvier 2022 à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).  (SEVERINE MORIN / FRANCEINFO: SPORT)

D’abord, l’incompréhension a prédominé. "Avant j’allais au travail, j’étais pleine de vie et dynamique, et je pouvais suivre des conversations dans le bruit", se souvient l'ancienne marathonienne. Elle a subi d’autres traumatismes crâniens par le passé, restés sans trouble clinique jusqu’à sa récente chute. Livrée à elle-même, Catherine a enchaîné les rendez-vous chez les neurologues et les psychologues. Ils ont alors diagnostiqué un trouble d'ordre psychologique.

"Pour eux, j’étais en dépression, donc on m’a donné des antidépresseurs, et on n’a pas plus cherché que cela. Mais je ne suis pas dépressive."

Catherine, atteinte d'ETC

à franceinfo: sport

En avril 2021, elle a entendu parler du cabinet de Bruderick Nsiete, et a commencé à suivre son protocole. Il a été le premier à lui diagnostiquer une ETC. A raison de trois séances par semaine, Catherine travaille sa concentration et la précision de ses gestes par le dessin et traite ses douleurs par la cryothérapie. Ces maux de tête ont rapidement diminué, même si, aujourd'hui encore, elle souligne "ne plus avoir de vie sociale". "Avant, je ne croyais pas à ce qu’il m’arrivait. Comme ma famille, je croyais devenir folle. Je dis toujours que mon enveloppe extérieure est intacte, mais à l’intérieur, c’est une autre personne. Ma vie a été bouleversée."

Cryothérapie artisanale

Catherine termine toujours sa séance par la cryothérapie. Dans le contrebas de la piscine, aux murs recouverts de petits carreaux bleutés et dorés, Bruderick Nsiete a transformé deux douches en cabines. Un large fauteuil en plastique blanc est placé sous le pommeau. Catherine s’y installe et met en marche la douche. L’ostéopathe se tient près d’elle, un jet d’eau à la main, et règle l’intensité. 

A côté des douches, se dresse une soufflerie qui permet de réchauffer l’environnement. "C’est une cryothérapie alternée, entre chaud et froid. Le chaud [de la soufflerie et de la douche] permet de tenir l’intensité de la séance par rapport à la répétition des salves de froid [par le jet] sur une séance", détaille Bruderick Nsiete.

Catherine lors d'une séance de cryotérapie, au cabinet médical de l'ostéopathe Bruderick Nsiete, à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en janvier 2022.  (SEVERINE MORIN / FRANCEINFO: SPORT)

Après quelques secondes, Catherine lui donne le feu vert. L’ostéopathe s'exécute : il oriente et déplace le jet d’eau froide sur l’intégralité du corps de sa patiente. Catherine reste silencieuse, mais ses traits sont tirés tant l’exercice demande de la résistance. Sa respiration se fait de plus en plus forte. Après plusieurs répétitions, Bruderick Nsiete termine en vidant une bouteille d’eau glacée sur sa tête, protégée par une serviette éponge.

La méthode est artisanale, les patients interrogés l'affirment : le protocole fonctionne. Généralement, les premiers résultats sont visibles au bout de trois mois selon l'ostéopathe. "Aujourd’hui, j'ai beaucoup moins mal à la tête, et les troubles de l'humeur ont diminué. Je suis encore sensible à la lumière et au bruit, mais à présent, je me connais, et je sais quoi faire pour prévenir les maux ou pour me soulager", confirme Marina Olarte, ancienne judokate de l’équipe de France, qui a suivi le protocole de manière intensive pendant quatre mois, avant d'en réduire les fréquences.

Accompagner et éduquer les patients

Comme elle, plusieurs patients confient refaire des séances de cryothérapie chez eux pour soulager certaines crises. Selon l’ostéopathe, sa mission consiste aussi à éduquer les patients à prévenir ou à soulager leurs symptômes. "L’ETC évolue constamment, mais on peut limiter les poussées", affirme Bruderick Nsiete.

Une séance d'ostéopathie aquatique, en janvier 2022, au cabinet de l'ostéopathe Bruderick Nsiete. Elle est notamment destinée à des patients se trouvant dans un état algique aigi. (SEVERINE MORIN / FRANCEINFO: SPORT)

A la fin de sa séance, Catherine s’enveloppe dans une serviette, s’assoit sur le bord de la piscine, ferme les yeux, se bouche les oreilles et s’immobilise. Comme à chaque fois, la séance lui a coûté, mais elle sait que les bienfaits suivront. Il est presque 22 heures dans le cabinet médical de Rosny-sous-Bois, quand Bruderick Nsiete est interpellé par une autre de ses patientes, Ellea, une lycéenne de 17 ans. "Cette semaine, j’ai réussi à lire 100 pages, comme avant", glisse l'adolescente à son ostéopathe. Cette dernière a été victime de plusieurs chutes de cheval, dont la dernière, survenue à l’âge 14 ans, a tout déclenché. "C’est très bien, il faut continuer de lire", l’encourage Bruderick Nsiete.

Bientôt un centre dédié à l’ETC ?

L'ostéopathe veut désormais aller plus loin : "Le protocole est au point, il faut maintenant l’appliquer à grande échelle. C’est pourquoi, je souhaite, avec Séverine Morin, faire sortir de terre un centre spécialisé avec de vrais moyens."

Il inclurait des installations spécifiques, telles que des caissons hyperbares, des salles de repos sans bruit et sans lumière, des pièces pour l’oxygénothérapie, d'autres pour la rééducation cognitive et neurosensorielle, des bassins d’eau de différentes températures, des cabines de cryothérapie… Ce centre viserait aussi à permettre aux malades de l’ETC de sortir un peu plus de l'ombre et d'être mieux accompagnés dans leur vie quotidienne.

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