Cet article date de plus de quatre ans.

“Les modèles économiques de certains clubs sont fragiles et le sont encore plus avec la crise du covid", estime un économiste

Les annonces de rachats de clubs professionnels français par des investisseurs étrangers sont régulièrement à la une dans les médias. Des rachats qui concernent le secteur du football mais aussi celui du rugby, avec le rachat du club de Béziers notamment. Jean-François Brocard maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Limoges, et chercheur au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) nous explique le contexte de ces rachats et analyse l’impact possible du covid sur les clubs, dont certains pourraient vouloir vendre.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
  (PASCAL PAVANI / AFP)

Pourquoi le secteur du football professionnel est-il le plus prisé des sports en France par les investisseurs étrangers ?
Jean-François Brocard : "Dans le football, au-delà de son importance en tant que secteur, qu'objet social, il y a de plus en plus de revenus notamment liés aux marchés des transferts, avec une certaine manne financière qui attire les investisseurs extérieurs, notamment les fonds de pension ou les fonds d'investissements, qui, historiquement, n'étaient pas intéressés par le sport, en tout cas par le football. Dernièrement, l'augmentation des revenus des clubs leur a permis de réaliser des achats de joueurs, et d'envisager par la suite des forts taux de rentabilité. Ce n'était pas du tout le cas à l'époque. 

Toutefois, s'il est compliqué de faire de l'argent dans le foot, des stratégies existent comme par exemple ce qui a été mis en place à Lille, ou à Monaco à l'époque, à Bordeaux aujourd’hui, et à Toulouse demain, qui sont des stratégies de trading joueurs. Autrement dit, les joueurs deviennent des actifs financiers qu'il faut acheter et revendre à des tarifs supérieurs pour réaliser des plus-values, qui permettent une rentabilité. Et c'est ce que vise la plupart des investisseurs aujourd’hui dans les clubs de foot. C'est possible mais ce n'est pas simple et plus d'un s'y est cassé le nez.

Si je prends le cas du rugby en revanche, et notamment le cas de Béziers, c'est certainement du soft power, car il est très difficile de gagner de l'argent au rugby aujourd’hui. Les acheteurs viennent pour s’acheter un nom. Les grands "mécènes” comme Mourad Boudjellal, les grands investisseurs du rugby dernièrement sont venus s'acheter un nom, une notoriété. Ils avaient très bien réussi dans d'autres secteurs, beaucoup mieux que dans le sport d’ailleurs, mais ils étaient inconnus. En achetant un club, avec leurs fonds de leur portefeuille, ils se font une notoriété et cela est très attirant. Mais l’investissement pour un club de rugby est bien moins important que dans le football. Donc cela attire des investisseurs avec des plus petits budgets."

Le football, une activité comparable à la pharmacologie 

Les acheteurs étrangers des clubs français sont soit Américains, soit Moyen-orientaux. Pourquoi rachètent-ils des clubs français ?
J-F. B. :
"En ce qui concerne les Américains, notamment pour les fonds de pension, qui gèrent des retraites à capitalisation qui n'existent pas chez nous, ceux-ci gèrent une somme d'argent qu'ils sont censés faire fructifier pour être capable de distribuer des retraites confortables à l'issue de la période d'activité des personnes. Ils comparent donc la rentabilité des différents actifs. Le football est donc comparé à la pharmacie ou à l’armement par exemple. Ils se fichent du secteur, donc si en ce moment, ils constatent qu'il y a la possibilité de faire une grande rentabilité dans le football, ils vont miser sur lui. Au Moyen-Orient, en plus du plaisir de s’offrir un club, c’est surtout une logique de soft power, une manière de redorer le blason du pays et de se donner une notoriété. Sans le sport, qui connaîtrait aujourd'hui le Qatar ?"

Dans une interview accordée à BeIN Sports fin mai, Arsène Wenger, s’est exprimé sur le rachat de nombreux clubs français par des investisseurs étrangers. L'ancien entraîneur d'Arsenal a notamment déclaré que les nouveaux acheteurs n’étaient pas "des vrais constructeurs de l'avenir des clubs, mais plutôt des investisseurs qui cherchent à gagner très vite de l'argent avec les clubs. Les supporters sentent que le but premier n'est pas de construire une grande équipe, mais de réaliser une plus-value financière." 
J-F. B. :
"Je suis totalement d'accord avec lui. Les business modèles développés par les investisseurs sont un peu particulier. Pour simplifier, il y a de nombreux artifices financiers qui sont vraiment poussés dans ces rachats. Ils arrivent de plus en plus souvent, et c'est bien cela qui est catastrophique, sans argent frais. Ils empruntent pour acheter le club. Et en empruntant, forcément ils s'endettent, pas eux directement mais le club. Et ce dernier est donc obligé de rembourser des crédits.

"L'objectif du club n'est pas de gagner des matchs, mais de gagner de l'argent sur la revente des joueurs"

Pour cela, il faut avoir de l'argent frais, sauf que les clubs n’en gagnent pas forcément. Ils sont ainsi contraints de mettre en place des politiques de retour sur investissement rapide, qui sont, la plupart du temps, basées, dans le football, sur l'achat et revente de joueurs. Et donc l'objectif du club n'est pas de gagner des matchs, comme le dit très bien Arsène Wenger, mais de gagner de l'argent sur la revente des joueurs pour pouvoir rembourser les crédits. C'est ce qui justifie le fait que les investisseurs veulent valoriser les joueurs plutôt que le club. Je suis complètement opposé à cette financiarisation du football, d'autant plus quand elle n'est pas maîtrisée comme aujourd’hui."

La crise économique engendrée par le covid peut-elle provoquer une multiplication de rachats de clubs en France ? 
J-F. B. :
"Le covid peut avoir un effet dans le sens où de nombreux clubs français vont perdre de l'argent, et vont être en déficit. S’il le sont de manière générale, cela sera pire cette année. Même s'ils ont un peu été aidés par les aménagements fiscaux notamment, ce n’est pas suffisant. Les investisseurs en ont assez de rajouter de l'argent, et ce n’est pas impossible que quelques clubs soient à vendre. Toulouse l’est déjà, la situation des Girondins n’est pas très bonne, à Saint-Etienne on sait que c'est compliqué, Monaco perd beaucoup d'argent, et à Lille, on ne sait pas si cela va tenir longtemps. Les modèles économiques de certains clubs sont un peu fragiles, et le sont encore plus avec la crise.

"Vendre un club aujourd'hui, c'est vendre au plus mauvais moment"

Vendre un club aujourd’hui, c’est vendre au mauvais moment, même si c'est rare de vendre quand tout va bien. Aujourd’hui, nous avons plutôt des clubs qui vont mal donc forcément, on les vend moins bien, parce qu’il n’y a pas beaucoup d'actifs de joueurs et peu d'acheteurs en face."

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