La menace sur le Tour de France fait craindre une catastrophe pour le cyclisme
Vitrine florissante d'Amaury Sport Organisation (ASO), le Tour de France représente un monument français mais aussi le poumon économique du cyclisme professionnel. La respiration va toutefois devoir attendre un peu. Emmanuel Macron a annoncé lundi soir dans son allocution l'interdiction des événements publics d'envergure jusqu'à mi-juillet prochain. La Grande Boucle qui devait s'élancer de Nice le 27 juin prochain ne devrait pas faire exception et va devoir revoir ses plans. Si le report reste la première option, celle d'une annulation n'est pas non plus à exclure, entre incertitude liée au coronavirus et un calendrier cycliste de plus en plus surchargé. Ce deuxième scénario en raison du Covid-19 aurait de lourdes conséquences, selon tous les experts interrogés par l'AFP.
Une telle perspective ne priverait pas seulement des millions de téléspectateurs d'après-midi qui s'étirent à contempler d'époustouflants paysages de France, ponctués de batailles épiques dans les montagnes. Car le Tour est surtout un pilier pour le budget des équipes engagées, au nombre de 22 pour l'édition 2020 (27 juin - 19 juillet). Et si l'épreuve centenaire n'a pas lieu, "cela ouvre la possibilité d'un effondrement économique du secteur", prévient Jean-François Mignot, chercheur au CNRS et auteur d'une Histoire du Tour de France (ed. La Découverte).
Si le Tour n'a pas lieu, des équipes pourraient disparaître
Alors qu'un maintien aux dates prévues semble désormais impossible, un report au mois d'août est à l'étude pour sauver le soldat Tour de France. "C'est très simple. Si le Tour n'a pas lieu, des équipes pourraient disparaître, des coureurs et des membres d'encadrement se retrouveraient sans travail", prédit Marc Madiot, le manageur de l'équipe Groupama-FDJ, dont le budget est estimé à environ 20 millions d'euros.
La menace ne tient pas aux primes reversées aux équipes par ASO, environ 2,3 millions d'euros sur l'édition 2019, selon l'association Sporsora, qui regroupe les acteurs de l'économie du sport. Mais tout simplement, explique Jean-François Mignot, parce que pour "beaucoup de sponsors d'équipes, la seule raison d'être dans le cyclisme plutôt qu'ailleurs repose sur le Tour de France. Si les sponsors consentent à investir, c'est pour que les téléspectateurs voient leur marque sur le maillot des coureurs pendant le Tour, car c'est la seule épreuve cycliste qui soit si massivement regardée". "Il y a assez peu de disciplines sportives qui reposent à ce point sur un événement, qui plus est détenu par un privé" et non une fédération, souligne Bruno Bianzina, directeur général de l'agence Sport Market.
Plus de la moitié du chiffre d'affaires d'Amaury
C'est grâce aux recettes des droits télé et aux sponsors que la course est devenue une entreprise si florissante pour ASO à partir du milieu des années 80, son chiffre d'affaires décuplant alors sur les deux décennies suivantes (de 5 à 50 millions d'euros), selon des estimations contenues dans l'ouvrage de Jean-François Mignot.
ASO, également propriétaire de la Vuelta, Paris-Nice et du Dauphiné, ainsi que de grandes classiques comme Paris-Roubaix, est connu pour ne pas donner de chiffres mais selon Sporsora, le chiffre d'affaires de l'édition 2019 s'élève à environ 130 millions d'euros, dont 40% à 50% provenant des sponsors, 50% à 55% des droits télé et entre 5% à 10% des collectivités qui investissent pour accueillir un départ ou une arrivée d'étape. Cela représenterait plus de la moitié du chiffres d'affaires déclaré en 2018 par la société du groupe Amaury (233,5 millions d'euros selon infogreffe.fr).
Pour tous les observateurs, un été sans Tour serait un coup dur pour ASO, qui n'a pas répondu à l'AFP. "Le Tour, c'est leur vache à lait", résume le patron de Sport Market. "C'est ce qui fait tenir tout le reste", ajoute un acteur du cyclisme. Comprendre, des épreuves moins rentables. Car si "tout le monde a besoin du Tour, le Tour a besoin du reste du calendrier", constate Marc Madiot, également président de la Ligue nationale du cyclisme.
Du sport au tourisme, tout le monde trinquerait
Les sponsors de l'événement y perdraient aussi beaucoup. Car le Tour de France est une occasion unique de toucher le grand public, via la diffusion sur les écrans, mais aussi sur place, avec la fameuse caravane du Tour, véritable cirque publicitaire roulant (31 marques et institutions en 2019) qui passe avant le peloton. ASO revendique 10 à 12 millions de spectateurs sur les routes.
Selon Sporsora, il faut s'acquitter d'environ 250 000 à 300 000 euros pour le plus petit partenaire du Tour. D'après des estimations du secteur, non confirmées, il en coûterait plus de 10 millions d'euros à la banque LCL, partenaire du maillot jaune depuis 1987.
Mais le manque à gagner ne s'arrête pas au secteur sportif. "Ca va bien au delà. Le Tour c'est aussi le meilleur spot publicitaire pour le tourisme français", relève Bruno Bianzina. "Le maillage territorial de l'événement fait que les conséquences d'une annulation seraient décuplées", note aussi Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora, en soulignant les pertes pour les collectivités qui accueillent la course.
Interrogé sur le sujet mardi matin, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a prononcé le mot "incertitude". "Il appartient aux organisateurs d'analyser leur capacité à organiser cela, à le reporter", a-t-il déclaré sur France Inter, renvoyant la balle à ASO (Amaury Sport Organisation), l'organisateur de l'épreuve. Pour l'heure, ASO n'a pas encore pris position. En coulisses, les organisateurs ont consulté les élus locaux. Plusieurs d'entre eux l'ont confirmé à l'AFP et à différents médias. Sans fixer jusqu'à présent le jour précis pour l'annonce d'une décision sur le sujet.
(Avec AFP)
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