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JO d'hiver 2018 : Timor, Togo, Colombie… Ces Français qui disputent les Jeux pour un autre pays

Yohan Goutt, Mia Leclerc, Elise Pellegrin, Micha Poettoz et Mathilde Petitjean sont Français. Mais en Corée du Sud, ils défendent les couleurs d'un autre pays. Présentations.

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Mathilde Petitjean a disputé deux épreuves de ski de fond pour le Togo aux JO de Pyeongchang en 2018. (HENDRIK SCHMIDT / DPA-ZENTRALBILD)

Ils vivent en France, parlent français, mais, lors des Jeux olympiques de Pyeongchang (Corée du Sud), ils défendent un autre drapeau. Yohan Goutt est timorais, Mia Leclerc malgache, Elise Pellegrin maltaise, Micha Poettoz colombien et Mathilde Petitjean togolaise. Un choix parfois sportif mais aussi affectif, car grâce à eux, ces pays où la neige ne tombe parfois jamais sont désormais sur la carte de l'olympisme.

Yohan Goutt, le sentimental du Timor

Yohan Goutt est français mais représente le Timor à Pyeongchang. (JEFF PACHOUD / AFP)

Coincé entre l'Australie et l'Indonésie, le Timor oriental n'est pas réputé pour ses stations de ski. Pourtant, ce pays de 1,2 million d'habitants participe pour la seconde fois aux Jeux olympiques d'hiver grâce à Yohan Goutt. A 23 ans, le skieur, déjà présent à Sotchi, a remis le couvert. "J'avais envie de répéter l'expérience, sourit-il. Pendant quinze jours, tu es dans un autre monde, où il n'y a pas de politique, pas de religion, où tu ressens cette unité, cette paix." Un bon moyen de faire parler de ce pays autrement que par le prisme de la guerre.

Pourtant, rien ne disposait ce natif de Suresnes (Hauts-de-Seine) à disputer des JO. Il découvre le ski à l'âge de 2 ans, mais, comme beaucoup de skieurs franciliens, il ne le pratique que quinze jours par an. A 8 ans, alors qu'il dévale une piste, il entend un ami de son père dire : "Lui, il fera les JO". C'est le déclic. Yohan se tourne vers sa mère et lui lance : "Si je les fais, ce sera pour ton pays." 

Choisir le Timor était évident pour moi. C'est le fait de représenter ce pays où il ne neige pas qui m'a poussé à skier, et c'est le fait de skier qui m'a poussé à représenter le Timor.

Yohan Goutt

à franceinfo

Il ne regrette pas son choix aujourd'hui, même si l'aventure olympique aurait été plus facile avec la France. "Pour la structure d'entraînement, le financement, détaille-t-il. Pour la cérémonie d'ouverture à Pyeongchang, nous avons dû faire nous-mêmes nos équipements." Cela ne l'empêche pas d'apprécier l'événement, qu'il découvre pour la première fois à Sotchi en 2014. En Russie, devant 90 000 personnes, il défile avec fierté en portant le drapeau du Timor. Il y croise son héros, le skieur américain Bode Miller, et entame sa collection de pin's que les athlètes de tous les pays s'amusent à s'échanger. "Tu es un peu obligé et si tu n'en donnes pas, tu es mal vu", rigole-t-il.

Quatre ans plus tard, "c'est toujours énorme", savoure-t-il. Le Timorais est toujours très recherché. Depuis son arrivée, il enchaîne ainsi "deux à trois interviews par jour". Des médias français, asiatiques... Inscrit pour le slalom qui se tiendra jeudi 22 février, il espère refaire le coup de Sotchi, où il était entré dans le Top 50 en finissant 43e. Après les Jeux, il retournera dans l'entreprise familiale d'import-export basée en région parisienne où il est directeur commercial. Sans s'éloigner du ski, avec les Jeux de Pékin 2022 dans un coin de sa tête.

Mia Clerc, l'ambitieuse de Madagascar

Mia Clerc a été adoptée par des parents français mais dispute ses premiers JO pour Madagascar, son pays d'origine. (FACEBOOK / MIA CLERC SKI)

"Je ne m'attendais pas à ce qu'il fasse si froid." Mia Clerc, 16 ans, a, comme de nombreux athlètes, été surprise par les températures glaciales de Pyeongchang. Cette native de Madagascar, adoptée par Stéphane et Sylvie alors qu'elle n'avait qu'un an et demi, vit ses premiers Jeux. "Je ne pensais pas y participer aussi tôt", assure-t-elle. Elle a découvert le ski à 3 ans, en Haute-Savoie, où elle vit avec sa famille, et a hésité entre la France et Madagascar. En juin 2017, elle opte pour l'île de l'océan Indien. Par pragmatisme, d'abord. "Les opportunités sont plus grandes lorsqu'on court pour un petit pays", reconnaît-elle, avant d'avancer une autre raison : "Cela me permet aussi de représenter mon pays de naissance et de donner une image positive de l’adoption." Mais le chemin jusqu'à Pyeongchang n'a pas été un long fleuve tranquille.

"Il a fallu aller à Madagascar, refaire son passeport, détaille son père, qui l'accompagne en Corée du Sud. On a rencontré le vice-président de la fédération malgache de ski et le ministre des Sports, qui nous a donné sa bénédiction." Il a fallu ensuite se qualifier pour les JO en disputant un maximum de courses à travers le monde (Afrique du Sud, Chili, Argentine, Europe). 

On ne fait pas une 'Rasta Rockett', on n'est pas là pour s'amuser.

Stéphane Clerc, le père de Mia

à franceinfo

"Je veux en profiter, mais aussi montrer de quoi je suis capable, et me rapprocher des meilleures", ajoute la jeune athlète. "Un top 40-50, ça serait pas mal", ajoute son père, qui considère ces Jeux comme un tremplin. Objectif atteint puisque Mia a terminé 48e du Géant, jeudi 15 février, et 47e du slalom, vendredi 16 février.            

En attendant de tutoyer les sommets, la jeune fille est devenue le 8 février la deuxième athlète à porter le drapeau malgache lors d'une cérémonie d'ouverture de JO d'hiver, après Mathieu Razanakolona à Turin, en 2006. "Je voyais tous ces athlètes autour de moi, j'étais la plus jeune. J'étais un peu stressée", avoue-t-elle. Elle a aussi découvert une autre discipline exigeante : l'interview. "J'ai dû répondre en anglais face caméra", rigole-t-elle. A Pyeongchang, elle a atteint un de ses premiers objectifs : obtenir une photo dédicacée de son idole, la skieuse américaine Mikaela Shiffrin.

Micha Poettoz, la curiosité de Colombie

Micha Poettoz est français d'adoption mais dispute les JO de Pyeongchang pour son pays d'origine, la Colombie. (FACEBOOK / MICHA POETTOZ)

A trois heures près, Micha Poettoz, 19 ans, ne s'envolait pas pour Pyeongchang. "Quand il a fallu s'inscrire pour ces JO, ç'a été la panique. Finalement, le 24 janvier, après deux jours d'attente, à trois heures de la fin des inscriptions, il était inscrit", souffle Michel, son père. Lui et sa femme, Cécile, ont adopté Micha en Colombie alors qu'il n'avait que 21 mois. Le nourrisson passe alors de la chaleur de Cali à l'hiver français. Il n'a que 2 ans et demi quand son père le met sur les patinettes. Dans la station des Carroz d'Arâches (Haute-Savoie), proche d'Annecy, région où vit la famille, il découvre le ski et la compétition. "Les JO, on n'en parlait jamais très sérieusement avant de se lancer dans l'aventure", se souvient le skieur. Micha a 15 ans quand ses parents prennent contact avec le comité olympique colombien. Un choix naturel pour le jeune homme : "C'est mon pays d'origine." Il a alors aussi conscience de son trop grand retard pour intégrer l'équipe de France.

Mais de l'autre côté de l'Atlantique, le ski est une incongruité. La neige, présente sur certains très hauts sommets (5 000 m), n'est vue que par les alpinistes. "Quand les Colombiens voient des vidéos de moi sur des skis, ils disent : 'Ah, c'est ça'", rigole Micha. Le premier skieur sélectionné aux JO de l'histoire du pays, engagé sur le géant (18 février) et le slalom (22 février), suscite donc une certaine curiosité de la part des médias locaux.

Il leur arrive de se tromper de discipline. Récemment, un journal colombien a écrit que je faisais du saut à skis.

Micha Poettoz

à franceinfo

Une médiatisation parfois dure à gérer pour un gamin de 19 ans. "Il ne veut pas être embêté et les radios colombiennes le demandent beaucoup", précise son père. Mais le jeu en vaut la chandelle. "La cérémonie d'ouverture était vraiment impressionnante, j'étais impatient d'entrer dans ce stade, se réjouit le skieur, heureux de proposer une autre image de son pays natal. La Colombie, ce n'est pas que la violence, les Farc et la cocaïne." Du côté des objectifs sportifs, Micha se montre moins ambitieux. "J'espère juste arriver en bas de ces deux courses." Avant de goûter à nouveau aux JO dans quatre ans, "avec des objectifs plus élevés". 

Elise Pellegrin, la débrouillarde de Malte

Elise Pellegrin porte le drapeau de Malte lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Pyeongchang le 9 février 2018. (REUTERS)

En 2014, à Sotchi, Elise Pellegrin, 23 ans, réalise une partie de son rêve : concourir aux Jeux olympiques. La Française, née à Montrichard (Loir-et-Cher), dispute les Jeux pour... Malte. C'est un peu grâce à sa grand-mère, maltaise, qu'elle participe à ses deuxièmes JO. "Ce sont mes racines, c'est ma façon de la représenter, je veux qu'elle soit fière de moi", confie-t-elle. A Sotchi, elle découvre le gigantisme des JO, termine 65e en géant, 42e en slalom et garde encore un souvenir impressionné de cette quinzaine. "J'avais envie d'aller partout, de voir des épreuves. En Corée du Sud, je suis plus concentrée sur la compétition." Elle sert même de guide aux autres binationaux. "On est un petit groupe, raconte-t-elle. Mia Clerc, c'est ma petite protégée, je me retrouve un peu en elle." 

Mais le rêve olympique a un coût. Depuis quatre ans, même si Malte essaie de débloquer des fonds, Elise Pellegrin doit se débrouiller pour se financer. Et chaque année, la tâche se complique. "Cela devient difficile, j'ai 26 ans et j'ai besoin de rentrer dans la vie active", souffle celle qui vit encore chez ses parents dans les Vosges. "J'y suis très bien, rigole-t-elle, mais j'ai envie d'avoir un chez-moi." Elle a même failli baisser les bras après les Mondiaux de Saint-Moritz en février 2017, avant de rempiler. Mais elle désespère toujours d'être la seule athlète maltaise à Pyeongchang.

J'ai envie que la team s'agrandisse. Je trouverais dommage qu'il n'y ait plus personne après moi et que j'aie fait tout ça pour rien.

Elise Pellegrin

à franceinfo

Pour que l'héritage ne se dilapide pas, elle aimerait aller à Malte pour promouvoir les sports d'hiver ou organiser des échanges avec des élèves français. "Il y a quatre ans, certains ont pu penser que je profitais de l'événement, mais j'ai prouvé que ce n'était pas le cas", martèle-t-elle. En attendant de dégoter des successeurs, elle entend vivre pleinement ces Jeux. Et tant pis pour la fatigue. "C'est huit jours dans ta vie, on se reposera après." Elle peut désormais en profiter puisque ses Jeux sont officiellement terminés, avec un bilan mitigé : une sortie lors de la première manche du Géant jeudi 15 février et une 50e place en slalom vendredi 16 février.

Mathilde Petitjean, l'obstinée du Togo

Née d'une mère togolaise et d'un père français, Mathilde Petitjean a disputé, pour le Togo, ses premiers JO à Sotchi en 2014. (JOHN MACDOUGALL / AFP)

Les Jeux ? "C'était vraiment fort, mais ç'a été à double-tranchant", résume Mathilde Petitjean à l'évocation de sa première compétition à Sotchi en 2014. A 19 ans, elle s'envole pour la Russie en tant que première athlète togolaise des Jeux d'hiver. Médias, athlètes, public... Tous veulent la voir, lui parler, prendre des photos. Un peu timide, cette spécialiste du ski de fond est "submergée". "J'étais au centre de l'attention, c'était dur, j'avais de nombreuses demandes d'interviews et j'étais seule pour gérer, admet-elle. J'ai mis une grosse année à m'en remettre."

Née au Togo en 1994, Mathilde quitte ce petit pays d'Afrique de l'Ouest alors qu'elle n'a que 3 ans. Son père, qui travaille à l'époque pour l'Ordre de Malte, un organisme caritatif, veut rentrer en France. Avec sa mère, togolaise, elle débarque à La Roche-sur-Foron (Haute-Savoie) et découvre le ski de fond, à 7 ans, lors d'une sortie scolaire. C'est le coup de foudre. Ses parents l'inscrivent dans le club local et, à 17 ans, elle intègre l'équipe de France de sa catégorie d'âge. 

Puis le destin vient tout chambouler. Le groupe junior des Bleues est supprimé et, dans le même temps, le Togo la contacte sur Facebook. "J'ai pensé que c'était une blague", se souvient-elle. Quelques mois après, elle accepte et renoue avec ses racines. "J'avais l'impression que mon temps avec l'équipe de France était terminé. Si je pouvais faire ces grandes compétitions avec un autre pays, pourquoi pas ?" Qualifiée pour les JO de Sotchi, elle découvre la fierté d'être porte-drapeau. "Avant la cérémonie, j'étais tétanisée, c'est mon coach qui m'a dit de sourire et de bouger le drapeau", confie-t-elle. Si elle termine 67e du 10 km et finit ces Jeux rincée, elle garde quelques anecdotes croustillantes : "J'ai croisé Nelson Monfort qui m'a confondue avec une athlète de l'équipe de Jamaïque." Quatre ans après, elle savoure d'être à nouveau aux Jeux, malgré des résultats en deçà de ses attentes (83e sur le 10 km, 59e sur le sprint).

Il y a quatre ans, j'avais l'impression d'avoir de la chance d'être là. Aujourd'hui, je ne suis plus intimidée.

Mathilde Petitjean

à franceinfo

Seul point noir, le manque de suivi des instances de son pays. "Le comité national olympique togolais me soutient moralement, mais j'ai plutôt besoin d'un soutien financier. Ce n'est pas grâce à lui que je suis là." La bourse annuelle du CIO lui permet de subvenir à ses besoins. Mais pour celle qui a connu les structures tricolores, ce fonctionnement en solitaire est parfois difficile. Elle s'accroche pourtant et caresse l'espoir que son exemple soit suivi. "J'ai peut-être inspiré d'autres pays africains. Il y en avait trois à Sotchi (Togo, Zimbabwe et Maroc). Quatre ans plus tard, il y en a huit en Corée du Sud (Erythrée, Nigeria, Togo, Maroc, Madagascar, Ghana, Afrique du Sud et Kenya)."

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