Lance Armstrong : pourquoi la justice s'est réveillée si tard ?
Armstrong, Lance : coureur cycliste américain vainqueur du Tour de France de 1999 à 2005. Pourrait avoir des problèmes courant 2012, mais rien n'est moins sûr.
Sur le vélo, on l'appelle "Robocop", mais le surnom vaut aussi pour sa ligne de défense. Lance Armstrong ne dévie pas. Nier, toujours nier. Jamais le septuple vainqueur du Tour de France n'a reconnu s'être dopé pour écraser la Grande Boucle comme personne avant lui. Et pourtant, des témoignages, des éléments matériels et de fortes présomptions se sont accumulés depuis dix ans. Mardi 11 juin, l'agence américaine contre le dopage, l'USADA, a notifié au coureur américain sa suspension dans une lettre (PDF en anglais, 15 pages). Pourquoi seulement maintenant ?
Des preuves qui arrivent trop tard
En 2005, le quotidien L'Equipe a révélé les premières pièces à charge dans le dossier Armstrong. L'Américain était positif à six reprises sur le Tour 99, sa première victoire. Le quotidien a alors utilisé des techniques poussées de détection des échantillons d'urine de l'Américain. Une méthode irrecevable pour la justice sportive et pour Armstrong, qui nie. Il n'empêche : Lance Armstrong est passé cette année-là de "bon coureur qui ne tient pas la distance sur les courses à étapes" à "crack intouchable du Tour de France". Un statut qu'il conserve sept ans.
En 2011, le magazine américain Sports Illustrated (article en anglais) révèle qu'un laboratoire antidopage américain a fermé les yeux sur des contrôles positifs à la testostérone d'Armstrong au début de sa carrière, au milieu des années 1990. Affirmation corroborée par l'enquête le livre L.A. Confidential, paru au début des années 2000, qui démonte le dopage organisé de l'équipe de l'Américain, l'US Postal. Une formation très en pointe sur les techniques d'améliorations de la performance indécelables ou pas encore interdites. Une équipe de France 3 retrouve en 2000 des sacs poubelles suspects, remplis de seringues usagées, d'ampoules vides et de cachets, abandonnés discrètement par l'US Postal. Dans son livre Chaque seconde compte, Armstrong qualifie ce butin de "tampons de coton, du papier d'emballage et des boîtes vides" issus des "soins de routine". La justice française mène une enquête, à l'automne 2000, sans aboutir.
L'agence antidopage américaine accuse aussi Armstrong de s'être dopé lors de son come-back, entre 2009 et 2010. Résumons : plusieurs sources soupçonnent Armstrong de s'être dopé tout au long de sa carrière, entre 1993 et 2010.
Une seule et même ligne de défense
Combien d'anciens équipiers ont témoigné contre lui ? Floyd Landis, Frankie Andreu, Jonathan Vaughters, des noms familiers du peloton des années 90-2000. Son entourage : son ancienne masseuse, un salarié de l'US Postal... La réponse de l'Américain ne dévie pas d'un pouce, comme ici dans Libération en 2001 : "Est-ce que j'ai été pris à un contrôle antidopage ? Non. Est-ce que j'ai déjà été contrôlé positif à l'EPO ? Non. Ce n'est pas de ma faute si le cyclisme est regardé avec suspicion." Armstrong ajoute à ces dénégations des accusations de rancune personnelle : après tout, c'est lui qui est devenu une icône et pas eux.
La meilleure défense, c'est l'attaque
Non content d'être l'objet d'enquêtes de la justice, Lance Armstrong est aussi un procédurier hors catégorie : il a attaqué le livre L.A. Confidentiel en 2004 (en vain), une société d'assurance qui refusait de lui payer une prime de résultat après sa victoire sur le Tour 2005 à cause des soupçons de dopage (avec succès). Il a gagné un procès en 2003 contre un coureur italien qu'il a qualifié de "menteur absolu".
La justice criminelle renonce, pas la sportive
Quand la justice américaine confie à l'enquêteur Jeff Novitzky le soin de monter un dossier à charge sur Lance Armstrong en 2009, on ne donne pas cher des chances du cycliste américain. Novitzky, c'est l'homme qui a fait tomber la sprinteuse Marion Jones et le réseau de dopage autour du laboratoire Balco.
Mais, début 2012, le vendredi précédant le Super Bowl, on apprend l'arrêt des poursuites criminelles contre Armstrong. L'UCI, l'organisme qui chapeaute le cyclisme mondial et qui n'a jamais brillé par sa volonté d'éradiquer le dopage se disait "heureuse" de cette décision, et voulait "mettre l'affaire Armstrong derrière elle" comme le note Cyclingnews (article en anglais). La journaliste de Sports Illustrated qui avait dévoilé le dopage de l'Américain au début de sa carrière estimait sur Cyclingnews que c'était une enquête difficile, car "le seuil pour prouver qu'il y avait eu tromperie du gouvernement américain était très élevé" (quand Armstrong courait dans l'équipe US Postal, financée par le contribuable américain) et que "c'était une affaire difficile vis-à-vis de l'opinion publique, où, pour beaucoup, Armstrong est un héros."
Et maintenant on fait quoi?
Le chemin judiciaire s'annonce long et pénible. D'après la procédure américaine, une commission d'arbitrage (article en anglais) de trois personnes va être mise en place : un représentant de l'USADA, un autre choisi par Armstrong et un dernier... qui fait consensus entre les deux parties. Comme l'écrit le Washington Post (article en anglais), qui a révélé la lettre de l'USADA, "l'agence antidopage américaine ne perd pratiquement jamais d'affaire, mais peu d'athlètes inquiétés ont l'aisance financière d'Armstrong."
Dans son communiqué de dénégation, Armstrong attaque ouvertement la raison d'être de l'agence antidopage américaine. Il parle d'une agence "financée par les contribuables mais gouvernée par ses propres règles", d'une action "sans fondement motivée par le dépit". Répondant à l'accusation de dopage organisé de l'USADA, il évoque un "complot". Une méthode de défense qui rappelle la tactique utilisée contre Novitzky, que son avocat avait qualifié d'"anti-américain", rappelle Vélochrono.
Une fois la décision de la commission rendue, l'une des deux parties a le droit de faire appel devant le Tribunal arbitral du sport, sur le modèle de la procédure qui a conclu à la suspension d'Alberto Contador à l'automne 2011.
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