Pourquoi le droit à l'image collective des sportifs pourrait rendre plus compétitifs les clubs français
C'est un amendement qui a fait un peu de bruit la semaine dernière dans l'Hémicycle. Au bout de la nuit, et même au petit matin du 11 novembre, Aude Amadou (LREM) s'est fait entendre à l'Assemblée nationale : les députés se sont prononcés pour réintroduire un droit à l'image collective des sportifs, afin de faire baisser les cotisations des clubs professionnels. Un vote favorable d'autant plus marquant qu'il s'est réalisé malgré un avis défavorable de la majorité... dont fait pourtant partie la députée de la 4e circonscription de Loire-Atlantique.
L'ancienne handballeuse défendait un retour de ce dispositif lors de l'examen en première lecture du quatrième budget rectificatif pour 2020, présenté ce lundi à l'examen du Sénat. Mais concrètement de quoi s'agit-il ? En quoi ce droit à l'image pourrait-il être important pour le secteur sportif face à la crise du Covid ? Voici quelques explications.
• De quoi parle-t-on lorsqu'on évoque le droit à l'image collective des sportifs ?
Créé en 2004, le dispositif de droit à l'image collective (DIC) permettait, sous certaines conditions, de payer une partie de la rémunération d'un joueur ou d'une joueuse sans payer de charges sociales, dans la limite de 30% de son salaire. "Un sportif va avoir un salaire de la part de son club pour le travail effectué : les entraînements, les matchs... Mais le club exploite aussi l'image du joueur donc le motif est justifié de mettre en place un dispositif particulier", explique Aude Amadou. Celui-ci a été abrogé en 2010 (voir ci-dessous) avant d'être réintroduit en 2017, puis via un décret en 2018.
Mais ce droit à l'image collective reste peu mobilisé par les clubs car compliqué à mettre en place, comme l'explique Tatiana Vassine, avocate spécialisée en droit du sport : "Il faut qu'il y ait une réelle exploitation de l'image qui soit opérée par les clubs, et c'est là qu'il y a une difficulté. Difficile de savoir à l'avance combien vaut l'image de Neymar, Mbappé... Il n'y a pas de certitudes tant que l'image n'est pas exploitée. D'autant qu'il faut que tout le monde s'accorde là-dessus, et ce n'est pas évident sur le plan juridique."
• Pourquoi les clubs de foot français le réclament depuis longtemps ?
L'essentiel du débat repose sur une demande récurrente, notamment de la part des clubs de football qui ont des ambitions au niveau européen. Pour Tatiana Vassine, "la difficulté qui existe est que lorsqu'ils embauchent un joueur en France, cela leur coûte plus cher que dans d'autres pays européens car, pour une même enveloppe budgétaire, une grosse partie sera consacrée au paiement des charges sociales". Il est donc plus compliqué de faire venir des joueurs qui ont une rémunération élevée que dans d'autres championnats.
"De mémoire si l'on compare l'Allemagne et la France, les contributions patronales des clubs de Ligue 1 représentent 180 millions d'euros contre 11 millions pour la Bundesliga", précise Aude Amadou. "Ce dispositif pallie à un handicap de compétitivité pour plus d'égalité au niveau européen, et cela, au final, quels que soient les sports et leur portée médiatique."
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• Pourquoi avait-il été supprimé ?
Comme vu plus haut, le droit à l'image collective a été instauré au niveau législatif en 2004 avant d'entrer en vigueur de 2005 à 2010. Ancienne handballeuse professionnelle, la députée de la 4e circonscription de Loire-Atlantique a pu en bénéficier. "Il a fait ses preuves pendant cette période, c'était du gagnant-gagnant pour le club et le sportif. Son abrogation a été une grosse perte".
Alors pourquoi celui-ci a été supprimé en 2010 ? "L'Urssaf est venu taper à la porte et s'est rendu compte qu'en réalité cette redevance, qui n'était pas sujette au paiement de cotisations sociales, n'était en réalité pas quelque chose qui visait à rémunérer une exploitation d'image mais au contraire à dissimuler un salaire", détaille Tatiana Vassine. "L'Urssaf a estimé qu'elle avait un manque à gagner sur ces 30% autorisés et a fait requalifier plusieurs rémunérations versées sous forme de DIC en salaire avec obligation pour les clubs de payer des cotisations."
Toute la bataille réside donc dans cette marge juridique étroite qui vise à défendre que lorsqu'il y a une exploitation d'image, celle-ci repose sur un contrat bien distinct d'un contrat de travail et donc que les rémunérations versées dans ce cadre n'ont pas vocation à être des salaires. Depuis sa réintroduction en 2017-2018, ce dispositif est, dans les faits, très compliqué à mettre en oeuvre à cause de sa complexité (individualisation des contrats de sponsoring) et de l’absence d’accord avec les ligues sportives.
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• En quoi est-il également important pour les amateurs ?
Dans l'Hémicycle la semaine dernière, le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt a rappelé que le projet de loi de finances rectificative prévoit "110 millions d'euros pour aider les clubs et les structures sportives qui perdent des recettes du fait d'une baisse de la capacité des stades", à cause des mesures sanitaires. Le droit à l'image collective viendrait ainsi s'ajouter à ce plan de soutien et reste difficile à chiffrer, même si pour Aude Amadou son coût resterait "plus que raisonnable". "Le président a exprimé son intention de soutenir coûte que coûte les activités, et à ce titre je n'ai pas pas l'impression d'être allée contre le gouvernement. Je suis une élue de la majorité et on demande à un parlementaire de l'efficacité, c'est ce que vise ce dispositif."
"Le sport n'est pas fait uniquement pour créer des champions (...) C'est un vecteur vital de cohésion sociale, de mixité... Ne pas mettre les moyens serait une erreur"
Si ce dernier semble avant tout destiné au sport professionnel, la députée se défend en arguant de la collaboration entre tous les acteurs : "Le sport marche sur ses deux jambes, avec le sport professionnel et le sport amateur. Les deux sont liés, il y a des mécanismes de solidarité financière. Le sport n'est pas fait uniquement pour créer des champions et on le considère encore trop sous ce seul spectre. C'est un vecteur vital de cohésion sociale, de mixité, c'est l'école du pacte républicain... Ne pas mettre les moyens serait une erreur."
• Le DIC a-t-il une chance d'être adopté ?
C'est finalement la seule question qui vaille au moment où l'amendement est présenté au Sénat. Et à ce stade, difficile de faire des pronostics. "Il faut voir la manière dont il va être revu, corrigé, quel sera le texte final qui aura vocation à être voté", glisse l'avocate spécialisée en droit du sport Tatiana Vassine. "En fonction de cela, on n'est pas à l'abri qu'il y ait des actions ou des poursuites lancées par des organismes comme l'Urssaf - car ce dispositif fera entrer moins d'argent dans les caisses de l'État. Il faut que le texte trouve un équilibre entre quelque chose qui peut faciliter l'emploi au niveau des clubs pros et quelque chose en conformité avec le droit commun."
"Si l'on veut avoir des résultats et être compétitif, l'État doit mettre en place ce DIC qui permettrait - au-delà d'avoir moins de charges sociales - de payer plus les joueurs et les joueuses", défend Aude Amadou. "C'est aussi un dispositif d'égalité entre le sport féminin et masculin et pour des disciplines moins médiatiques. Le fait que beaucoup de forces politiques diverses aient voté pour cet amendement montre que le sport est l'affaire de tous."
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