Les Ouïghours, Özil, Arsenal et l'indignation sélective
"Si M.Özil en a l'occasion, nous serons heureux qu'il se rende au Xinjiang pour se rendre compte de la situation". La réponse ne s'est pas fait attendre. Par l'intermédiaire de Geng Shuang, le porte-parole de la diplomatie étatique, la Chine a répondu aux propos de Mesut Özil. Le 13 décembre, le milieu offensif d'Arsenal avait violemment condamné sur Twitter la politique chinoise au Xinjiang, dans le nord-ouest du pays, en réponse à des attentats meurtriers commis contre des civils.
"Des exemplaires du Coran sont brûlés... des mosquées détruites... les écoles islamiques interdites... des intellectuels religieux tués les uns après les autres... des frères envoyés de force dans des camps", s'était indigné le joueur de 31 ans dans un message diffusé en turc sur ses réseaux.
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Les Ouïghours, une ethnie musulmane sunnite transfrontalière, subissent une sévère répression du gouvernement chinois en réponse à leur refus de sinisation. Indépendantistes, ils seraient plus d'un million enfermés "dans le cadre d'une campagne systématique et brutale pour éradiquer leur religion et leur culture", selon le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo.
« Les camps d'internement sont avant tout des lieux de sanction et de torture, pas d'apprentissage. Des informations persistantes font état de coups, de privation de nourriture et de détention à l'isolement », avait rapporté l'ONG Amnesty International dans un rapport d'octobre 2018.
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Mis au banc par les Chinois, Özil a pourtant reçu plusieurs soutiens. Son ancien manager Arsène Wenger a pris sa défense tout en séparant justement le joueur et le club, alors que les conséquences pour Arsenal pourraient être désastreuses économiquement. "Mesut bénéficie de la liberté d'expression comme n'importe quelle autre personne. Il utilise sa notoriété pour exprimer ses opinions, qui ne sont pas nécessairement partagées par tout le monde, mais il en a le droit."
Dans la foulée, le FC Cologne a décidé de se retirer d'un projet pour aider au développement du football en Chine. Stefan Müller-Römer, ancien dirigeant de retour cet été à la tête du conseil des adhérents du FC Cologne, a lui eu des mots très virulents, déclarant que "nous n'avons pas besoin de la Chine dans le sport. Les droits humains sont massivement bafoués" dans un "Etat de surveillance absolue comme (l'écrivain) George Orwell n'aurait même pas pu l'imaginer".
Si l'intervention d'Özil est plus que louable - il est le seul footballeur professionnel à avoir pris ouvertement position pour la cause des Ouïghours -, son indignation est aussi à nuancer. Les Ouïghours sont turcophones, une communauté logiquement plus proche de l'Allemand, dont la famille est d'origine turque.
Ambivalence sur la question turque
"Comme beaucoup de gens, mes racines ancestrales recouvrent plus qu’un seul pays. J’ai certes grandi en Allemagne, mais mon histoire familiale a ses racines solidement basées en Turquie. J’ai deux cœurs, un allemand et un turc", expliquait-il en juillet 2018 après son choix de quitter la sélection allemande à la suite d'une photo controversée prise avec le président turc.
On ne peut pas mener tous les combats, mais on peut se demander pourquoi Özil ne s'est pas manifesté contre les mesures liberticides ou les arrestations du régime de Recep Tayyip Erdoğan, alors que l'Allemand est un proche du président, qui était notamment présent à son mariage en juin dernier.
Özil n'avait pas non plus pris position pour les Rohingyas, également musulmans (mais non-turcophones) en Birmanie, un pays limitrophe de la Chine, une cause qui avait pourtant bien plus largement ému la communauté internationale. Il n'est pourtant pas le seul à choisir ses combats, au risque de montrer une indignation à deux vitesses.
Yaya Touré, l'ancien joueur de Manchester City a lui tancé la position d'Özil, critiquant notamment le mélange des genres entre politique et sport, lui conseillant de rester au football. La réaction de l'Ivoirien - par ailleurs très concerné par les questions de racisme - prend elle aussi un écho surprenant puisqu'il a signé en juillet au Qingdao Huanghai FC, un club... chinois. De quoi laisser songeur.
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L'embarras d'Arsenal face à la Chine
Arsenal, le club d'Özil, a lui tenté sur Weibo (le Twitter chinois) d'éteindre tant bien que mal un incendie incontrôlable puisque les clubs ne peuvent borner les prises de position de leurs acteurs sur les réseaux sociaux. "Le contenu publié par Özil reflète son opinion personnelle. En tant que club, Arsenal a toujours adhéré au principe de ne pas s'investir en politique.", a tenté de se dédouaner le club londonien.
Un rétropédalage express vis-à-vis de la Chine qui rappelle celui de la NBA avec le General Manager de Houston Daryl Morey, qui avait provoqué en octobre un tollé en Chine après son tweet de soutien à Hong-Kong. Et un acte de désolidarisation du club envers son joueur, alors que les Gunners n'avaient pas effectué pareil communiqué lorsqu'Hector Bellerin avait tweeté "F*** Boris" lors des élections générales au Royaume-Uni le 12 décembre dernier.
“Comme l’ont noté plusieurs personnes, la direction avait l’air beaucoup moins préoccupée (au point de ne pas réagir du tout) lorsque le défenseur Hector Bellerin a tweeté #F**ckBoris [Johnson] le jour des élections législatives.”, s'est indigné The Times.
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La Chine prépare ses représailles
Si la prise de position courageuse d'Özil - qui a vu depuis son effigie virtuelle disparaître de la version chinoise du jeu vidéo PES - prend une telle ampleur, c'est parce que la Chine est devenue un acteur majeur du sport mondial. L'attaquer sur sa politique intérieure, c'est le risque d'un retour de flamme économique brutal pour un club, une marque ou même un pays. La NBA l'a appris à ses dépens (des entreprises chinoises ont suspendu leur sponsoring ainsi que les négociations des droits de diffusion avec la NBA), Arsenal est en train de le découvrir.
La Turquie, isolée sur le plan international, avait été la première à protester contre la situation ouïghoure en février dernier. Mais elle est depuis restée assez discrète sur la question afin de ne pas froisser le partenaire chinois, alors qu'elle est d'habitude encline à défendre la diaspora turque dans le monde. L'Arabie Saoudite, adepte comme la Chine du soft power par le sport, avait elle carrément défendu en février la politique chinoise visant à enfermer les Ouïghours dans des camps. "La Chine a le droit de mettre en oeuvre un travail d'anti-terrorisme et de dé-extremisation pour sa sécurité nationale", avait approuvé le prince héritier Mohammed Ben Salman au Telegraph.
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