L'implication des GAFAM dans le football, c'est pour quand ?
À l’instar du projet de Super Ligue européenne, l’arrivée des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ou GAFAN (si l’on y ajoute Netflix) dans le monde du sport est un véritable serpent de mer depuis quelques années. En raison de leur surface financière conséquente et de leur propension à s’investir dans de nombreux domaines, les acteurs du monde du sport tentent tant bien que mal d’attirer ces géants du numérique afin de voir ces derniers aligner des sommes folles pour récupérer les droits télévisés des grandes compétitions sportives.
À la mi-décembre, Vincent Labrune, le président de la Ligue de football professionnel (LFP) affirmait lors d’un conseil d’administration de l’instance avoir échangé avec ces GAFAM. Des discussions sur fonds de crise du football français, après la défection de Mediapro, dont la chaîne Téléfoot devait diffuser 80% des rencontres de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la période 2020-2024. Alors que Canal+ semble être en pole position pour récupérer les droits TV qu'a décidé de lâcher Mediapro, les GAFAM représentent une autre solution, encore très improbable. Car ces géants se font encore discrets sur le marché du sport, et plus particulièrement du football.
"Les GAFAM se préparent, mais l’offre du sport ne correspond pas totalement à leurs intérêts pour le moment", analyse Vincent Chaudel, co-fondateur de l’Observatoire du Sport Business. "Quand on parle de GAFAM et de sport, il ne faut pas tous les associer", juge de son côté Pierre Maes, spécialiste de l’univers télévisuel du sport et auteur du livre Le business des droits TV du foot (éditions FYP), avant de poursuivre : "Netflix a été très clair : pour eux, aller vers le sport n’est pas une stratégie intelligente. Google et YouTube eux adorent les contenus gratuits. Et Facebook est le géant qui a suscité le plus de fantasmes, mais il ne s’implique finalement pas plus que ça."
Amazon, le géant le plus impliqué
À y regarder de plus près, Amazon est, parmi ces géants du numérique, l’entreprise la plus active sur le marché du sport. Il y a trois semaines, la firme dirigée par Jeff Bezos a ainsi acquis en Italie les droits de diffusion de la meilleure affiche du mercredi pour chaque journée de Ligue des champions, sur la période 2021-2024. Un lot déjà acquis en 2019 en Allemagne, pour la meilleure affiche du mardi de chaque journée de C1. 16 matches par saison diffusés sur la plateforme Prime Video d’Amazon. Et cette implication progressive sur le marché fait forcément rêver les responsables de clubs et de ligues, notamment en France.
Interrogé sur l'opportunité de récupérer les droits TV de la Ligue 1 début décembre sur le plateau de BFM Business, Frédéric Duval, directeur France de la plateforme Amazon, assurait "s’intéresser à tout". Mais en réalité, Amazon, comme les GAFAM, n’est pas encore prêt à payer des sommes considérables pour les droits de retransmission du sport. "Ils testent encore le marché, ils arrivent sur la pointe des pieds dans les appels d’offres", assure Vincent Chaudel. "Qu’ils entrent dans le jeu, pourquoi pas, mais pas pour un milliard ou ce genre de sommes. Amazon, par exemple, se positionne sur des morceaux, pour voir si ça fonctionne ou pas", poursuit Jean-Pascal Gayant, professeur à l’université du Maine et spécialiste de l’économie du sport. Depuis leur entrée sur le marché, Amazon se place ainsi sur des produits hauts de gamme, comme la Ligue des champions. Ou encore Roland-Garros, puisque Prime Video diffusera dix sessions de nuit de l’épreuve à partir de 2021 et jusqu’en 2023.
"Le football leur sert d'appât"
Depuis décembre 2019, Amazon diffuse également deux journées complètes de Premier League, soit 20 matches par saison, sur sa plateforme vidéo. Un lot acquis pour 100 millions d’euros par an, qui porte ses fruits : les inscriptions à Prime Video en Grande-Bretagne ont ainsi augmenté de 35% lors du dernier semestre de 2019 par rapport à 2018, surtout grâce à la diffusion inédite du championnat anglais. "L’intérêt pour Amazon, c’est que les gens s’inscrivent à Prime. Et pour ça, le football leur sert d’appât", explique Pierre Maes. Pas besoin donc de débourser des sommes folles pour les droits télévisés, Amazon se contente de miser en priorité sur des produits attractifs.
Le géant du numérique n’aurait donc que peu d’intérêt à acquérir les droits de toute la Ligue 1, comme l’avait fait Mediapro lors de l’appel d’offres de la LFP en 2018. "Amazon ne serait pas non plus en mesure d’offrir une garniture, à savoir les émissions avant et après les matches, qui valorisent le produit. C’est ce que fait Canal, mais sur Prime Video, c'est très compliqué", ajoute Jean-Pascal Gayant. Pour l’économiste du sport, si la LFP souhaite réellement attirer les géants du numérique, "elle doit réfléchir à son modèle d’appel d’offres, pour permettre à Amazon par exemple de se positionner sur un produit mieux ciblé pour les consommateurs."
L'espoir d'une implication lors du prochain appel d'offres
Si leur arrivée sur le marché des droits télévisés semble donc encore prématurée, les discussions entre Vincent Labrune et les GAFAM ne sont pas anodines. "Les ligues et les clubs utilisent l’intérêt des GAFAM, ils n’hésitent pas à dire qu’ils les ont rencontrés, pour faire peur aux titulaires des droits. Ça sert de menace", juge Pierre Maes. En tout cas, les échanges avec les géants du numérique ne portent pour l’instant pas leurs fruits, comme l’indiquait Didier Quillot, ancien directeur général exécutif de la LFP, à L’Équipe en octobre 2019 : "On avait rencontré Amazon et Alex Green (patron des sports, ndlr) cinq ou six fois, à Paris, à Londres, aux États-Unis. J’ai sincèrement cru qu’ils seraient là sur notre appel d’offres de la Ligue 1 (en mai 2018, ndlr). (…) Mais pour le moment, ils ciblent les franchises mondialisées comme la Premier League."
Encore en juin dernier, lors de l’appel d’offres pour les droits télévisés de la Bundesliga pour la période 2021-2025, les GAFAM étaient très attendus par les médias allemands. Finalement, aucun n’a remporté de lots, pas même Amazon. En France, suite aux négociations de gré à gré entre la LFP et Canal+, la chaîne cryptée pourrait récupérer les droits de la Ligue 1 jusqu’en 2024, avant de les rétrocéder à beIN Sports qui prendrait la place de Téléfoot.
L’arrivée des GAFAM dans le football français ne semble donc pas être pour tout de suite, tout comme la révolution attendue du marché des droits télévisés par les géants du numérique. Mais à force de "tester le marché", leur implication pourrait se faire de plus en plus significative. "Je les vois bien arriver sur le prochain appel d’offres français (qui devrait avoir lieu en 2022, ndlr). Dans les trois-quatre prochaines années, les choses vont encore changer", conclut Vincent Chaudel. Une implication massive dans le milieu du sport viendrait en tout cas soulager les ligues et les clubs qui traversent des mois compliqués.
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