"Nos clients se sentent encore plus privilégiés cette année" : au Village de Roland-Garros, les affaires tournent tant bien que mal
Au loin, on devine la rumeur du court Philippe-Chatrier. Peut-être un smash, ou une belle volée. Ici, ce n’est pas vraiment la priorité. Une armée d’hôtes et d'hôtesses d’accueil patiente. Certains debout, devant la porte d’entrée. D’autres derrière leur comptoir. Une mer de chapeau "Roland-Garros" ondoie au plafond, suspendue par de minces fils de nylon. Un fond sonore jazzy habille le silence, mais rend d’autant plus prégnante cette atmosphère d’attente. Finalement, la porte s’ouvre. Un invité. Enfin. L’homme a la cinquantaine, les cheveux grisonnants. Il passe vite les portiques de sécurité, et se dirige vers la première agente d’accueil : il connaît le chemin, c’est sa quatrième visite au Village. "Bonjour ! C’est pour Rolex" Immédiatement, on le dirige vers l’un des comptoirs les plus en vue. La marque de montre suisse est un sponsor historique du tournoi.
Le Village est le lieu VIP du Grand Chelem parisien. Il rassemble 17 loges privatives pour les "entreprises partenaires" du tournoi, réparties sur deux étages et entourant un magnifique patio où chaises, fauteuils et tables appellent les invités à se délasser au soleil. Seulement, cette année, le patio ne sert que très peu. La météo automnale, et surtout la jauge sanitaire, ont dévitalisé l’endroit – comme d’ailleurs l’ensemble du site. Pourtant, le Village frémit encore. Derrière les portes vitrées des loges, les verres s’entrechoquent, quelques rires fusent et, surtout, on bavarde. De tennis, bien sûr. Mais pas seulement.
Moins festif, plus intime
Après cinq ou six échecs, l’une des entreprises accepte de nous recevoir. C’est un groupe hôtelier, dont la loge est située quasiment à l’entrée du patio. Mélissa, responsable communication du groupe, nous invite à la suivre pour mieux échanger. Nous passons alors de l’espace visible de leur loge – décoré et aménagé comme un hall d’hôtel cinq étoiles – à l’arrière-cour, bien plus fonctionnelle. Un petit 8 mètres carrés, sans fenêtre, aux murs blanc sale où sont collés des post-it™ et autres notes de travail. Mélissa et sa partenaire sont assises côte à côte, collées à leur écran d’ordinateur. "C’est là qu’on se met quand on n’a pas d’invité, explique-t-elle. On travaille sur des projets parallèles. On n’a juste pas le temps d’aller voir les matchs". Un véritable petit bureau secondaire, à quelques hectomètres du court Philippe-Chatrier.
"Des relations de travail se sont créées ici"
Lorsque les clients arrivent en revanche, on claque la porte du bureau et on file au salon pour dérouler le tapis rouge et faire oublier le contexte. "La jauge réduite n’aide pas, la météo n’aide pas, le patio est beaucoup plus triste que les autres années. Mais on met de la vie dans notre espace. C’est moins festif, mais c’est plus privilégié, plus intime. Même si dehors il ne fait pas beau et même si cette année ça manque un peu d’ambiance, les clients doivent être chouchoutés. Parce que c’est avant tout un lieu de 'networking'".
Tout est donc fait pour mettre l’invité dans les meilleures conditions possibles, et surtout, pour faire oublier l’ambiance morose de l’extérieur. Car si certaines entreprises ont, malgré le contexte, décidé de maintenir leur présence à Roland-Garros, c’est parce que celle-ci leur apporte un bénéfice difficilement mesurable, mais bien réel. "Le retour sur investissement n’est pas vraiment quantifiable, assure Mélissa. Mais on sait que par le passé, des relations de travail ont été créées ici. Des clients nous ont dit que cela jouait dans leur décision de rester avec nous, car d’autres ne les invitaient pas. Ça ne fait pas tout mais ça pèse dans la balance."
Si le "Village" est si clinquant, c’est aussi pour ça : offrir aux "entreprises partenaires" un cadre plus "ludique" et "prestigieux" que le bureau froid et gris de tous les jours, afin de nouer des relations de travail parfois majeures.
Un privilège accentué, mais...
Et le sentiment de privilège dans lequel les clients de ces entreprises doivent baigner à leur arrivée pourrait même être accentué cette année... justement en raison du contexte. "Être à Roland-Garros pour nous, c’est faire du business sans en faire, estime Mélissa. Et cette année, les clients se sentent encore plus privilégiés, parce qu’ils savent que la jauge a été réduite et qu’on a dû refuser d’autres clients". Le groupe reçoit 1000 invités sur une édition normale ; cette année, ils ne sont plus que 150, soit 10 places par jour.
Mylène Poncet, responsable marketing et communication chez Oppo France, une entreprise partenaire, abonde dans ce sens : "Nous avons eu des retours enchantés de nos clients. Ils ont des étoiles dans les yeux d’avoir été choisis cette année et de faire partie du peu de personnes qui ont accès au site, qui plus est en loges". La contrepartie de cet aspect privilégié à l'extrême, c'est que toutes les entreprises partenaires présentes ont dû faire le tri parmi leurs invités... quitte à en froisser certains. D'après Mylène Poncet, "tous ont compris que la situation sanitaire l'exigeait... et nous avons bien fait attention à ne pas envoyer les invitations avant d'être sûrs de la jauge".
Mais les annonces de jauges successives (d'abord 20 000, puis 11 500, 5000, et enfin 1000 spectateurs limités) ont pu en embarrasser certains. Chez l'un des partenaires, on affirme avoir dû "bien faire attention à ce que les clients qui n'ont pas été invités ne sachent pas que d'autres l'ont été", car le signal envoyé aurait été "trop négatif". Interrogée sur le nombre de places VIP en moins pour les entreprises partenaires, la Fédération française de tennis n’a pas souhaité communiquer à ce sujet.
En sortant des espaces privatisés, et en regagnant le patio central, on s’aperçoit que plusieurs loges, à l’étage comme au rez-de-chaussée, sont éteintes. Désertes. A l’intérieur, les chaises sont empilées, quelques câbles sont apparents. "Il y en a qui ont juste décidé de ne pas venir cette année, sûrement parce qu’ils ne voulaient pas faire un choix entre leur invités", glisse une habituée des lieux. D’après le site spécialisé en économie du sport Sportbusiness.club, le coût d’une loge, inclus dans l’accord global du partenariat de la marque, est estimé à plus de 300 000 euros. Quelles conséquences auront les restrictions sanitaires sur ces contrats ? Interrogée, la Fédération n'a pas souhaité s'exprimer sur ce sujet.
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