Journée internationale des droits des femmes : "On doit mettre l'égalité de salaire à l'agenda politique", interpelle Béatrice Barbusse, sociologue du sport
Si le sport féminin s'est développé en France, de nombreux chantiers sont encore nécessaires afin de se rapprocher de son homologue masculin.
Si depuis ces dernières années, le sport féminin s'est développé en France, le chemin est encore long, très long, pour rattraper la médiatisation et la reconnaissance accordées au sport masculin. A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mardi 8 mars, Béatrice Barbusse, sociologue du sport, vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball et auteure du livre Du sexisme dans le sport (Ed. Anamosa), revient sur les avancées et surtout les combats qu'il reste à mener pour se rapprocher d'une égalité entre hommes et femmes dans le sport.
De manière globale d'abord, quel état des lieux feriez-vous de la situation du sport féminin en France ?
Béatrice Barbusse : On peut mieux faire ! Il est difficile de qualifier la situation de manière générale, tant elle est globalement très insatisfaisante.
On a l'impression que, ces dernières années, il y a eu un déclic sur le sujet du sport féminin et que ces questions de développement sont davantage mises sur la table.
Déjà, il y a un élan mondial qui permet de faire avancer la cause des femmes. Il y a eu un déclic oui, mais il n'est pas venu tout seul. Certes, on avance, des choses ont été faites, mais c'est aussi grâce à tout un pan de l'univers sportif, à des associations et des individus, qui ont milité et militent encore pour que les choses avancent.
"Si nous n'étions pas un certain nombre à revendiquer et à dénoncer, le sujet n'avancerait pas."
Béatrice Barbusse, sociologue du sportà franceinfo: sport
Si je prends l'exemple de la statue d'Alice Millat au Comité national olympique et sportif français (CNOSF), elle ne serait pas devant moi au moment où je vous parle si un certain nombre de personnes ne s'était pas mobilisé pour qu'elle soit là. Si on avait attendu que les choses se passent spontanément, elle ne se seraient pas faites naturellement ou en tout cas pas aussi vite.
Le sujet de l'égalité salariale concerne de nombreux secteurs professionnels dont le sport. Pourtant, on en parle peu alors que les inégalités sont criantes.
Oui, absolument. Il y a des gens, notamment des économistes, qui vous disent que ce ne serait pas rationnel économiquement de demander l'égalité des salaires dans le sport car les femmes ne rapportent pas autant que les hommes. Il n'y a donc pas de retour sur investissement comme chez ces derniers.
Mais aujourd'hui, je suis de celles qui considèrent que certes, l'égalité des salaires est irrationnelle sur le plan économique, mais ce n'est pas l'économie qui doit guider le sens de l'évolution humaine, et heureusement."
Béatrice Barbusse, sociologue du sportà franceinfo: sport
Par d'autres approches, morales et citoyennes, on doit mettre ces exigences d'égalité de prime, de salaire, à l'agenda politique. D'ailleurs, si on regarde l'histoire, les grandes conquêtes n'ont pas tenu compte de la rationalité économique pour avancer.
L'inégalité des salaires est particulièrement criante dans le sport parce que le sport est un domaine fait par et pour les hommes. Comment voulez vous qu'on fasse vendre autant que les garçons aujourd'hui quand on a pratiquement un siècle de retard ? Pour moi, il y a une dette d'opportunité du sport masculin à l'égard du sport féminin.
Les joueuses de l'équipe américaine de football se sont battues pour obtenir le même salaire que leurs homologues masculins, combat qu'elles ont finalement remporté le 22 février dernier. Pourrait-on s'inspirer de ce modèle en France?
Les deux modèles sont différents. Aux Etats-Unis, les footballeuses sont salariées de la Fédération américaine quand elles jouent en équipe nationale, ce qui n'est pas le cas chez nous, sauf pour le rugby. En revanche, nous pourrions déjà demander à la Fédération française de football (FFF) l'égalité des primes. Au niveau des salaires, si je vous dis qu'il faut le mettre à l'agenda politique, c'est parce que je considère que c'est possible de le faire.
Cela nécessiterait de mettre en place un circuit de distribution et de redistribution financier. Quand je parlais de la dette d'opportunité, à un moment donné, se pose la question : quand va-t-on la rembourser ? Si on ne la rembourse pas, on va s'orienter très doucement vers l'égalité, et on va attendre que le sport féminin rapporte. Si on veut se lancer maintenant, on peut mettre en place des dispositifs et des circuits financiers qui permettraient d'abonder un fonds, qui permettrait d'être redistribué dans les clubs, et d'en sortir des salaires pour les athlètes féminines.
Quels sont les prochains grands dossiers à traiter en priorité ?
Pour les sportives de haut niveau, incontestablement la médiatisation. Il faudrait vraiment que le sport féminin et les sportives soient davantage médiatisés. Il faudrait peut-être même mettre en place des formations au sein de la communauté journalistique pour sensibiliser le corps du métier au sexisme, aux stéréotypes de genre etc. C'est un gros pavé mais tant qu'on ne le fera pas, on n'y arrivera pas.
Au niveau des dirigeantes ensuite. La loi qui vient d'être votée va permettre de faire bouger les choses, même si je regrette que la parité au niveau régional n'aura pas lieu à partir de 2024 mais seulement en 2028, et que l'on n'ait pas également étendu cela aux comités départementaux.
La professionnalisation est-il l'un des sujets à mettre sur la table en urgence ?
Si on se situe au point de vue de l'émergence du secteur professionnel féminin afin qu'il tienne la route, oui il s'agit d'une urgence. La professionnalisation du sport féminin doit se poursuivre, mais pour cela, nous avons encore une fois besoin de cette médiatisation. Elle fait partie de l'écosystème, du modèle économique. Si nous ne l'avons pas à nos côtés, comment voulez-vous que l'on avance ?
"C'est aussi la question des infrastructures sportives. Sur ce sujet, il faudrait un véritable plan Marshall."
Béatrice Barbusse, sociologue du sportà franceinfo: sport
On manque d'équipements sportifs en France, qui permettraient à des équipes, des athlètes femmes et aux fédérations de proposer des compétitions internationales dans l'Hexagone. On est restreint, car nous n'avons pas assez de capacité et la mutualisation ne se fait pas.
Dans de nombreuses villes, on le voit au football mais pas seulement, les plus beaux stades ne sont pas donnés aux filles, même quand ils sont libres. Il y a des villes où les plus belles infrastructures profitent d'abord aux hommes. Au handball, nous essayons de professionnaliser notre deuxième division féminine, mais c'est compliqué quand vous voyez dans quelles salles les équipes jouent. Car elles ne correspondent pas aux cahiers des charges de la télévision. Alors, que devons-nous faire ?
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