Israël et Bulgarie 1993 : l'échec indélébile de Gérard Houllier
Un improbable but à la 93e minute, un "crime" contre l'équipe de France, des jours d'atermoiements avant un limogeage : la fin des éliminatoires du Mondial en 1993 a définitivement marqué la carrière d'entraîneur de Gérard Houllier, mort ce dimanche à l'âge de 73 ans. Preuve du poids de ce feuilleton, Houllier l'évoquait longuement dans son autobiographie Je ne marcherai jamais seul (2015, Hugo Sports), revenant sur certaines déclarations, regrettant quelques choix. Mais sachant pertinemment que, quoi qu'il dise, l'épisode resterait marqué dans son histoire personnelle et dans celle de l'équipe de France.
Israël, l'impossible défaite
En cet automne 1993, la Coupe du Monde aux Etats-Unis tend les bras à l'équipe de France. Celle-ci est même sur la lancée d'un retour au premier plan attendu depuis des années. Non qualifiée pour le Mondial 1990 - une première depuis 1974, éliminée au 1er tour lors de l'Euro 1992 après avoir manqué la qualification lors de l'édition précédente, les Bleus ont soif de nouveaux succès. D'autant que, pour la première fois depuis la retraite internationale de Michel Platini, l'effectif semble riche et solide. Jean-Pierre Papin vient d'être sacré Ballon d'Or en 1991. Trois joueurs de l'Olympique de Marseille ont participé à l'incroyable sacre lors de la Ligue des champions 1993. Et la pépite Eric Cantona semble capable de soulever des montagnes.
Les éliminatoires du Mondial 1994 sont en réalité la première échéance de Gérard Houllier en tant que sélectionneur. Il a remplacé Michel Platini quelques mois plus tôt, justement après l'élimination des Bleus au 1er de tour de l'Euro. Hormis la Suède et l'Autriche, les nations présentes dans le groupe de la France ne paraissent pas de niveau à rivaliser avec l'effectif dont dispose Houllier. Après un premier accroc en Bulgarie, la France enchaîne d'ailleurs cinq victoires aisées, avant un match nul face à la Suède, puis une nouvelle victoire.
Au matin du 13 octobre 1993, la France est première du groupe, un point devant la Suède. Il ne lui reste plus que deux matches, dont un face à Israël (battue 4-0 à l'aller) et un point à glaner. La tâche semble tellement à leur portée que chacun se voit déjà aux Etats-Unis un an plus tard. "Je me reprocherai toute ma vie de m’être laissé " endormir ", comme anesthésié par un contexte émollient, admettra Gérard Houllier dans son autobiographie plus de vingt ans plus tard. Les joueurs eux-mêmes pensaient que le match ne représenterait qu’une simple formalité".
Les supporters tombent dans le piège aussi : "L’Amérique", de Joe Dassin, résonne dans les travées du Parc des Princes à l'entrée des équipes, lors du match face à Israël. Plusieurs médias évoquent une boîte de nuit déjà réservée pour la qualification. Il faut dire qu'Israël n'a pas gagné le moindre match officiel depuis un an et occupe la soixante-et-onzième place au classement FIFA.
Jusqu'à la 80e minute, la France tient son destin en main : elle mène 2-1, et doit gérer les dix dernières minutes pour se qualifier. Les certitudes s'effritent pourtant dès la 82e minute, lorsque Eyal Berkovic récupère un ballon lâché par Bernard Lama et marque. Sept minutes plus tard, Rosenthal part en contre-attaque et profite d'une passivité extrême des Bleus pour centrer sur Atar qui tire, marque, et plonge la France dans ses premiers doutes. "On a transgressé les règles de rigueur, de concentration et d'humilité qui avaient fait notre force, reconnaît Gérard Houllier dans la foulée du match (perdu 3-2). Le bloc a été englouti par le climat lénifiant. On a été nuls, on n'a aucune excuse".
Kostadinov, le cauchemar de Houllier
Malgré cette improbable défaite, la France garde son destin en main : il lui suffit toujours d'un point pour se qualifier. Mais, déjà, la tâche s'annonce plus compliquée face à des Bulgares plus accrocheurs. La Bulgarie est d'ailleurs la seule équipe (avec Israël, donc) à avoir battu la France sur ces éliminatoires.
Les Bleus n'abordent pas le match avec la même désinvolture que face à Israël : ils sont tendus et crispés, tandis que les Bulgares se montrent agressifs, comme à l'aller. Eric Cantona ouvre le score à la 32e minute, mais les Bulgares égalisent dans la foulée (37e) par Emil Kostadinov - déjà. Virtuellement qualifiés avec ce point du nul, Gérard Houllier opte pour l'assurance et demande à ses joueurs de ne pas prendre de risque. Choix difficile, qui a failli payer mais qui a fini par lui coûter une qualification, un Mondial, et une réputation en partie entachée.
Car à la 90e minute, tout bascule. Alors qu'il ne reste plus que quelques secondes, David Ginola fait le choix de centrer plutôt que de conserver le ballon. Celui-ci est récupéré par les Bulgares, qui lancent Kostadinov sur l'aile droite. Contre-attaque éclair. Tir puissant, sous la barre de Lama : les Bulgare se qualifient, la France vit l'une de ses plus amère désillusions sportives.
Le "crime" de Ginola
Dans les jours qui suivent, Gérard Houllier est attaqué de toutes parts. "J'ai vingt-huit ans et on ne sait toujours pas à quel poste me faire jouer, c'est grave", lâche Franck Sauzée en visant son sélectionneur. De son côté, Michel Platini est scandalisé par l'attitude des joueurs et du sélectionneurs lors du match face à Israël. "Jusqu'à ce match, j'étais très positif envers Gérard Houllier. Mais cette fois, les Bleus se sont crus qualifiés avant même de jouer, cela change totalement ma vision des choses. On n'avait pas le droit !"
Après avoir affirmé qu'il resterait tant qu'il ne serait pas viré, Gérard Houllier finit par être sérieusement fragilisé par ces propos de joueurs et de cadres de l'équipe de France. Face à cette désolidarisation, il finit par s'en prendre à l'un de ses joueurs : "David Ginola a envoyé un exocet à travers le cœur du football français. Il a commis un crime contre l’équipe. Je le répète, un crime contre l’équipe". David Ginola, déjà vertement critiqué par les médias français dans la foulée du match pour avoir pris le risque de centrer alors que la possession était française, s'est ainsi également vu épingler par son propre sélectionneur.
Une sortie qui non seulement précipitera la démission de Gérard Houllier le 25 novembre, mais consumera sa relation avec Ginola pendant des années. Celui-ci portera même l'affaire devant la justice en 2012 pour "injure publique", mais le tribunal donnera raison à Houllier.
Le succès du Mondial 1998 se construira en partie sur les cendres de cet échec : cinq des onze titulaires du sacre mondial étaient déjà là, face à la Bulgarie, et aux côtés de Gérard Houllier, un certain Aimé Jacquet faisait ses premières gammes, en tant qu'adjoint.
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