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Michaël Jérémiasz : "Porte-drapeau, une fierté et une vraie reconnaissance"

Michaël Jérémiasz, quadruple médaillé paralympique de tennis en fauteuil, se prépare pour ses derniers Jeux Paralympiques. A l'occasion, il sera porte-drapeau de la délégation française. Nous nous sommes entretenus avec lui et son partenaire de double, Frédéric Cattanéo.
Article rédigé par Hugo Monier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 13min
Michaël Jérémiasz avec Teddy Riner et François Hollande lors de la transmission du drapeau pour les Jeux Paralympiques de Rio.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Le soleil tape sur les courts extérieurs du centre national d'entraînement de la fédération française, à une centaine de mètres de ceux de Roland-Garros dans le sud-ouest parisien. Michaël Jérémiasz, porte-drapeau de la délégation française aux Jeux Paralympiques et quadruple médaillé olympique de tennis en fauteuil, se prépare pour son entraînement quotidien avec son partenaire de double Frédéric Cattanéo (médaillé d'argent en double en 2012) et son staff. Après ses trois médailles en double (argent en 2004, or en 2008 et bronze en 2012) ainsi qu'une de bronze en simple (2004), celui qui prendra sa retraite en novembre aimerait en ajouter une dernière à sa collection. A moins d'une semaine de leur départ pour Rio, lui et Frédéric Cattanéo nous ont accordé un entretien. 

Comment vous sentez-vous à un peu moins de deux semaines des Jeux Paralympiques ?

Frédéric Cattanéo : Je me sens très très bien, j’ai profité de mes vacances. On est à une semaine de la compétition, il faut se remettre dans le bain et se préparer comme il faut.

Michaël Jérémiasz : C’est vrai que je le sens tout frais le Cattanéo, il arrivé reposé de ses vacances, il roule bien. Moi je n’en ai pas encore pris, j’attends la fin des Jeux. C’est la différence entre nous : moi je suis un besogneux, lui un talentueux donc il n’a pas besoin de s’entraîner autant que moi. J’ai bossé dans le Sud de la France cet été, on part à Rio dans une semaine. Début le 9 septembre, après la cérémonie le 7.

Vous allez disputer vos quatrièmes Jeux Paralympiques, et en plus, vous serez porte-drapeau de la délégation française, qu’est-ce que vous ressentez ?

Michaël Jérémiasz : Ce seront mes quatrièmes et derniers Jeux, je prends ma retraite à la fin de l’année. (Il regarde Frédéric). Je laisse la place aux jeunes même s’ils sont moins jeunes (ndlr: Frédéric a 37 ans, Michaël 34). Le fait d’être porte-drapeau c’est une fierté et une vraie reconnaissance pour la fin de ma carrière. C’est un engagement, une responsabilité. Je me rends compte que c’est aussi énormément de sollicitations, bien plus que je ne pouvais imaginer. C’est bien, cela montre que les médias s’intéressent à ce que l’on fait, à qui on est, aux Jeux et aux athlètes. Mais les journées sont longues et les nuits sont courtes. Avec Frédéric, c’est la première fois que l’on va jouer aux Jeux ensemble, on a fait plusieurs tournois pour se préparer. C’est un beau challenge, nous sommes têtes de série numéro trois. On vise la médaille, et pourquoi pas l’or ?

Les Français rayonnent en tennis fauteuil, quatre français dans le Top 20 en individuel, quatre dans le Top 10 en double. Et là vous affirmez votre ambition, vous êtes vraiment confiant pour les Jeux ?

Michaël Jérémiasz : Oui ! On a Stéphane (Houdet) et Nicolas (Peifer) qui eux sont têtes de série numéro un en double. A Londres il y a quatre ans, Frédéric et Nicolas prennent la médaille d’argent en double, Stéphane et moi le bronze, on avait eu l’or à Pékin (2008). Nous sommes quatre joueurs compétitifs ! En simple, Frédéric est quatorzième mondial, moi seizième, Stéphane est numéro un, Nicolas quatrième. Ils sont plus favoris que nous en simple, et en double nous sommes tous les quatre médaillables.

Quelles sont les différences en termes de règles et de format entre le tennis et le tennis en fauteuil ?

Michaël Jérémiasz : En simple, c’est un tableau de 64, il y 58 joueurs dont 8 têtes de série dispensées de premier tour. En double, c’est un tableau de 32 avec là aussi huit têtes de série directement au second tour. Il faudrait quatre matchs pour atteindre la finale, cinq pour les non-têtes de série. Pour les sets, c’est au meilleur des trois, comme pour les Jeux Olympiques. Seule différence, la finale est en cinq sets aux Jeux Olympiques, nous elle restera en trois sets.

Frédéric Cattanéo : Pour le jeu, ce sont exactement les mêmes règles avec une seule subtilité : nous avons droit à un deuxième rebond de balle si on le souhaite, rien n’oblige à le prendre.

Michaël Jérémiasz : Il dit cela parce que sa spécialité c’est la volée.

Frédéric Cattanéo : Je suis un peu le McEnroe du tennis en fauteuil (rires).

Q : Les Jeux Olympiques ont un coût important pour les athlètes. Pour les athlètes handisports, cela doit être encore pire, non ?

Michaël Jérémiasz : Une saison professionnelle, c’est-à-dire un entraîneur, un préparateur physique, les voyages et les frais, c’est autour de 80 000 euros. Et je pars du principe qu’on est sponsorisé en raquettes, cordages et fauteuil. La réalité, c’est qu’on est très peu à avoir ce budget-là. Les gains en tournoi ne le permettent pas. Par exemple, y a deux ans, je termine sixième mondial. Je ne suis pas premier, mais je ne suis pas non plus cinquantième. Je gagne un peu plus de 30 000 euros en gains de tournois, cela ne couvre même pas la moitié. Alors on est dépendant du sponsoring, des subventions. Certains vivent sur leurs deniers personnels, d’une rente, d’un accident de la vie ou du travail. Aujourd’hui, nous sommes quelques joueurs de tennis en fauteuil professionnels, mais la majorité sont des sportifs amateurs. Il y a le même problème aux Jeux Olympiques. Des athlètes présents à Rio, 40% gagnent moins de 500 euros par mois. Depuis quatre ans, on bénéficie d’une bourse de la fédération française de tennis qui aide les quatre meilleurs français et les deux meilleures françaises. Entre 10 000 et 20 000 euros selon le classement. Voilà. Mais en gros c’est "démerde yourself" et trouve des partenaires si tu veux y arriver.


Q : En ce moment, il y a beaucoup de craintes autour des Jeux Paralympiques. Il y a eu des coupes budgétaires et même des rumeurs d’annulation. Êtes-vous inquiets ?

Frédéric Cattanéo : Non, cela ne m’inquiète pas plus que ça parce que je sais que qu’on ne peut pas ne pas faire les Jeux Paralympiques. Je me doutais bien qu’ils allaient trouver une solution de secours pour qu’ils se déroulent de la meilleure façon.

Michaël Jérémiasz : Il y a eu des coupes budgétaires, de l’argent du budget olympique a été pris dans celui des Paralympiques. On se doutait qu’ils n’allaient pas annuler, politiquement c’est impossible. On n’annule pas un événement de cette ampleur, avec tous les pays engagés. Il y a évidemment bien plus grave, mais les Jeux Paralympiques ce sont des engagements bien au-delà du sport. Les gens présents sur place seront de vrais passionnés et malgré la crise ils vont se défoncer pour qu’on puisse vivre les meilleurs jeux possibles. Nous, on doit faire abstraction de tout ça pour se concentrer sur l’événement sportif.

Q : Qu’est-ce qui fait un bon joueur de tennis-fauteuil ?

Frédéric Cattanéo : Un bon déplacement fauteuil, bien conduire son fauteuil, après c’est un entraînement technique avec notre coach. Par rapport à Michaël, je n’ai pas du tout le même programme physique. Ensuite, il y a le mental et la motivation. Comme pour tout le monde.

Michaël Jérémiasz : C’est la même chose, avec la spécificité qu’on ne se déplace pas debout. La prépa physique est différente pour chacun. Je suis plus lourd que lui, mon handicap fait que j’ai plus de barbac à pousser que lui. J’ai besoin de m’échauffer une demi-heure alors que Frédéric est tellement laxe, relâché quand il joue qu’il n’a pas besoin de ça. Il y a la maîtrise tactique et technique du tennis, c’est universel. Puis l’anticipation, l’œil, le mental et le physique.

Frédéric Cattanéo : On a l’avantage d’avoir tous les deux joué au tennis avant notre accident. Cela permet d’avoir ce sens tactique et la vision de la balle, l’anticipation dans certaines situations.

Q : Justement, comment êtes-vous venus au tennis en fauteuil ?

Michaël Jérémiasz : Par accident (rires).

Frédéric Cattanéo : Au centre de rééducation, un animateur sportif avait entendu parler de mon passé donc il m’a proposé de faire un essai. Je ne connaissais pas cette discipline avant l’accident, je ne savais qu’on pouvait faire du tennis en fauteuil. L’essai m’a plu et ainsi de suite.

Michaël Jérémiasz : C’est un peu la même chose pour moi. Au centre, j’ai demandé à un prof de sport de faire quelques balles, je voulais jouer. Je ne pensais pas qu’il allait me ramener un fauteuil de tennis et qu’on allait jouer sur le court. Je ne connaissais pas non plus. Quelques jours après mes premiers essais, Pierre Fusade, l’ancien directeur sportif de la fédération de tennis en fauteuil, est venu pour m’inviter à la Coupe du monde par équipe. A peine six mois après mon accident, j’étais à la Coupe du monde.

Q : Michaël, vous êtes également engagé dans le monde associatif. Vous pouvez nous en parler ?

Michaël Jérémiasz : J’ai cofondé il y a un peu plus de cinq ans l’association « Comme les autres » avec ma femme et mon frère. On s’est spécialisé dans l’accompagnement de personnes handicapées, victimes d’accidents de la vie dans leur parcours de reconstruction. L’idée est de les emmener en séjour sportif à sensations fortes : saut à l’élastique, motoneige, plongée sous glace, ski, ski nautique, … Cela sert de piqûre d’adrénaline. Quand on vient d’avoir un accident, on s’imagine que la vie est terminée, qu’on ne pourra accéder nulle part, que tout va devenir compliqué. Cela peut-être ça, mais pas forcément. Si vous êtes capable de vous aventurer dans des milieux hostiles, comme le sont la montagne ou la mer pour des personnes en fauteuil roulant, vous serez plus à même d’affronter l’inaccessibilité et l’hostilité de la société au quotidien. Ensuite, on propose un accompagnement social global pendant un an. Chaque participant handicapé qui le souhaite reçoit une assistance pour les tâches administratives, avoir un accident c’est très compliqué, pour l’accès à la formation et l’emploi, à la culture, aux sports et aux loisirs. Il y a aussi un accompagnement pour les familles. Quand vous avez un accident de la vie, tout l’entourage a un accident. Et eux ne sont pas accompagnés, il n’y a pas de structure globale, pour tout un collectif. La nature espère que les proches seront suffisamment sensibles, intelligents, bienveillants pour trouver les mots justes, s’occuper d’une personne handicapée. Cela fait partie des choses sur lesquelles on s’est engagé.

Retrouvez l'interview de Michaël Jérémiasz et Frédéric Cattanéo en vidéo sur notre page Facebook ! 

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