Le football européen, terrain de jeu des rivalités des pays du Golfe
Entre pays rivaux du Golfe, les guerres par procuration sont légion. Et le sport semble être un terrain propice aux affrontements, parfois engagés, entre ces États dopés par les pétrodollars qu'ils n'hésitent pas à mettre sur la table pour défendre leur cause. Le Qatar, qui détient avec son fonds d'investissement QSI le Paris Saint-Germain depuis 2011, mène ainsi une campagne de communication depuis plus de trois ans afin de discréditer plusieurs pays voisins qui ont décidé de lui imposer un blocus en juin 2017. Ces derniers soupçonnent ainsi le petit émirat de soutenir et de financer le terrorisme dans la région, et d'être proche de l'Iran. Depuis, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, l'Égypte ou encore le Bahreïn ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
Les tensions sont palpables entre ces États du Golfe et le sport est un bon moyen de se jauger et d'évaluer la suprématie d'un pays sur un autre. Ces dernières semaines, les différends, surtout entre l'Arabie saoudite et le Qatar, sont apparus au grand jour lors d'épisodes qui ont marqué le football européen. Le dernier en date, même si l'identité des repreneurs est encore inconnue, est le projet de rachat porté par Mourad Boudjellal pour acquérir l'Olympique de Marseille. Une opération qui viserait notamment à venir concurrencer le Qatar, qui peaufine son image dans l'Hexagone depuis près de dix ans grâce aux succès du Paris Saint-Germain. Mais avant cette annonce de l'ancien président du RC Toulon, d'autres événements ont eu lieu depuis le début de l'épidémie de Covid-19.
• En Angleterre, le Qatar torpille le projet de rachat de Newcastle par les Saoudiens
Afin de développer sa diplomatie sportive et de rencontrer les objectifs de son projet Vision 2030 - destiné à diversifier l'économie et à ne plus se reposer essentiellement sur les revenus du pétrole -, l'Arabie saoudite s'est lancée il y a quelques mois dans le projet de racheter le club anglais de Newcastle. Un plan à plusieurs centaines de millions d'euros qui aurait également permis au royaume saoudien de peaufiner son image à l'international, en se rattachant aux valeurs positives renvoyées par le sport.
Déposée le 14 avril dernier, l'offre de rachat de 300 millions de livres (343 millions d'euros) est toujours étudiée par la Premier League, qui soumet cette proposition à un test très précis pour évaluer son bien-fondé. Si la reprise du club anglais prend autant de temps - et qu'elle risque d'échouer -, c'est en grande partie en raison de l'implication de beIN Sports dans le dossier. Diffuseur de la Premier League au Moyen-Orient et en Afrique du nord pour la période 2019-2022 contre 400 millions de livres (440 millions d'euros), beIN Media Group est directement intervenu dans l'affaire pour dénoncer le rachat par le Public Investment Fund, le fonds public d'investissement saoudien, dirigé par le prince héritier Mohammed Ben Salman.
"Il (le gouvernement saoudien, ndlr) facilite le vol des droits télévisés de la Premier League - et donc les revenus de vos clubs – en soutenant le piratage à grande échelle de la chaîne beoutQ depuis plusieurs années", a ainsi écrit Yousef Al-Obaidly, directeur général du groupe beIN dans un courrier adressé à la Premier League fin avril. Le Qatar, via son groupe télévisé qui fait partie intégrante de sa diplomatie sportive visant à faire connaître le petit émirat à l'international, dénonce ainsi le piratage à grande échelle des programmes de beIN par la chaîne beoutQ (traduire "Dehors le Qatar"). Une chaîne lancée et soutenue par le gouvernement saoudien, comme l'explique un rapport de l'Organisation mondiale du commerce publié mi-juin. S'il s'est engagé à lutter contre ce piratage, le royaume saoudien est loin d'être certain de voir le rachat de Newcastle aboutir, en raison notamment de la prise de position forte de l'émirat du Qatar dans ce dossier.
• En Italie, beIN Sports boycotte temporairement la Serie A
Entre le 22 et le 26 juin, les abonnés à beIN Sports dans 36 pays n'ont pas eu accès aux rencontres du championnat italien. Dans un message publié sur son compte Twitter, le groupe qatari évoque des "raisons légales" qui le poussent à stopper temporairement les retransmissions de la Serie A. Les raisons sont d'ordre contractuelles et diplomatiques. En 2018, beIN Media Group s'offrait les droits de la Serie A jusqu'en 2021 contre 157 millions d'euros par saison. Mais avec la crise du Covid-19, les négociations de dédommagement de beIN pour le paiement déjà effectué à la Fédération italienne n'avancent pas.
Voir sur Twitter
Mais au-delà des questions contractuelles, un épisode a tendu les relations entre les dirigeants du football italien et le groupe beIN Sports, et aurait poussé le groupe qatari à mettre un terme temporairement aux retransmissions. En janvier 2019 et en décembre 2019, la Supercoupe d'Italie s'est déroulée à Djeddah puis à Riyad, en Arabie saoudite. Un choix qui a passablement contrarié le Qatar qui a reproché à la Ligue italienne de se tourner vers un pays qui favorise le piratage de la Serie A via beoutQ. Un procédé similaire à la situation autour du rachat de Newcastle, donc. Mais les tensions semblent s'être légèrement apaisées, puisque les fans de Serie A ont pu assister vendredi soir à la victoire de la Juventus contre Lecce (4-0) sur beIN Sports.
• En Allemagne, l'Arabie saoudite vient concurrencer le Qatar pour les droits TV
Parmi les différents pans de la diplomatie sportive d'un pays, la promotion d'un groupe télévisuel est d'une efficacité redoutable. Le Qatar l'a bien compris et s'est notamment fait connaître à l'international grâce aux groupes Al Jazeera et beIN Sports. Dans le cadre de son projet Vision 2030, l'Arabie saoudite pourrait faire de même. Un indice laisse penser que le royaume pourrait se lancer dans ce projet : le Financial Times a rapporté il y a quelques jours que l'Arabie saoudite aurait préparé une offre pour racheter les droits de retransmission de la Bundesliga au Moyen-Orient.
Le contrat liait jusque-là la Bundesliga à beIN Sports pour cinq ans et 250 millions de dollars (223 millions d'euros), mais les négociations sont en cours pour un renouvellement. L'Arabie saoudite pourrait ainsi s'intégrer dans les discussions pour venir dérober les droits de retransmission de la Bundesliga au Qatar. Cela représenterait un coup dur pour l'émirat, qui diffuse le championnat d'Allemagne en exclusivité depuis 2015. Pour le royaume saoudien, empocher les droits TV de la Bundesliga serait une petite victoire dans la rivalité qui l'oppose au Qatar.
• En France, le Qatar et le PSG bientôt en concurrence avec les Saoudiens ?
Mourad Boudjellal l'a annoncé dans plusieurs de ses nombreuses interviews accordées depuis deux jours et l'annonce d'un projet de rachat de l'OM, les investisseurs provenant du Golfe ne viennent pas du Qatar. Comme l'a précisé sur son compte Twitter Georges Malbrunot, spécialiste du Moyen-Orient et grand reporter pour Le Figaro, "l'un des objectifs non avoués du rachat de l'OM par des fonds du Golfe - saoudiens en particulier -, c'est de concurrencer le Qatar, propriétaire du PSG". Si l'identité des investisseurs n'a pas encore été dévoilée et devrait l'être en début de semaine prochaine, celle de l'intermédiaire franco-tunisien évoqué par Boudjellal aurait été découverte : il s'agirait de Mohamed Ayachi Ajroudi, homme d'affaires installé depuis plusieurs décennies en Arabie saoudite.
Que les investisseurs proviennent des Émirats arabes unies, de Bahreïn ou d'Arabie saoudite, le rachat de l'OM par ces fonds du Golfe provoquerait forcément un conflit par procuration dans le sport français avec le PSG. Le vainqueur serait le club, et donc l'État en arrière-plan, capable de remporter le championnat de France et la Ligue des champions. Et même si les investisseurs sont d'ordre privé, les frontières entre le public et le privé sont minces dans la péninsule arabique. Qu'il s'agisse de businessman ou de fonds public d'investissement comme le PIF, l'objectif sera le même. Si les investisseurs sont saoudiens, ils s'inscriraient donc dans la Vision 2030 du royaume, tout en venant concurrencer le PSG et par conséquent le Qatar. La France pourrait ainsi devenir l'un des nouveaux terrains de la lutte d'influence qui se déroule entre les pays du Golfe et qui s'est manifestée à plusieurs reprises ces dernières semaines sur la scène du football européen.
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