Insultes, incivilités, violence : pourquoi certains sports sont-ils plus tolérants que d'autres ?
La nouvelle a dû lui tomber dessus comme une bombe : pendant trois ans, il lui sera interdit de pratiquer son sport en compétition. Bio Kim a été très sévèrement sanctionné. Pour s'être dopé ? Pour une agression ? Pour un vol ? Pas du tout. Pour un doigt d'honneur. Le 29 septembre dernier, Bio Kim est au départ du 16e trou du Gyeongbuk Open sur le Korean Tour. Il tape son drive, mais le manque. Il se retourne alors vers le public et, furieux, brandit son majeur à une personne en face de lui en raison d’une sonnerie de téléphone. Crime de lèse-majesté : il ne le savait pas encore, mais ce geste lui coûterait trois années de golf en compétition sur le Korean Tour.
Bio Kim aura probablement bien le loisir de ruminer cet écart pendant ces mois d’inactivité. Il se demandera peut-être, avachi sur son canapé, le regard dans le vague, s’il méritait tel châtiment alors que, dans d’autres sports, autrement plus médiatisés, des sportifs ont subi de bien moindres punitions pour de bien pires méfaits.
Il se rappellera éventuellement de Jean-Marc Furlan (on ne sait jamais, il pourrait être un fan invétéré de Ligue 1…) brandissant son doigt d’honneur à la tribune en 2018... et n’essuyant pas la moindre sanction de la part de la LFP, s’en sortant avec un simple message d’excuse et un avertissement de la part de son club. Mais alors, d’où vient donc ce décalage entre la permissivité de certains sports, et l’extrême sévérité d’autres disciplines ?
Une surenchère éthique
Il faut remonter à l’âge des nos aïeuls pour comprendre. Historiquement, certains sports ont un ancrage aristocratique et donc, un attachement particulier à l’étiquette, comme l’explique Philippe Sarremejane, philosophe et auteur de Ethique et Sports (2016) : "Tout cela vient d’une culture assez anglaise. C’est ce que j’appelle la “gentry” : des gens qui accordent une importance démesurée à l’étiquette, et qui à travers elle, se distinguent des autres. C’est ce qu’on retrouve en partie dans des sports comme le golf, et dans une moindre mesure le tennis. Il y a du sur-respect, on va au-delà de la norme. On ne crie pas sur un green de golf”
Pas plus qu’on ne parle pendant l’échange en tennis. Pourquoi donc le volley, par exemple, n’impose-t-il pas le même silence de cathédrale pendant les échanges ? Au contraire, le public est incité à manifester pendant les frappes, comme en basket ou en handball. "C’est l’étiquette particulière des sports d’origine aristocratique : certaines choses ne se font pas, on contrôle la violence, de même que la vulgarité, explique le philosophe. C’est une élite surnormée, encore aujourd’hui"
Voilà pourquoi le moindre écart de comportement est sanctionné dans des sports comme le golf, le tennis, ou la voile. Demandez donc à Nick Kyrgios, qui se prend amende sur amende, et même une suspension de 16 semaines tout dernièrement. Pendant cette période, il devra "observer une attitude positive et sportive pendant ses matches" et "consulter un coach mental lorsqu'il participera à un tournoi".
Il ne fait pas bon être rebelle au tennis. Certes, rien n’est comparable au malheur de Bio Kim, qui est un cas exceptionnel. Fabio Fognini, dont le majeur ne cesse de se dresser (à deux reprises en quelques mois) n’écope ainsi “que” de 2000 dollars d’amende. Mais ça reste une sanction. L’ATP tient à ce que les joueurs restent dans le cadre.
Soyez outrés spectateurs !
Au-delà de l’intransigeance des institutions, la première sanction vient du public. Quand on s’en prend à l’arbitre, quand on manifeste bruyamment, quand on brise une raquette au tennis, ça passe mal, on est hués. “Le public d’un match de tennis à un autre rapport à l’éthique que celui du football”
« Pour moi, Roger Federer et Rafael Nadal sont les incarnations de l’étiquette tennis actuelle.»
Autrement dit, un spectateur à Wimbledon sera bien plus enclin à réprimander une déviance que celui du Stade de France. Et l’effet s’en ressent sur les sportifs.
"Pour moi, Roger Federer et Rafael Nadal sont les incarnations de l’étiquette tennis actuelle, analyse Philippe Sarremejane. Ils sont gentils, adorables, ne critiquent jamais leurs adversaires. Moralement, ils sont parfaits". Il est en effet extrêmement rare de voir Federer dire un mot plus haut que l’autre. Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas : adolescent, le Suisse explosait régulièrement et ne embarrassait jamais de prévenances lexicales... "Dès qu’il est arrivé au sommet, poursuit le chercheur, qu’il est devenu en quelque sorte la vitrine du tennis, il a complètement changé. Certes, c’est certainement sa personnalité aussi, dans le fond. Mais ça n’a rien d’anodin : Federer s’est conformé au modèle du joueur de tennis, et l’incarne entièrement aujourd’hui"
Roger Federer et Rafael Nadal, parce qu’ils sont des vitrines de leur sport, ne peuvent même pas envisager la transgression. Philippe Sarremejane fait le parallèle avec Tiger Woods qui, lui, a dérapé : "Regardez ses frasques, ça l’a détruit, analyse Philippe Sarremejane. Certes, Karim Benzema, ça a été pareil. Mais ça n’a pas eu le même écho, Woods a été beaucoup plus sanctionné symboliquement, son étiquette, son image parmi les pratiquants de golf a été beaucoup plus ternie que celle de Benzema chez les suiveurs de foot."
Mais imagine-t-on un Federer ou un Nadal en football ? Seraient-ils aussi populaires ? "Je ne pense pas, tranche Philippe Sarremejane. Le public du football a besoin de s’identifier à des héros faillibles. Federer est une star pour un public qui accepte mieux la perfection. Le public du tennis". Tout comme le public du golf. Plutôt que de purger ses trois années sabbatiques forcées à scruter son majeur et à maudire toutes les sonneries de téléphone qu’il entend, Bio Kim devrait peut-être se mettre au football.
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