Malgré la crise sanitaire, le football se poursuit dans ces pays où l'autoritarisme règne
Maintenir une impression de normalité au sein de la population, en dépit d’une épidémie qui touche le monde entier : voilà l’objectif de Daniel Ortega, le président du Nicaragua, dans un pays qui ne dénombre officiellement que neuf cas de coronavirus, alors que ses voisins d’Amérique centrale en comptent plusieurs centaines. Dans cet Etat de six millions d’habitants, la Liga Primera aura poursuivi son petit bonhomme de chemin malgré la crise, jusqu’à la dernière journée du championnat qui vient de se terminer ce samedi.
Place maintenant à la phase finale du tournoi de clôture (qui se déroule de janvier à mai) où les quatre meilleures équipes du pays s’affrontent pour désigner le champion. Même si l'épidémie rôde, nul doute que les prochains matches auront bien lieu. Car pour le régime de Daniel Ortega, impossible d’arrêter des activités aussi banales que le sport professionnel, au risque de provoquer une déstabilisation du pays qui s’était déjà retrouvé au bord du précipice il y a deux ans. Au début de l’année 2018, un projet de réforme des retraites du gouvernement avait poussé la population à exprimer son mécontentement dans la rue, des manifestations réprimées dans le sang qui ont fait 325 morts.
"Depuis 2018, le gouvernement essaie désespérément de montrer que les choses sont revenues à la normale et cela inclut le bon déroulement du sport", expliquait Camilo Velasquez, un journaliste nicaraguayen à The Guardian début avril. "Le coronavirus est une grande menace car ils ont peur d’une grève générale et arrêter les activités du pays permettrait cela." À l’instar du Nicaragua, les autres pays, qui ont décidé de poursuivre leurs championnats de football en dépit d’une crise sanitaire mondiale, l’ont fait pour certaines raisons identifiables.
Le championnat biélorusse profite de sa popularité temporaire
Le Tadjikistan a par exemple repris la Vysshaya Liga le 8 avril dernier, dans un pays où le nombre de contaminés est officiellement nul. Cet État, ancienne république soviétique, est géré d’une main de fer depuis 1992 par le président Emomalii Rahmon, qui "soutient qu’il n’y a aucun cas de coronavirus dans son pays, ce qui justifie le fait de continuer à jouer", explique Kévin Veyssière, créateur du site FC Geopolitics. Mais difficile de réellement savoir ce qu’il en est dans ce pays classé 161e sur 180e au classement 2019 de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse.
Même son de cloche du côté du Turkménistan, État reclus, dont la Yokary Liga doit reprendre ce dimanche. Dans ce pays, dernier du classement de RSF derrière la Corée du Nord, il est encore plus difficile d’obtenir d’autres chiffres concernant l’épidémie que ceux fournis par le gouvernement, à savoir zéro cas de contamination. Et comme au Tadjikistan, la même rhétorique est utilisée, à savoir que le virus ne s’est tout simplement pas propagé dans le pays, d’où la reprise des compétitions sportives.
En Biélorussie également, "tout dépend de la volonté du président Alexandre Loukachenko", précise Kévin Veyssière. "Il a dénoncé une 'psychose' et a soutenu à plusieurs reprises que le coronavirus ne pouvait pas atteindre le pays". Pour le fondateur du FC Geopolitics, si ce pays, qui compte tout de même plus de 4 000 contaminés et 40 morts du Covid-19, poursuit son championnat malgré l’épidémie qui le touche, c’est parce qu’"il en profite pour surfer sur la vague de popularité du championnat". La Vysshaya Liga est en effet devenue le championnat le plus suivi au monde depuis l’arrêt des compétitions partout ailleurs. Des parieurs du monde entier se reportent sur cette compétition, généralement très peu médiatisée, et les dirigeants du football biélorusse en ont profité pour vendre les droits télévisés de la Vysshaya Liga dans plus d’une dizaine de pays, dont la Russie, Israël et l’Inde.
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Un fléchissement possible ?
Dernier pays de cette liste à maintenir le football dans son pays, le Burundi, qui a finalement décidé de reporter les deux dernières journées de la Primus League. Signe que le président Pierre Nkurunziza – nommé "Guide suprême éternel" du parti au pouvoir - et son gouvernement, critiqués par certains spécialistes pour une dérive autoritaire, ont enfin pris conscience de la mesure du danger ? Pas vraiment, au vu de la manière dont le pays a fêté Pâques lundi dernier, avec des milliers de personnes dans les rues.
En réalité, la Primus League a été reportée par la Fédération de football du Burundi car celle-ci s’est déclarée "satisfaite" de l’avancée du calendrier, le championnat devant se terminer au plus tard le 30 mai. Surtout, ce mois de mai sera consacré à des élections présidentielles cruciales dans ce pays instable, puisque Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, a annoncé qu’il ne se représenterait pas. Et dans ce contexte électoral, plusieurs stades seront réquisitionnés et transformés en bureaux de vote
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Le maintien du football dans ces pays est le signe de gouvernements qui jugent leur pays comme une exception dans cette crise qui touche le monde entier. Mais la situation pourrait être amenée à évoluer, comme l’explique Kévin Veyssière : "Un match en Biélorussie qui devait se jouer dans le nord du pays a été délocalisé dans le centre, officiellement parce que le terrain était impraticable. Mais en réalité, ce match devait se jouer dans la région la plus touchée par le coronavirus." Le signe, peut-être, que ces États sont capables, malgré les apparences, de compromis en pleine crise sanitaire.
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