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Marathon de Paris : quand la course à pied devient une drogue

Près de 50 000 coureurs prendront le départ du marathon de Paris, dimanche. Parmi eux, de nombreux sportifs amateurs aux conduites addictives. Témoignages.

Article rédigé par Jéromine Santo-Gammaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Quelque 50 000 sportifs participeront au marathon de Paris, le 12 avril 2015. (MAXPPP)

"La droguée la plus propre de tout Paris !" Pas de seringue, pas de pilule. La came de Géraldine, c'est la course à pied. Comme de nombreux sportifs qui participeront au marathon de Paris, dimanche 12 avril, cette quadra parisienne, mère de trois enfants, est une running-addict. Sa drogue, c'est l'endorphine. Une molécule comparable à la morphine, que le corps sécrète lors d'un effort physique intense, et qui a la particularité de réduire la perception de la douleur et de produire une sensation de bien-être. "C'est lʼun des meilleurs antidépresseurs naturels, à la portée de tous ceux qui veulent bien chausser des baskets", sourit Géraldine. Selon un rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 4% des Français pratiquant un sport de manière intensive "présenteraient un profil d'addiction à leur activité".

Depuis une vingtaine d'années, pour avoir son shoot, Géraldine enfile sa tenue et part courir, plusieurs fois par semaine, pendant 1h30 environ. Certains ont commencé la course à pied pour faire attention à leur ligne, pour se défouler, pour se libérer du stress lié à un boulot trop prenant… Géraldine, elle, s'y est mise après la naissance de son premier enfant, d'abord pour "perdre quelques kilos". Mais, au fil du temps, ses séances de running sont devenues capitales pour son bien-être. 

"Bien sûr, les avantages à faire du sport sont bien plus importants que ses effets pervers", rappelle le professeur Julien Girard, médecin du sport. Après une maladie, notamment, "beaucoup de gens retrouvent un élan dans leur vie, confirme Bertrand Guérineau, psychologue du sport. Dans une société où l'on attend de nous d'être performants en permanence, le sport permet de se sentir valorisé." "Mais, comme pour tout, gare à l'excès, qui peut être nuisible", met en garde Julien Girard.

"Le seul truc qui peut m'arrêter, c'est l'orage ou la grêle"

L'addiction à la course à pied n'est pas un mythe. Au bout de 35 minutes à une heure de course, le corps commence à sécréter de l'endorphine. Plus le corps s'habitue, plus il faut augmenter les doses – et donc courir plus vite, ou plus longtemps – pour ressentir son effet. "Certaines personnes n'ont plus de limites, assure le professeur Julien Girard. Si on dépasse cinq à six heures de pratique par semaine, on développe le risque de devenir accro."

Didier, lui, ne sait pas vraiment s'il est drogué à la course à pied. Ce sexagénaire court pourtant six jours sur sept ! "Mais je pratique pour le plaisir", explique-t-il. "Il réalise des temps que beaucoup de seniors lui envient", certifie Jérôme, l'un de ses amis du club d'athlétisme de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis). Pour garder le rythme et éviter de "régresser trop vite" en raison de son âge, Didier suit un plan d'entraînement. "Je l'applique systématiquement, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente." Quitte à courir avec un anorak sur le dos. "Le seul truc qui peut m'arrêter, c'est l'orage ou la grêle."

"Je suis beaucoup plus apaisé après la course"

"Comme pour d'autres addictions comportementales, l'un des risques est de pratiquer la course à pied au détriment d'autres activités familiales, professionnelles ou culturelles", affirme Bertrand Guérineau. Didier jure qu'il a su garder le sens des priorités. Son ami Jérôme également. Lui s'entraîne quatre à cinq fois par semaine. "Ma femme est très conciliante, mais quand on a une sortie de prévue, le choix familial s'impose. Parfois ça m'embête, mais... je fais un effort", sourit-il.

Quelque 50 000 sportifs participeront au marathon de Paris, le 12 avril 2015. (JOSHUA HODGE PHOTOGRAPHY / E+ / GETTY IMAGES)

Mehdi, en revanche, évite les concessions. A 27 ans, ce boucher dunkerquois refuse par exemple toute sortie entre amis, en particulier le soir, s'il n'a pas couru avant. "Il faut que je me sois défoulé avant de sortir en boîte, illustre-t-il. Sinon, c'est sûr que ça va partir en vrille, je vais réagir au quart de tour. Quand j'ai couru, je suis beaucoup plus apaisé, plus détendu. Mon père et mes collègues le constatent eux aussi, d'ailleurs."

En plus de la course à pied traditionnelle, Mehdi s'adonne au sprint sur 400 mètres. Une discipline qui lui inflige "une douleur beaucoup plus violente que celle d'un marathon""On est des coureurs maso ! Il faut aimer la douleur pour pratiquer cette discipline-là", s'amuse-t-il.

"Quand on a un peu mal, on se dit que ça va passer"

Par définition, l'addiction n'est pas toujours source de plaisir. "Dans mon cabinet, j'ai une explosion de consultations pour l'arthrose, directement liée à une pratique du sport trop intensive. J'ai des patients de 40 ou 45 ans qui ont de l'arthrose comme des personnes de 80 ans !" témoigne le professeur Julien Girard. Parfois, des fractures de fatigue se produisent, souvent au niveau du pied, de la cheville, voire de la jambe.

Même blessés ou malades, pourtant, les accros au running ont souvent du mal à se sevrer. Mehdi en sait quelque chose. Arrêté dix semaines par son médecin en raison d'une déchirure à la cuisse, il n'a pas pu s'empêcher de reprendre la course au bout d'une quinzaine de jours. Une décision qui n'étonne pas du tout Didier. "On est tous pareils. On a du mal à s'arrêter. Quand on a un peu mal, on se dit que ça va passer."

"La vraie prise de conscience arrive souvent à la suite d'un épisode traumatique : soit une blessure vraiment importante, soit une séparation ou la perte d'un emploi", témoigne le psychologue Bertrand Guérineau, qui s'attend à recevoir de plus en plus de sportifs amateurs dans les années à venir.

"Je suis allée jusqu'au bout, mon corps a lâché"

Cet "épisode traumatique", Géraldine l'a connu il y a quelques années. A l'époque, la "runneuse", qui courait tous les jours, voire plusieurs fois par jour, avait beaucoup maigri et ne pesait plus que 46 kg. "J'étais rentrée dans un engrenage, un médecin m'avait dit que je ferais bien de perdre du poids. Quand tu es maigre, tu deviens plus fragile. Je suis allée jusqu'au bout de ce que je pouvais faire, mon corps a lâché." A l'époque, Géraldine n'écoute pas les alertes de ses amies et de son mari, qui s'inquiètent pour sa santé. Une tendinite finira par l'immobiliser pendant six mois.

Géraldine se souvient très bien de cette période difficile. "Le contact avec le sol et le rebond" qui lui manquaient terriblement. Elle garde aussi en mémoire la mauvaise humeur, l'irritabilité et la fatigue physique qui étaient les siennes pendant la période d'arrêt. Aujourd'hui, la quadra pratique la course à pied quatre fois par semaine, mais "fait attention", pour ne pas rechuter.

En 2013, elle a créé un groupe de "runneuses", les RunChic, composé uniquement de femmes, et essaie de transmettre sa passion professionnellement. "J'ai transformé mon addiction en un boulot", s'amuse cette ancienne attachée de presse. Elle suit de près les filles de son groupe, et les alerte lorsqu'elle voit que l'une d'elles perd trop de poids. Dimanche, Géraldine ne prendra pas le départ du marathon de Paris. Elle tiendra un stand non loin du parcours, pour promouvoir sa marque. Mais fera sans doute un saut au bord de la route, pour encourager ses "runneuses".

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