JO d'hiver 2018 : comment les "maîtres de la glace" préparent les pistes pour les athlètes
Les "ice-meisters" ne se contentent pas de tourner en rond sur leur surfaceuse pour lisser les patinoires. Grâce à leur connaissance des propriétés de la glace, ces spécialistes peuvent changer le cours des Jeux olympiques.
Ils sont inconnus du public, mais chéris des patineurs et des lugeurs. Les "maîtres de la glace", ou "ice-meisters", sont les techniciens responsables de la préparation des pistes de glace et ont le pouvoir de peser sur le classement final. Six ice-meisters coréens et 16 internationaux, dont neuf Canadiens, sont réunis pour les Jeux olympiques de Pyeongchang, selon le site officiel de l'équipe olympique canadienne (en anglais). Et leur métier ne consiste pas uniquement à piloter les surfaceuses pour lisser les patinoires, ni à laisser la glace se former comme dans un congélateur.
Thermomètre infrarouge et "eye on the ice"
Pour offrir la meilleure qualité possible, les maîtres de la glace ont besoin de l'eau la plus pure, débarrassée des sels et minéraux. L'eau est donc filtrée, "grâce à un système d'osmose inverse et de déionisation", qui élimine toutes les molécules autres que H2O. "Plus l'eau est pure, plus la couche de glace est dense", explique Tracy Seitz, "ice-meister" des Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002, cité par le Smithsonian magazine (en anglais). Et plus la glace est dense, plus sa surface est lisse.
La pureté de l'eau n'explique pas tout. Pour une patinoire ou une piste de bobsleigh parfaite, les techniciens se préparent au moins un an à l'avance. "Ils vaporisent des centaines de couches, fines comme une feuille de papier, sur le béton, qui est refroidi par un système intégré", explique le Smithsonian. Ce processus doit empêcher la formation de givre, qui risque de piéger des bulles d'air à la surface de la glace, créant des imperfections et des "faiblesses".
Reste ensuite à surveiller et maintenir la température de la glace. Les ice-meisters utilisent pour ça un système de surveillance appelé "eye on the ice" : il détecte entre autres la température, l'humidité, la pression atmosphérique et avertit les spécialistes lorsque les conditions atteignent des niveaux problématiques. La température de la glace est aussi contrôlée grâce à des thermomètres infrarouge, et "modifiée grâce à une sorte de solution antigel, envoyée dans les tuyaux qui se trouvent sous les pistes", selon Slate (en anglais).
A chaque sport sa glace préférée
Les patineurs artistiques n'apprécient pas la même surface que les pros du curling ou les lugeurs. Une glace plus froide et plus dure permet aux patineurs de vitesse de glisser plus vite. La piste est maintenue entre -5°C et -9°C, et la glace mesure entre 2,5 et 3 cm d'épaisseur. Le patinage artistique requiert au contraire une glace plus molle, donc moins froide (-3°C) et plus épaisse (entre 4,5 et 5 cm), pour que les athlètes puissent planter leurs patins et s'élancer dans les airs.
Contrairement aux apparences, la piste de curling n'est pas parfaitement lisse. Une fois les couches de glace appliquées et les marques peintes, le ice-meister arrose la surface de fines gouttelettes, afin de former de minuscules bosses, appelées "pebbles", qui permettent aux pierres de glisser avec le moins de friction possible. Même la taille des gouttes est minutieusement calculée. Et la température de l'air doit être constamment surveillée, car elle connaît de grandes variations entre les moments où le public arrive et le moment où la patinoire se vide, à cause "de l'ouverture des portes et de la chaleur corporelle", précise Popular Science (en anglais). La marge d'erreur est faible. "Il y a un point précis où la pierre fait exactement ce que vous voulez", explique Hans Wuthrich, "ice-meister" chargé de fournir la meilleure glace au Gangneung Curling Centre, en Corée du Sud, interrogé par NBC (en anglais).
Les pistes de bobsleigh sont parmi les plus complexes à entretenir. Longues de 1 200 à 1 500 m, elles ressemblent à des toboggans de parc aquatique, en béton, dont certaines zones peuvent être exposées au soleil, quand d'autres sont couvertes, faisant varier la consistance et l'épaisseur de la glace. La température idéale se situe autour de -5°C, avec une glace un peu plus souple pour le bobsleigh que pour le skeleton. "Si elle est trop chaude, la glace givre ou commence à fondre, si elle est trop froide, elle est dure comme du verre et peut craquer", détaille Markus Aschauer, de la Fédération internationale de bobsleigh et de skeleton, pour Popular Science. Avant chaque course, les équipes lissent la piste à la main et l'arrosent d'une fine pellicule d'eau, pour éliminer le givre. Ils peuvent aussi reboucher les trous laissés par les précédents athlètes, expliquent les organisateurs des Jeux de Vancouver, en 2010 (en anglais).
De la musique classique ou du flair ?
Pour atteindre la glace parfaite, chaque maître de la glace a ses secrets. Lors des Jeux de Sotchi, en 2014, Dimitri Grigoriev était responsable des pistes de l'Adler Arena, qui accueillaient le patinage de vitesse. Alors que skieurs et snowboardeurs se plaignaient de la neige fondue et de l'humidité à l'extérieur, les patineurs louaient la glace de son Arena, raconte la radio publique américaine NPR (en anglais). L'un des secrets de Grigoriev : une glace "vieille", préparée quinze mois plus tôt.
"Nous avons joué de la musique classique, pour que la glace cristallise avec la bonne dureté", assure le maître. Les Quatre saisons, de Vivaldi, sont jouées "à certains stades de la préparation". Selon lui, "le son crée des vibrations, qui influence le type de glace que vous obtenez", avance-t-il encore, même si aucune recherche scientifique ne permet de confirmer son hypothèse. Tracy Seitz n'est pas impressionné par cette superstition. "Si on doit écouter quelque chose, c'est plutôt du heavy metal", dit-il au Smithsonian. Mais c'est plus pour tenir son équipe "éveillée et laborieuse".
Mark Messer, ice-meister canadien, considéré comme l'un des meilleurs du monde, est responsable de la piste de Gangneung. "Tout le monde dit que c'est impossible de battre des records ici, parce qu'on est à cinq kilomètres de l'océan et à seulement trois mètres au-dessus du niveau de la mer, alors les conditions ne sont pas réunies", explique Mark Messer à Reuters (en anglais). A basse altitude, les patineurs font face à plus grande résistance à l'air, mais lui est convaincu que sa glace peut exploser des records. Comment le sait-il ? "Il y a une clarté et une brillance dans la glace, qui fait que vous savez qu'elle va être rapide", déclare-t-il au journal canadien The Star. Pour Bart Schouten, entraîneur des patineurs de vitesse canadiens, le secret de Mark Messer, c'est simplement son "flair".
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