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Sophie Cluzel : “Le parasport peut être l'identité des Jeux de Paris 2024”

En décembre 2020, le gouvernement a annoncé la mise en place d’une stratégie nationale sport et handicap. Celle-ci définit 24 mesures avec notamment l’objectif de favoriser la pratique du sport par les personnes en situation de handicap et d'accompagner les athlètes de haut niveau jusqu’aux Jeux paralympiques de 2024 à Paris. Sophie Cluzel, Secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargée des Personnes handicapées, revient sur les enjeux de cette stratégie à l’occasion de la Semaine Olympique et Paralympique.
Article rédigé par Hugo Monier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargée des Personnes handicapées, le 11 février 2020.  (LUDOVIC MARIN / AFP)

Avec le ministère des Sports, vous avez récemment présenté la stratégie nationale sport et handicaps, comment pourrait-on la résumer ?
Sophie Cluzel :
 “48% des personnes en situation de handicap ne pratiquent pas d'activité physique, contre 34% dans la population générale. Fort de ce constat, nous nous sommes demandé avec Roxana Maracineanu (ministre déléguée aux Sports) comment pouvoir développer l'activité sportive des personnes en situation de handicap. Nous avons la richesse en France d'avoir des associations sportives, handisport et sport adapté mais aussi des établissement médico-sociaux très impliqués dans la pratique de l'activité sportive. Nous avons voulu que tout cet écosystème puisse se rencontrer, travailler mieux ensemble pour avoir un meilleur résultat d'accès, de connaissances et d'adaptation des pratiques au bénéfice des personnes en situation de handicap.”

Quels sont les principaux freins à la pratique du sport par les personnes en situation de handicap ? 
SC : “D’abord, une difficulté de mise en accessibilité physique des structures, il ne faut pas se le cacher. Il y a encore des structures anciennes, pas aux normes, avec des difficultés d'accès pour les personnes à mobilité réduite. Ensuite, les professionnels qui gèrent ces structures ne sont pas toujours formés aux différentes situations de handicap, notamment le handicap mental, psychique ou avec des troubles des fonctions cognitives. Puis, il y a une autocensure des personnes à pratiquer un sport, souvent à cause d'un refus ou d'une première difficulté apparue. Et il y a aussi une méconnaissance de ce qui existe déjà en termes d'adaptation, d'où l'idée d'avoir un handiguide pour permettre de savoir où l’on peut pratiquer à côté de chez soi. Aujourd'hui, 1 500 structures accessibles sont enregistrées.” 

Des problématiques de structures mais aussi humaines, donc ? 
SC : "La formation est très importante. Comment je fais progresser un enfant avec une déficience intellectuelle, qui va prendre plus de temps pour comprendre les consignes ? Comment j’adapte ma pédagogie ? Être mieux formé, c'est tout l'enjeu de cet accompagnement du club de sport du quartier par l'expertise des fédérations spécialisées. Car il y a une réalité. Beaucoup de familles vous diront qu’elles ont été refusées dans leur club local parce que leur enfant présentait un trouble autistique, une déficience intellectuelle ou un trouble moteur. Et le responsable du club leur a dit 'On ne sait pas faire, allez voir un service spécialisé.' Ça, nous n'en voulons plus. Nous voulons faciliter la vie des personnes handicapées, donc qu'elles puissent pratiquer le sport dans le club de quartier."

Comment faire pour favoriser la pratique sportive des personnes en situation de handicap ?
SC : “Nous mettons en place cette stratégie de formation mais nous avons besoin des médias, pour dire que c’est possible, que de plus en plus de structures sont mises en accessibilité. Nous avons besoin de le faire savoir, de dire 'Nous allons vous aider, vous accompagner'. Les fédérations handisport et sport adapté ont des personnes-ressources, des Emplois Sportifs Qualifiés (ESQ), 150 aujourd'hui*. Ce sont des experts sur les adaptations à mener. Elles peuvent venir au club local pour discuter avec des éducateurs, démystifier cette peur de ne pas savoir faire, de ne pas savoir adapter, de ne pas réussir. Ce n’est pas une perte de temps, c’est un vrai investissement pour la construction identitaire de cet enfant, pour sa pratique sportive. Il va sortir de son école, de son établissement spécialisé pour aller dans le club d'à-côté. Il en va de la structuration d'une famille de pouvoir aller ensemble au club de sport à côté de chez soi. C’est un enjeu de société.” 

En termes de budget, est-il possible d'estimer le montant global de cette stratégie ? 
SC :
“Il s'agit d'une politique très locale. J’ai confiance dans les territoires pour mettre en musique ces expertises locales. J'ai besoin des communes. Elles ont un rôle énorme à jouer sur la formation de leurs agents, les subventions aux associations, ... Dans les établissements médico-sociaux, il y a déjà des budgets pour cela. Pour le développement, nous nous appuierons sur le budget des Jeux olympiques et paralympiques. C'est en cours d'écrémage, mais l'idée est là. On consulte les acteurs, on affine, car les besoins ne sont pas identiques. C’est une stratégie très territorialisée, c’est indispensable pour qu'elle réussisse.”

Cette place laissée aux acteurs locaux, aux fédérations sportives, ne risque-t-elle pas d'être compliquée par la crise sanitaire liée à la Covid-19, notamment au niveau budgétaire justement ?
SC : “La crise sanitaire a un impact, il ne faut pas le cacher. ** Pour autant, nous avons des leviers. La coopération avec l’éducation nationale d'abord. Un enfant est soit à l'école, soit en établissement médico-social. Nous devons faire entrer la pratique du parasport dans l’école, pour toucher le maximum de pratiquants. Ce ne sont pas des moyens complémentaires, mais une mise en lumière que le parasport fait partie aussi de la pratique sportive quotidienne. La crise sanitaire nous entrave, elle entrave la pratique sportive de toute façon, mais ce qui est important c'est de profiter de la dynamique des Jeux olympiques et paralympiques pour montrer que c'est possible. Qu'un élève en situation de handicap ne doit pas être exempté de sport, comme c'est souvent le cas, car on pense qu'il n'en est pas capable. C'est un tabou, un préjugé à lever. Il peut faire autre chose que minuter ses camarades qui courent. Il y a des pratiques de participation extrêmement différentes. C'est là que les établissements et fédérations spécialisés peuvent venir en appui de l'éducation nationale.”

Une stratégie orientée vers les Jeux paralympiques de 2024, qu’en est-il de l’accompagnement des sportifs de haut niveau ? 
SC : “C'est le travail des fédérations d'accompagner le haut niveau, qu'il soit olympique et paralympique. Nous voulons que les fédérations intègrent de plus en plus les sections spécialisées. C'est l'enjeu de cette société inclusive, et donc de fédérations inclusives, que nous portons avec Roxana Maracineanu. L'enjeu est d'identifier les besoins, afin notamment de pouvoir faire les demandes de compensations (prise en charge par l’Etat de coûts liés au handicap, ndlr). Montrer aux fédérations que l'investissement sur des athlètes paralympiques est un vrai investissement, avec l'appui également de l'Agence Nationale du Sport et de son département de la Haute performance. Les deux fédérations spécialisées, handisport et sport adapté, doivent être au service des autres fédérations pour apporter leur expertise.*** Personne ne se défausse de ses responsabilités, elles doivent être réaffirmées.” 

Avec la crise traversée par les fédérations actuellement, n’y a-t-il pas un risque que le handicap soit loin d’être leur priorité ? 
SC : “Nous faisons en sorte que ce soit la même priorité pour tout le monde, pour les personnes dites valides et celles en situation de handicap. Le parasport est de plus en plus pris en compte au sein des fédérations. Nous allons avoir la Coupe du monde de rugby (en 2023) et la Fédération française de rugby est très impliquée là-dessus. Elle veut en faire un événement inclusif avec l’emploi d’apprentis et de bénévoles en situation de handicap. C’est de plus en plus pris en compte et c'est du gagnant-gagnant. Si on veut changer le regard sur notre pays, montrer qu'il fait une place à toutes les différences et en fait une force, le parasport peut être l'identité des Jeux de Paris 2024.” 

Quels sont les enjeux pour cette échéance de 2024 ? 
SC : “Nous réussirons quand les personnes handicapées se mobiliseront elles-mêmes. Pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, l'idée est d’avoir 3 000 bénévoles en situation de handicap. Nous sommes en train de les former pour qu'ils accueillent dès les Jeux olympiques la terre entière. Montrer que les personnes handicapées sont actrices, émancipées et portent les valeurs du sport aussi bien en tant qu'athlètes qu'en tant que bénévoles. Là-dessus, nous avons besoin des médias pour valoriser l’engagement des personnes handicapées, valoriser le parasport à hauteur de l’engouement qu’il suscite. Les Jeux paralympiques d'hiver en Corée du Sud (2018 à Pyeongchang) ont fait une audience extraordinaire malgré le décalage horaire. Je n'ai pas besoin de rappeler les audiences de Londres (en 2012). Les médias doivent s’emparer de la transformation du regard sur les compétences des personnes en situation de handicap.”



Suite à cet entretien, le Secrétariat d'Etat chargé des personnes handicapées a souhaité apporter plusieurs précisions :
*60 personnes-ressources supplémentaires seront recrutées en 2021.
** Les personnes handicapées bénéficient depuis le confinement de l'automne dernier d'une dérogation pour continuer la pratique du sport.
*** Un partenariat recherche et sponsoring peut permettre aux athlètes de bénéficier des derniers équipements de pointe, tout en étant accompagnés par des entreprises.

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