Le mandat tumultueux de Donald Trump avec les sportifs américains, en quatre actes
• Août 2016 : le genou à terre de Kaepernick
Dès les mois qui ont précédé son arrivée à la Maison Blanche, les relations se sont envenimées entre les athlètes américains et leur (futur) président. C’est plus précisément en août 2016 qu’a été allumée la première mèche. Certes, le candidat Donald Trump s’était déjà signalé par des sorties remarquées sur les sportifs issus de l’immigration. Il avait ainsi nié l’existence de héros sportifs musulmans dans l’histoire américaine, suite à un tweet du président Obama. "De quel sport parle-t-il ? Et qui ?" avait-il lancé imprudemment.
Mais c’est véritablement en ce mois d’août 2016 que le sport va prendre un teinte politique, et anti-trumpiste. Colin Kaepernick, un quarterback de l’équipe des San Francisco 49ers, décide de s’agenouiller lors de l’hymne national d’avant-match. C’est pourtant un moment hautement symbolique dans le sport américain. Les athlètes se doivent, traditionnellement, d’écouter l’hymne national, la main sur le coeur, les yeux tournés vers le drapeau. Mais, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter qui avait alors déjà démarré, Kaepernick refuse. "Je ne veux pas me lever pour saluer un drapeau qui opprime les Noirs et les gens de couleur", explique le sportif de 28 ans, né d'un père noir et d'une mère blanche. Le geste évoque les prières publiques des manifestants pacifiques pour les droits civiques, dans les années 60.
Kaepernick devient instantanément un sujet politique à lui tout seul. Le magazine Times lui consacre sa Une.
En réponse, Donald Trump choisit la manière forte. “Je pense que c’est une chose terrible, et vous savez, peut-être qu’il devrait choisir un pays qui lui convient mieux, qu’il essaye, ça ne marchera pas”.
• Septembre 2017 : les "fils de p..." se rebiffent
La tension monte d’un cran en 2017, lorsque Donald Trump fait une nouvelle fois référence au geste de Colin Kaepernick, entre-temps viré de son équipe et persona non-grata au sein de la NFL.
Dans un discours fin septembre, il affirme que les sportifs refusant de se lever lors de l’hymne national sont des “fils de p…” qui devraient être virés par leur équipe. La violence du propos choque. De nombreux sportifs emboîtent alors le pas à Kaepernick. Le 23 septembre, le joueur de baseball Bruce Maxwell pose un genou à terre pendant l’hymne, puis affirme le lendemain son soutien à Kaepernick.
Le jour suivant, ce sont des centaines de joueurs de la NFL qui l’imitent, tandis que Stephen Curry et LeBron James multiplient les prises de paroles anti-Trump en NBA. Le mouvement est lancé, et le vocabulaire véhément de Trump n’y est pas étranger.
• Juin 2019 : Rapinoe et l’ultime refus
En ce début d’été 2019, ce sont les footballeuses qui sont au coeur de la lumière. La Coupe du Monde féminine se déroule en France, les Américaines survolent le tournoi et séduisent la planète football, notamment au travers de leur star, Megan Rapinoe. Celle-ci brille par son charisme. La veille de la finale, elle accorde une interview explosive à CNN, lors de laquelle elle affiche une rare animosité envers Trump. “Je n’irai pas à la foutue Maison Blanche, et je crois que toutes les membres de l’équipe à qui j’ai parlé explicitement de cela n’iront pas”. La joueuse, ouvertement lesbienne, s’est ensuite adressée directement à la caméra : “Je pense que je dirais que votre message exclut des gens. Vous m’excluez. Vous excluez les gens qui me ressemblent, vous excluez des gens de couleur, vous excluez des Américains qui peut-être vous soutiennent."
Le président n’a pas tardé à répondre, dans son style habituel : “Megan devrait d’abord GAGNER avant de PARLER ! Termine le Travail”. Les Américaines ont bien “terminé” le travail, et ne se sont effectivement pas rendues à la Maison Blanche après avoir remporté le titre mondial. L’aura de Rapinoe, chez les Américains “progressistes” a encore gonflé après cet épisode, d’autant qu’elle était déjà régulièrement sur le devant de la scène pour défendre le droit des minorités. Pendant cette coupe du monde, l’institut de sondage Public Policy Polling - officiellement démocrate, il faut le noter - avait donné Megane Rapinoe gagnante face à Donald Trump, dans le cas d'un duel lors d'une élection présidentielle.
La visite chez le président était pourtant une tradition de longue date aux Etats-Unis. Elle a été donc brisée sous Donald Trump. En 2016, la moitié de l’équipe des New England Patriots, vainqueurs du Super Bowl, n’avait pas fait le déplacement. Jimmie Johnson (vainqueur du Nascar) ou Stephen Curry (champion NBA), comme beaucoup d’autres d’après un article de Business Insider, n’ont pas été invités après avoir exprimé leur scepticisme à l’idée d’être reçu par le président. Au cours des deux premières années du mandat de Donald Trump, seule la moitié des 20 équipes victorieuses de grandes compétitions ont été reçues à Washington.
• Mai-Juin 2020 : George Floyd et Jacob Blake, étincelles d’une révolution
Le lundi 25 mai, un citoyen afro-américain du nom de George Floyd décède suite à une interpellation brutale d’un policier blanc. L’onde de choc de la vidéo de son arrestation, où on l’entend à plusieurs reprises l'homme crier "I can’t breathe" sous le genou du policier, atteint les parquets et les terrains de sport. LeBron James, déjà à la pointe de la mobilisation des sportifs en 2014 après l’arrestation d’Eric Garnier, publie un message avec une photo montage (ci-dessous) intitulée "C'est... pour ça", partagé des milliers de fois sur Instagram.
Plusieurs basketteurs, mais aussi des joueurs et joueuses de tennis, des footballeurs en Europe se solidarisent avec la cause noire-américaine contre les violences policières. Au centre des griefs, au-delà d’un “racisme systémique”, la réticence de Trump à soutenir ces mouvements ; voire sa propension à les critiquer. Pourtant, l’ampleur du mouvement pousse même certains acteurs au départ réticents à soutenir la cause noire-américaine, tel Roger Goodell, le président de la NFL. Sa ligue avait, comme expliqué plus haut, tout fait pour marginaliser Colin Kaepernick. Quelques jours après le décès de Floyd, il a regretté "ne pas avoir écouté les joueurs". Ce à quoi Trump, qui avait jusqu’ici toujours soutenu la NFL, a immédiatement rétorqué : "Serait-il possible que, dans la déclaration de paix et de réconciliation plutôt intéressante de Roger Goodell, il laisse entendre qu'il serait désormais acceptable pour les joueurs de s'agenouiller, ou de ne pas se tenir droit, pour l'hymne national, manquant ainsi de respect à notre pays et notre drapeau ?”
Fin août, la mort de Jacob Blake, dans des circonstances similaires, va plonger le sport américain dans une tempête politique rarement vue. L’équipe de Milwaukee refuse d’entrer sur le terrain lors d’un match de play-offs, déclenchant une vague de grèves sans précédent au sein de la NBA. Le président Trump est alors sorti de sa réserve : “Je ne sais pas grand-chose de la protestation de la NBA. Je sais que leurs audiences n’ont pas été bonnes car les gens sont fatigués de la NBA, honnêtement. Mais je ne sais pas grand-chose de leur mouvement. Leurs audiences ont été très mauvaises, c’est malheureux. C’est devenu une sorte d’organisation politique, et ce n’est pas une bonne chose. Pour le monde du sport ou pour le pays.”
Qu'il prenne fin mardi ou qu'il se poursuive de quatre nouvelle années, le mandat de Trump aura donc, quoi qu'il arrive, marqué l'histoire du sport américain. Nicolas Martin-Breteau, historien des Etats-Unis, nous l'avait confirmé dans un article il y a quelques mois : “Aucun président américain avant Donald Trump n'a été aussi clivant pour le monde du sport".
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