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Candidature de Paris aux JO 2024 : les questions qui fâchent

Alors que la maire de la capitale, Anne Hidalgo, soumettra la candidature de la ville au Conseil de Paris en avril, francetv info pointe les interrogations soulevées par cette éventuelle démarche. Avec les réponses qui fâchent, en prime.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La tour Eiffel entourée des anneaux olympiques, le 12 mai 2005, à Paris (France).  (GABRIEL BOUYS / AFP)

Paris se prépare. La maire de la capitale, Anne Hidalgo, soumettra au Conseil de Paris, en avril, la candidature de la ville à l'organisation des Jeux olympiques d'été de 2024. L'édile l'a annoncé, jeudi 12 février, après s'être vu remettre le rapport d'opportunité du mouvement sportif.

"Si on y va, c'est pour gagner", avait-elle prévenu dès mardi sur BFMTV. En amont de cette potentielle officialisation de la candidature parisienne, francetv info pose les questions qui fâchent. 

Organiser les JO avec 4,5 milliards d'euros, c'est possible ?

Sur le papier, non. "Jusqu'en 2008, la passion l'emportait sur la raison. Le peuple n'était pas regardant sur les budgets, car plus attiré par les paillettes. Je suis intimement persuadé qu'on ne peut mobiliser le peuple que si l'on joue la transparence totale sur les budgets. C'est compliqué dans le cas des Jeux olympiques", reconnaît devant des députés le lobbyiste Armand de Redinger, qui a porté plusieurs candidatures olympiques. Mardi, Le Parisien évoquait un possible budget de 6 milliards d'euros. Jeudi, Bernard Lapasset, président du Comité français du sport international (CFSI), a estimé que Paris et la France pouvaient "concevoir un projet olympique et paralympique" avec "des atouts pour gagner", pour un coût estimé à moins de 4,5 milliards d'euros. Réaliste ? 

Trois milliards pour l'organisation, OK. Ce poste de dépenses est couvert par la billetterie et l'enveloppe du Comité international olympique (CIO). Pour les investissements, c'est plus compliqué. Certes, 80% des installations sportives existent déjà (le Stade de France, Roland-Garros...) mais quid du coût des routes pour relier ces infrastructures entre elles ? Des réseaux télécoms ? Du village olympique ? Des frais de sécurité (750 millions d'euros à Londres) ?

Tout le dilemme des candidats aux JO est là : il faut faire rêver les membres du CIO tout en promettant un projet rentable et peu coûteux. C'est impossible. Les économistes appellent ça "The winner's curse", "la malédiction du vainqueur". Pourtant, Paris, mais aussi Boston (Etats-Unis) ou Rome (Italie) promettent des budgets sous les 6 milliards d'euros, soit deux fois moins que ce qu'a payé Londres (Royaume-Uni).

Faut-il croire les études d'impact qui prédisent monts et merveilles ?

Non (mais vous vous en doutiez, n'est-ce pas ?). L'étude d'impact avant l'événement prévoit invariablement des coûts maîtrisés et des lendemains qui chantent. "On est à la limite de l'escroquerie intellectuelle", fulmine Jean-Pascal Gayant, économiste à l'université du Mans (Sarthe), contacté par francetv info. "C'est une estimation d'une estimation d'une estimation d'une estimation", ironise l'économiste américain Victor Matheson sur Connect Sport (en anglais). Exemple le plus parlant, la candidature de Londres 2012. "Leur dossier économique ne prenait pas en compte la TVA sur certains aspects, ni toute l'organisation des Jeux paralympiques, se souvient l'économiste du sport Wladimir Andreff, contacté par francetv info. En outre, ils avaient sous-estimé les frais de sécurité. Ils avaient ainsi des Jeux mirobolants, et pas tellement plus chers que la candidature de Paris."

D'où la nécessité d'assurer le service après-vente, avec des coûts multipliés par deux et des bénéfices qui n'ont pas suivi. En 2014, la ville de Londres s'est gargarisée d'avoir bénéficié de 14 milliards de livres de retombées économiques. "Ça ne tient pas, c'est grotesque, on mélange tout, dénonce Jean-Pascal Gayant. Le Premier ministre britannique David Cameron s'était déjà félicité que les Jeux soient à l'équilibre avant même le début de la compétition." Mais peu de villes hôtes ont mesuré sérieusement l'impact économique des Jeux. Sydney (Australie) l'a fait, en mettant sur le coup une université qui en a tiré un modèle statistique à 25 000 équations. Conclusion : l'impact des Jeux a été négatif sur presque tous les secteurs d'activité pendant la période. Les JO ont fait perdre 2 milliards d'euros à l'économie australienne en 2000.

En France, les comptes de la Coupe du monde de rugby ont été passés au crible par deux chercheurs. Loin des 8 milliards d'euros de bénéfice escomptés pour l'économie française, on atteint seulement 539 millions d'euros. Si l'on affine les calculs en ajoutant les coûts sociaux - l'intérêt d'utiliser de l'argent pour organiser des matchs du Mondial dans une région peu intéressée, comme les Pays de la Loire au lieu de construire une école, par exemple - on tombe à 113 millions d'euros.

Combien ça va coûter au contribuable ? #avecmesimpôts

Cher. "Pas question de faire supporter le coût des Jeux sur les seuls contribuables parisiens, a mis en garde Anne Hidalgo lors de la campagne des municipales, au printemps 2014. Je veux des garanties." Même si l'Etat prend en charge une partie de la facture, les Franciliens risquent sentir l'addition passer.

Il fut un temps où tout le monde pensait que les JO étaient une vache à lait pour les villes hôtes. Cette citation du maire de Montréal (Canada) restera dans l'histoire : "Le jour où les Jeux de Montréal seront en déficit, les hommes accoucheront." Raté. La ville, qui a organisé les JO en 1976, a remboursé pendant trente ans les dépenses liées à l'organisation des Jeux (depuis, un homme a effectivement eu un bébé), grâce notamment à une taxe très impopulaire sur le tabac. La ligne consacrée au remboursement des Jeux de 1968 a disparu des feuilles d'impôts des Grenoblois trente-quatre ans plus tard... l'année des JO d'Albertville (1992), qui ont à nouveau grevé les finances locales. Pendant longtemps, le CIO a martelé ce slogan : "Les Jeux paient les Jeux". Il a fallu des années pour que les élus se rendent compte que ce n'était pas vrai...  

Depuis 1945, les comités d'organisation n'ont gagné de l'argent qu'à deux reprises : lors des "Jeux de l'austérité" à Londres, en 1948, quand les baraquements des soldats ont été recyclés en village olympique. Et en 1984, quand Los Angeles (Etats-Unis), seule candidate en lice, avait forcé le CIO à garantir toutes les dettes.

Le stade olympique de Montréal (Canada) lors de l'ouverture des Jeux olympiques, le 17 juillet 1976. (TOM DUFFY / GETTY IMAGES EUROPE)

Est-ce que les JO peuvent relancer l'emploi et la croissance (comme en rêve François Hollande) ?

Il y a peu de chances. "Ça fera plein d'équipements avant, plein d'emplois, plein d'industries qui pourront se montrer", avait détaillé le président de la République, le 1er décembre, sur TF1. Les JO pour relancer l'emploi ? Une chimère, selon Jean-Pascal Gayant, qui pointe l'exemple sud-africain avant la Coupe du monde 2010. "En Afrique du Sud, le secteur du BTP a embauché jusqu'en 2009, mais une fois les stades et les routes construites, les entreprises ont licencié massivement." Entre 2009 et 2010, le secteur du bâtiment a détruit 110 000 postes, constate un rapport gouvernemental. Pour les JO en France, on estime qu'il pourrait y avoir entre 10 000 et 30 000 emplois créés. "Mais pas des emplois pérennes", ajoute Jean-Pascal Gayant.

Et la croissance, qui serait dopée par l'injection massive de fonds publics dans des grands travaux ? "Avant les Jeux d'Albertville, une étude avait montré que l'organisation d'un tel événement planétaire allait faire grimper de 1% le PIB du département de la Savoie, de 0,5% celui de la région Rhône-Alpes et de 0,2% celui du pays. Pas plus, remarque Wladimir Andreff. Même l'injection de plusieurs milliards d'euros d'argent public dans l'économie pour les infrastructures des Jeux ne peut pas booster la croissance.

La délégation française aux Jeux d'Albertville, lors de la cérémonie d'ouverture, le 8 février 1992.  (JUNJI KUROKAWA / AFP)

Est-ce que les Parisiens vont arrêter de faire la tronche dans le métro grâce aux Jeux ?

C'est très possible (sauf peut-être sur la ligne 13 surchargée). Une étude (PDF en anglais, p.11) menée sur l'impact de l'Euro 1996 au Royaume-Uni montre que le gain de bonheur est équivalent au fait de donner 165 livres à toute la population, enfants compris. D'une façon générale, les études montrent qu'accueillir les JO accroît de 5 points le bonheur national. Attention, le phénomène ne dure pas : les gens seront de nouveau grognon dès la rentrée 2024. 

Les Français veulent-ils vraiment les Jeux ? 

Difficile à dire. D'après un sondage publié dans Direct Matin, trois quarts des Français, qu'ils soient Franciliens ou non, sont favorables à l'organisation des Jeux à Paris en 2024. Mais ces belles déclarations d'intention sont très volatiles. Il existe un indicateur plus précis pour déterminer l'adhésion de la population à une candidature olympique. Avant les Jeux de Londres, diverses études ont montré qu'un habitant de la capitale britannique était prêt à payer 22 livres par an (environ 30 euros), pendant dix ans, pour obtenir les Jeux. Un habitant de Glasgow (en Ecosse, 700 km plus au nord) était d'accord pour avancer 11 livres. Une étude similaire portant sur une éventuelle candidature d'Amsterdam pour 2028 montre aussi que les sondés sont disposés à payer. Les Marseillais sont-ils prêts à passer à la caisse pour voir les Jeux à Paris ?

Les défenseurs de la candidature parisienne, qui veulent faire rêver l'ensemble des Français, jouent la carte économique. "Près de 55% des investissements étrangers supplémentaires depuis les Jeux ont touché des territoires situés hors de Londres", fait valoir sur France Culture Michaël Aloïsio, un des promoteurs de la candidature française. Mais rien ne dit que ces investissements n'auraient pas quand même été effectués, JO ou pas. 

Est-ce que les Français vont se mettre au sport en voyant autant d'athlètes transpirer ?

Rien n'est moins sûr. Un des objectifs majeurs de Londres était de relancer la pratique du sport chez les Britanniques (et ainsi diminuer les coûts pour la sécurité sociale). Raté. Une étude de Sport England (en anglais) montre que la part des Britanniques qui font au moins une demi-heure de sport par semaine a stagné, voire carrément chuté chez les moins favorisés. A croire, qu'ils n'en avaient rien à suer des JO.

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