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Réforme : Mais qu'en est-il de la retraite des sportifs de haut niveau ?

Alors que plusieurs manifestations ont eu lieu en France ces dernières semaines pour rejeter la réforme des retraites, la pension des sportifs de haut niveau n’intéresse pas grand monde. Elle dit pourtant beaucoup de notre rapport au sport et, plus encore, au sportif. D'après nos informations, le dispositif de retraite en place depuis 2012 sera reconduit avec la réforme du gouvernement Philippe, à quelques modifications techniques près.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
  (JEAN-MARC QUINET / BELGA MAG)

Thierry Vigneron. Ce nom pourrait ne pas dire grand chose aux plus jeunes. Pourtant, avant Jean Galfione et Renaud Lavillenie, c’était lui le Monsieur Perche en France. Et même dans le monde : il a établi à quatre reprises le record du monde, avant que Sergueï Bubka n’aille tutoyer le ciel entre 1984 et 1994. Aujourd’hui, Thierry Vigneron est en charge du développement des jeunes en vue des JO 2024 en Nouvelle-Aquitaine. Aujourd’hui, Thierry Vigneron a 59 ans, et il va, d’après ses calculs, devoir travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Vigneron s'exprime aujourd'hui en tant qu'ancien athlète : "Je paye aujourd'hui la reconnaissance tardive du statut de sportif de haut niveau en France." 

Le sportif fut pendant longtemps un condamné à l'amateurisme

A 18 ans, comme à 28 ans, Thierry Vigneron n’était pas salarié. Il ne travaillait pas. Il ne générait aucune richesse : il était perchiste. Multiple recordman du monde, sept fois champion de France, certes, mais perchiste. Contribue-t-on à la richesse nationale en sautant au-dessus d’une barre à l’aide d’une autre barre ? Jusqu’en 1981, le CIO considérait que non. La valeur cardinale de l’olympisme - qui veut qu’un sportif soit par essence un amateur - était alors au centre de la conception du sport en France. Les médailles, les exploits, les hymnes, c’est bien beau, mais n’ayez pas la prétention de considérer tout ça comme du travail.

"Je peux vous dire que vous tombez de haut quand vous réalisez que tout ce que vous avez fait n'a pas compté"

Résultat, les sportifs de haut niveau n’avaient aucun moyen de cotiser pour leur future pension puisque, jusqu’à leur retraite sportive, ils n’avaient théoriquement pas le droit de travailler s’ils voulaient participer aux Jeux. Thierry Vigneron fait partie des dernières générations plombées par ce statut particulier, puisque le professionnalisme fait progressivement son entrée aux Jeux à partir de la fin des années 80.

"Je peux vous dire que vous tombez de haut quand vous réalisez que tout ce que vous avez fait n'a pas compté, s'indigne l'ancien perchiste. Pour ma part c'était il y a quelques années, quand je me suis renseigné sur ce que prévoyait l'Etat pour les pensions, et que j'ai vu que le dispositif mis en place depuis 2012 n'était pas rétroactif, et donc ne nous concernait pas nous, anciens sportifs de haut niveau”  Ce dispositif a en effet été mis en place par le Ministère des Sports en 2012. En un mot, l’Etat s’engage à cotiser à la place des sportifs qui remplissent les conditions et qui en font la demande, sur une durée de 16 trimestres.

D’après le cabinet du Ministère, ce système sera reconduit même si la réforme actuelle devait être appliquée, à ceci près que les trimestres cotisés deviendront des points, “ce qui ne changera absolument rien pour les athlètes puisqu'on ira jusqu'au plafond du nombre de points disponibles”.

Le sportif n'est-il professionnel que s'il fait partie des tout meilleurs ? 

L’Etat se substitue ainsi au sportif pendant 16 trimestres en cotisant pour sa retraite, à sa place. Le tout pour "valoriser l’engagement, l’exemplarité et l’excellence sportive au service du rayonnement de la France” d'après un document du Ministère.  “Pour moi c’est le système parfait. Les jeunes qui débutent aujourd’hui ont une chance incroyable d’en bénéficier. Ils sont très bien accompagnés maintenant” estime Thierry Vigneron. 

Le sportif est-il donc aujourd'hui considéré comme un professionnel à part entière ? Philippe Gonigam, président de l’Union nationale des sportifs de haut niveau (UNSHN), nuance : “Et qu’en est-il de ceux qui ne sont pas éligibles ? C’est une retraite conditionnée, ça reste très en-deçà de ce à quoi un salarié normal peut prétendre.” En moyenne sur les cinq dernières années, l’Etat cotise pour environ 500 sportifs par an. Combien de sportifs de haut niveau laissés sur le carreau ? Il y a bien sûr ceux qui sont déjà salariés, notamment des pratiquants de sports collectifs (football, handball) : eux cotisent déjà en tant que salariés et n'auraient a priori pas besoin que l'Etat le fasse à leur place.

Mais il y a aussi ceux qui ne remplissent pas les autres critères. Par exemple, certains ne sont pas sur la liste des Sportifs de haut niveau. Comment ces derniers sont-ils choisis ? La sélection est faite sur proposition des DTN et présidents de fédérations pour chacune des disciplines reconnues de haut niveau par le Ministère. De plus, "un travail a été mené sur cette liste en 2016 pour mieux prendre en compte les critères de performance sur les compétitions internationales (JO + championnat du monde + championnat d’Europe) plutôt que de se limiter à des potentiels." Depuis cette année-là, le nombre d'élus est passé de 6000 à 5000, tous sports confondus. 

Parmi eux, sont exclus tous ceux qui ont des ressources propres supérieures à "75% du plafond de la Sécurité Sociale" ce qui équivaut en 2019 à environ 30 000 euros annuels (donc exit les grandes stars telles Renaud Lavillenie ou Teddy Riner, dont les contrats d'image excèdent largement ce plafond). Les athlètes âgés de moins de 20 ans ne sont par ailleurs pas éligibles.

500 athlètes bénéficient chaque année du dispositif de pension de l'Etat 

Plus de sélectivité donc, mais aussi un groupe réduit de sportifs professionnels reconnus comme tels. En choisissant chaque année 500 heureux élus pour ce dispositif de pension, l'Etat considère entre les lignes que seuls ceux qui sont à la fois parmi les tout meilleurs et qui n'ont pas de revenus gargantuesques et parallèles à leur activité sportive ont besoin d'aide. Les autres étant soit professionnels autrement, soit pas assez performants et donc, censés se trouver un autre moyen de cotiser que celui du sport. 

Plutôt que d'élargir le cercle des élus, Phlippe Gonigam plaide pour une généralisation du salariat chez les sportifs : "Un véritable statut de salarié leur permettrait de cotiser normalement pour leurs points retraite" Et éviterait les éventuels exclus du dispositif, à propos desquels le Ministère des sports assure n'avoir jamais été alerté jusqu'à aujourd'hui. Quant aux anciens champions laissés sur la touche, tel Thierry Vigneron, le Ministère assure qu'ils sont "accompagnés du mieux possible dans leur reconversion et nouvelle carrière" tout en reconnaissant que la question des mois à rattraper "méritait d'être soulevée pour éventuellement trouver une solution"

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