Quand Federer gagne Roland-Garros en 2009, l'enfant de Bâle ressurgit
La cérémonie protocolaire est terminée. Les tribunes du Philippe-Chatrier se vident alors que le ciel gronde d’orages. Les officiels s’empressent de tout ranger : tapis rouge, estrades, invités. Seule la coupe leur est inaccessible. Elle étouffe dans les bras protecteurs de Roger Federer. Le Suisse s’y agrippe, discrètement mais fermement. Cela fait cinq ans qu’il la rêve, ce n’est pas pour la lâcher tout de suite.
Quelques minutes après, alors que tout le monde est rentré dans les couloirs de Roland-Garros, il prend à part le président de la Fédération Française de tennis de l’époque, Jean Gachassin. Il lui fait une demande peu ordinaire. Peut-il garder la Coupe avec lui pendant une nuit ? Gachassin est surpris. L’original de la Coupe doit rester dans l’enceinte de Roland-Garros. C’est la règle. Aucun vainqueur n’a jamais eu le droit d’emporter le trophée. Pourquoi ferait-il une exception pour Roger Federer, si sympathique et talentueux soit-il ? Peut-être parce que Roland-Garros vient de vivre une quinzaine historique, de celles dont on parlera encore dans 10, 20, 30 ans, et que Federer en a été le coeur.
Quelques heures plus tôt, Federer entame la finale au retour. C'est l'aboutissement d’un tournoi unique dans la carrière du Suisse : celle qui l’aura vu combattre (et vaincre) la plus grande pression qu’il ait connue, à la suite de la défaite de Rafael Nadal en huitièmes. Des sets perdus, des hauts, des bas, de l’émotion, des doutes, et surtout, une perspective : soulever la Coupe des Mousquetaires le dernier dimanche, celui-là même où il a dû, à quatre reprises, se mettre en retrait pour laisser triompher son rival espagnol. Cette fois, il ne compte pas regarder un Suédois, tout coupe-tête qu’il est, lui chiper la vedette. Cette fois, il ira au bout. C’est son tournoi. Il en est persuadé.
Tellement qu’il entame le match tambour battant, tandis que Robin Soderling croule sous l’enjeu d’une première finale. Tout le monde s’attendait à l’inverse : un Suisse paralysé par l’enjeu, lui qui a déjà tremblé plusieurs fois aux tours précédents, et un Suédois totalement décomplexé. Or, pour la première fois du tournoi, on sent que Federer maîtrise son sujet. Il remporte le premier set 6-1, en commettant très peu d’erreurs, en servant le feu, en se déplaçant aussi légèrement qu’une feuille dans le vent. Les travées de la porte d'Auteuil frémissent : l'histoire va sans doute s'écrire d'ici deux ou trois heures, et le public français l'avait senti dès le dimanche précédent.
Rocambolesque jusqu'au bout
Dans la deuxième manche, Soderling se réveille. L’escogriffe suédois retrouve les grands coups de marteau qui lui ont permis de clouer Nadal en huitièmes, Nikolay Davydenko en quarts, Fernando Gonzalez en demies. Federer tient bon. Il est serein sur sa première mise en jeu. Mais à 2-1, sa bulle de concentration est soudainement brisée. Un supporter fait irruption sur le terrain. En un éclair, les images d’une Monica Seles poignardée il y a quelques années refont surface. Federer recule d’instinct, tourne la tête et cherche des yeux une personne de la sécurité.
Mais l’angoisse ne dure pas : l’homme est un rigolo, un énergumène cherchant son quart d’heure de gloire. Son seul geste violent sera d’essayer de faire porter au Suisse un chapeau basque. Il est très vite ramené dans les tribunes. Le match peut reprendre. Mais la mécanique du Suisse a pu être perturbée. Son tournoi aura décidément été rocambolesque jusqu’au bout.
Preuve du niveau de concentration et de détermination du Suisse, il reprend sur les mêmes bases. Il remporte tous ses jeux de service facilement, malgré la menace de plus en plus pressante d’un Soderling retrouvé. Tie-break du deuxième set. Federer garde encore la main, mais le match peut évidemment tourner d’un point à l’autre. Si le tie-break finit dans la besace du Suédois, tout sera à refaire, la finale sera relancée, et le rêve du Suisse tout à coup beaucoup moins tangible.
Federer sert le premier. Ace. Puis un deuxième. Un peu plus tard, un troisième, et un quatrième pour boucler le jeu décisif. Alors que les nuages noirs s’amoncellent au-dessus du stade, la foudre du service Suisse s’est abattue sur Soderling au pire des moments. Quatre aces sur six services dans ce tie-break, et le deuxième set enlevé. Le voilà devant, 6-1, 7-6, et l’impression que rien, ni les cavalcades impromptues des supporters, ni la tempête qui se prépare dans le ciel parisien, ne peut l’arrêter.
Quand l'inaccessible étoile devient tangible
Dans le troisième set, la pluie redouble. L’interruption du match menace. Il faut faire vite, s’il ne veut pas voir les cartes rebattues par une suspension de la rencontre. Il finit par breaker. Il mène 5-4, sert pour le match. A peine deux heures sont passées, et Federer fond sur son premier Roland-Garros. La finale n’a pour l’instant été qu’une formalité, comparée à ses trois précédents matches. La pression semble l’avoir définitivement quittée. Pourtant, il tremble encore. Il commet trois fautes et se retrouve mené 30-40. Même lui ne peut rester stoïque au moment d’approcher l’étoile qu’il a longtemps crue inaccessible. Même lui se laisse gagner par les dangers d'une euphorie anticipée. En champion, il parvient cependant à la dompter. Ne plus penser à la victoire, seulement au coup suivant. Il plante un coup droit gagnant, puis une volée gagnante. On ne saura jamais si, sur le dernier point, Federer tremblait encore, car Söderling comme une faute directe en retour.
Il s’effondre. Ça y est. Il peut souffler. Il peut se salir les genoux de cette terre qu’il a enfin conquise. Il devient le deuxième joueur de l'histoire à remporter les quatre Grands Chelems sur trois surfaces différentes. Le premier était Andre Agassi et, symbole de l’histoire, c'est lui qui lui confiera la Coupe quelques minutes plus tard.Plein de choses se disent dans la rencontre entre un champion et son trophée. Rafael Nadal, probablement le plus grand guerrier de tous les temps, croque dans le métal à pleine dents. Novak Djokovic, peut-être le plus émotif des trois ogres de l’époque, la brandit juste au-dessus de lui et la regarde longtemps, comme pour montrer au monde combien il l’aime. Et Roger Federer ?
« Il aime bien les mettre en scène, ses trophées, raconte le journaliste Thomas Sotto, grand supporter de Federer et auteur du livre Une aventure nommée Federer. Il leur donne des noms. Par exemple, celle de Wimbledon, il l’appelle Arthur. Il en fait de petits personnages. Il joue avec. Il y a un plaisir presque gamin dans tout ça. C’est son carburant, une passion de la première heure, il continue à s’amuser. » La voilà donc cette Coupe des Mousquetaire qui s'est si longtemps refusée à lui et qu'il peut maintenant étrenner. Il voudrait même l'étrenner plus longtemps qu'il ne le devrait...
Federer a passé la nuit avec son trophée
Retour dans les couloirs de Roland-Garros, après sa victoire. Jean Gachassin finit par accepter la requête saugrenue du Suisse. Il sait que l’histoire du plus grand tournoi français vient de connaître l’une de ses plus glorieuses heures. Il le doit à ce Suisse au sourire taquin et au visage soudainement plus enfantin que jamais. Alors il accepte. Le chef de la sécurité, Jacques Le Menée, confiera après coup avoir donner son assentiment car « Federer est un type calme. Il n'allait pas partir en boite de nuit avec et nous la ramener en quatre morceaux ».
Officiellement, Federer dira que c’est pour montrer la coupe à son père Robert qui n’avait pas pu se déplacer pour la finale, qu’il a fait cette requête. Mais le Suisse a vu son père dès son départ de la porte d’Auteuil (escorté par quatre gardes du corps, chargés de préserver le sort de la coupe – quand même). Il a pourtant décidé de la ramener avec lui à son hôtel, de la garder près de lui toute la nuit et de la ramener le lendemain seulement. Au moment de rendre la coupe, Roger Federer devait avoir le regard rieur d’un espiègle gamin de Bâle fier d’avoir contourné les règles des adultes pour tutoyer ses rêves un peu plus longtemps.
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