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La sédentarité des jeunes, une bombe sanitaire à retardement aggravée par la pandémie

Activité physique délaissée, multiplicité des moyens de transport, explosion du temps d’écran, la sédentarité est devenue la norme des enfants et adolescents. Accentué par les confinements successifs, le phénomène est aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur car les conséquences pourraient être désastreuses.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Entre le temps passé assis à l’école, dans les transports et devant les écrans, les enfants et adolescents sont beaucoup trop sédentaires dans leur vie quotidienne. (CHAU-CUONG LE / HANS LUCAS)

Du lit à la chaise de l’école, en passant par le siège du bus ou de la voiture parentale puis par le canapé devant la télévision ou les smartphones... cette routine quotidienne, devenue la même pour un large nombre d’enfants et d’adolescents, est dans le viseur des autorités sanitaires. Une nouvelle génération trop sédentaire et trop peu active, c’est ce que relèvent plusieurs études récentes publiées par l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps) et l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses). Et les résultats sont alarmants.

Selon l’expertise menée par l’Anses, publiée en novembre 2020, 66 % des jeunes interrogés de 11 à 17 ans "présentent un risque sanitaire préoccupant". Ceux-ci se situent au-dessus des deux heures d’écran recommandées par jour par l’Anses, et en-dessous des 60 minutes d’activité physique quotidiennes. Et "49 % présentent un risque sanitaire très élevé, caractérisé par des seuils plus sévères, soit plus de 4h30 de temps écran journalier et/ou moins de 20 minutes d’activité physique par jour", ajoute l’enquête.  

Le confinement, un accélérateur de sédentarité 

Autre constat, cette fois de l’Onaps. Le premier confinement du printemps dernier a inévitablement accentué cette sédentarité des jeunes. Le dernier état des lieux de l'observatoire, intitulé "Activité physique et sédentarité de l’enfant et de l’adolescent", publié le 25 janvier 2021, montre que 56% des enfants et adolescents de la tranche de 5 à 17 ans "semblent avoir réduit drastiquement leur niveau d’activité physique et augmenté leur temps de sédentarité" durant cette période. "Le confinement a été un accélérateur de nos mauvais comportements de santé. Il a accéléré la propension au temps d'écran, au temps passé assis, et réduit le temps passé actif des enfants, adolescents et adultes", analyse David Thivel, membre du comité scientifique de l’Onaps. Un résultat logique après la mise sous cloche du pays pendant deux mois. "Depuis un an, c'est assez grave ce qu'il se passe. On accélère cette dynamique au lieu de mettre de l'énergie à freiner ce phénomène", regrette Irène Margaritis, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition à l’Anses et coordinatrice de l’expertise sur la sédentarité et l’inactivité physique chez les jeunes.  

“Même après le confinement, simplement me baisser pour enfiler mes chaussettes, j’avais du mal... c’est pourtant censé être un problème de grand-mère” 

Et les adolescents sont les premiers à en ressentir les contrecoups. Philippine, lycéenne de 17 ans, a constaté les effets néfastes de la sédentarité quand elle passait des journées entières devant son ordinateur pour suivre ses cours à distance. "Pendant le confinement, je ne bougeais pas de ma chambre de la journée. J’avais mal aux jambes, au dos et à la nuque, à force d’être constamment assise. Même après le confinement, simplement me baisser pour enfiler mes chaussettes, j’avais du mal... C’est pourtant censé être un problème de grand-mère", avoue la jeune femme, qui reconnaît avoir également perdu en souplesse et en souffle. Ce que confirme Benjamin, 16 ans, pourtant actif. "Pendant le confinement, à cause des cours à distance, je n’étais pas plus fatigué mais je me sentais comme engourdi", explique l’élève de première. 

Une espérance de vie raccourcie 

Si les confinements successifs de l'année 2020 ont accentué inévitablement ce constat, cette problématique inquiète les médecins depuis plusieurs années. Déjà en 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) relevait qu’au niveau mondial "plus de 80 % des adolescents scolarisés ne respectent pas la recommandation actuelle, qui est de faire au moins une heure d’activité physique par jour". "Si on ne fait pas bouger davantage nos enfants, nous préparons la première génération qui pourrait avoir une espérance de vie plus courte que celle de ses parents", alertait à son tour en 2019 le Professeur François Carré, cardiologue au CHU de Rennes, dans un communiqué de la Fédération française de cardiologie.  

La cause de ces chiffres inquiétants est à chercher du côté du temps passé devant les écrans. D’après l’enquête menée par l’Onaps, "73% des élèves" de troisième "dépassent la limite de deux heures d’écran par jour" en semaine. Durant le week-end, ce chiffre passe à 93%. Jeux vidéo, réseaux sociaux, plateformes de streaming et cours parfois à distance, les écrans composent la vie des plus jeunes. "Aujourd’hui, on peut presque dire que nous n’avons plus d'enfants ni d’adolescents en France et au niveau mondial, respectant les recommandations. Quant aux 7% restants, ils ont probablement sous-estimés leur déclaration", affirme David Thivel. 

La sédentarité serait-elle donc un des maux du XXIe siècle ? "Absolument, insiste le membre du comité scientifique de l’Onaps. Ca fait un peu mal au coeur, car Aristote disait déjà ‘bougez bien et mangez sainement’. Aujourd’hui, on dit la même chose mais avec beaucoup de retard", regrette-t-il.  

Les écrans, pas les seuls coupables 

Mais les écrans ne sont pas les seuls coupables de cette sédentarité. "On a une sorte de diminution de la culture de l'activité physique et du mouvement, et ce quel que soit le pays. Les enfants sont moins actifs et s'engagent moins dans une activité physique par rapport à vingt ans en arrière. Et que font-ils à la place ? Ils s'engagent dans des comportements sédentaires, qui sont devenus des réelles occupations", constate David Thivel. Entre les déplacements en transport du fait de l’urbanisation des villes ou des journées d’école passées assis, tout contraint les jeunes et adolescents à la sédentarité. "On a créé un monde pour lequel l'humain n'est pas physiologiquement fait", tranche le spécialiste. 

Des conséquences parfois irréversibles 

Cette sédentarité n'est pas sans conséquence pour la santé. "On sait que la sédentarité est un facteur de risque de développement de l’obésité, du diabète, des pathologies cardiovasculaires, des états anxieux dépressifs et est même associée à certain risque de cancer", s’inquiète Martine Duclos, cheffe du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand et directrice de l’Onaps. L’apparition de plus en plus fréquente de jeunes atteints de diabète de type 2 (maladie caractérisée par un taux trop élevé de glucose dans le sang) est une chose "qu'on n'aurait jamais imaginé il y a vingt ans. A l’époque, on appelait le diabète de type 2, le diabète de la maturité car il ne touchait des patients qu’à partir de 60 ans", remarque Martine Duclos.  

Si les conséquences sont visibles dès l’enfance des plus jeunes, la sédentarité et l’inactivité physique sont aussi responsables du capital santé de ceux-ci à l’âge adulte. S'il n'est jamais trop tard pour faire de l’activité physique et limiter sa sédentarité, les conséquences de certains comportements sont irrémissibles. "Si on n'a pas gagné son capital osseux par l'activité physique à la fin de l'adolescence, c'est irrécupérable. On sait aussi que chez les enfants et adolescents, l'activité physique permet d'augmenter les capacités cognitives, et là aussi, c'est irréversible", pointe Martine Duclos. 

Mieux éduquer à l’activité physique 

Face à ce triste constat, que faire pour inverser la tendance ? Déjà, dans l’éducation à l’activité physique. "En France, on confond le sport et l’activité physique, alors que ce n’est pas du tout la même chose. Le sport n'est qu'une composante de celle-ci. En fait, l’activité physique c’est d’abord bouger tous les jours, que ce soit marcher, jouer en plein air ou monter des escaliers”, note Martine Duclos. Ce médecin du sport appelle d’ailleurs à éduquer l’ensemble de la population à ce sujet, "au même titre que la nutrition ou l'éducation au tabac".  

Plus qu’éduquer, il faudrait aussi pour certains spécialistes davantage expliquer le lien essentiel entre le corps et l’esprit. "On a toujours tendance en France à mettre de côté le cerveau et le reste du corps et les muscles, c’est une grossière erreur, ils marchent ensemble, ils communiquent", expliquait début février le cardiologue au CHU de Rennes François Carré dans les colonnes de Midi Libre. Début 2021, le Ministère de l’Education nationale a fait un premier pas en ce sens en instaurant 30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école primaire. Si l’initiative reste pour l’heure sur la base du volontariat, une prise de conscience est peut-être en marche.  

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