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Mathieu Thomas : athlète, ingénieur puis handicapé

Ingénieur puis athlète de haut niveau. Son expérience, Mathieu Thomas l'a mise cette semaine au profit de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées. Qualifié pour les Jeux paralympiques 2021 à Tokyo, le badiste a débuté son projet lorsqu'il a accepté de déclarer son handicap, caché presque 15 ans. Aujourd’hui, il a fait du handicap sa force et son combat.
Article rédigé par Natacha Basdevant
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
 

"On sera tous en situation de handicap un jour. Moi, j’ai la chance que ce soit arrivé tôt." La phrase ressemble à un paradoxe. Mathieu Thomas a connu le handicap après ses 17 ans. A l'entendre, il en serait presque content. Pour lui, des handicaps, il pourrait y en avoir autant qu’il y a de personnes dans ce monde. La diminution des capacités à mesure que l'âge avance, il l'a connue très jeune. Mais pendant 13 ans, il n'en a pas parlé, tirant profit d'un problème invisible, comme bien d'autres.

Après avoir lutté contre lui-même pour accepter sa différence,  il lutte aujourd'hui aux côtés des autres. "Mon combat est de rendre visible ce qui est invisible", résume-t-il. C'est un combat qui l’anime chaque jour. Le joueur de badminton déplore que la majorité des gens ne prêtent attention qu’aux handicaps visibles, qui ne représentent finalement que 20% des handicaps.

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A 17 ans, l’étudiant en terminale se rend chez le médecin, alerté par ses amis de la différence d'épaisseur entre ses deux cuisses. Les médecins préconisent une intervention chirurgicale après avoir découvert la présence d’une tumeur cancéreuse dans le bas de son ventre. 

Après son opération, il refuse de voir que sa jambe n’est plus la même. Pourtant, le chirurgien lui a sectionné le nerf lié au quadriceps. Depuis il ne sent plus son muscle de la face avant de la cuisse. Mais ça ne se voit pas caché sous un vêtement, mis à part pour monter des marches ou pratiquer une activité physique. Durant sa convalescence, le jeune homme avait insisté auprès de ses kinésithérapeutes : il allait marcher. "Je leur ai dit : je ne veux pas être en fauteuil. Et j’ai vite lâché les béquilles... au bout de six mois."

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Cette attitude, il la doit à son profil de "super héros".  Selon lui, il y a deux manières d'aborder le handicap, lorsqu'on veut le masquer. Il y a ceux, qui comme lui, le compensent : "Ils font un travail de fou pour que ça ne se voit plus. Ça relève de l'orgueil, il faut accepter qu'on ne peut pas toujours être au top". Et il y a ceux qui ne l'assument pas, refusant de porter le poids du regard des autres qui change et celui de leur propre regard. Dans ce cas-là, "c'est le regard sur soi qui est la clé du changement", affirme le jeune homme de 36 ans. 

"Je voulais être comme tout le monde" 

"Je voulais être comme tout le monde. Ce regard compatissant je n’en avais pas besoin." Que ce soit à l’école d'ingénieur qu’il intègre après son intervention, ou dans l'entreprise dans laquelle il effectue son alternance, le jeune homme n’en parle à personne. Et pourtant, avec du recul, Mathieu est convaincu qu'il aurait eu plus de chance d'être recruté s'il avait parlé de son handicap. Puis, arrive l'année de ses 32 ans. "J’ai fait une crise de la trentaine", ironise-t-il. Le trentenaire a trouvé une autre façon de voir les choses.

"Je me suis beaucoup remis en question à ce moment-là, je me suis dit : 'Qu’est-ce que tu pourrais faire de grand dans ta vie pour exploiter cette chance que la vie m’avait donnée ? C’est faire les paralympiques." Il choisit la discipline du badminton, qu'il pratiquait depuis ses 28 ans en loisir. Pendant six ans il a justifié le port d'une attelle à la jambe droite, par une blessure, auprès de ses adversaires. 

"Les JO de Londres ont vraiment marqué un changement"

Les Paralympiques de 2012 ont été un exemple pour lui en matière de communication sur les athlètes handicapés. "J’ai beaucoup aimé la campagne de Londres en 2012 qui disait ; merci aux athlètes valides d’avoir préparé le terrain et maintenant commencent les vrais jeux. J’avais trouvé ça très très bien". Le badiste insiste : "les jeux paralympiques sont aussi importants et le public est aussi au rendez-vous."

En 2014, le badminton est annoncé au programme des jeux paralympiques de Tokyo pour la première fois depuis leur création. Une occasion que le sportif a voulu saisir : "j’ai pris le train en marche." Mais, la pandémie a mis "beaucoup d’incertitudes pour pouvoir se projeter à Tokyo." Ce qui est sûr, c'est que l'athlète est reparti pour 4 ans d'entraînements intensifs, "parce que mon corps me le permet donc j’y vais. Et puis ce sera à Paris devant tout le monde. C’est certain que je ne vais pas louper ce rendez-vous."

Une fois son projet de vie trouvé, Mathieu s'est senti prêt à déclarer son handicap au grand jour : "Ça me paraissait légitime de dire à mon employeur que j’avais un handicap, et que j'allais devoir quitter le travail pour m’entraîner tous les soirs." À 34 ans, le chef de projet laisse son travail de côté pour se concentrer sur ses jumeaux de 1 an et sa carrière de sportif. L'objectif médaille olympique est lancé. 

Son profil d'athlète est primordial dans la sensibilisation qu'il met en place tout au long de l'année et particulièrement lors de cette semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées. Sept jours articulés sur trois axes : démystifier le handicap et aider les personnes à déclarer leur handicap : "Certains pensent que ça pourrait freiner leur ascension professionnelle. Bien au contraire", assure Mathieu. Pour les entreprises, l'objectif est de faire un constat , "savoir où en est la société" et montrer que la société est "handi-accueillante", ce qui pourrait encourager les personnes handicapées à postuler.

Pour ce faire, "j’amène le handicap par le sport", explique l'ancien basketteur. Jusqu'à vendredi, Mathieu laisse sa raquette de côté pour rencontrer des entreprises et leurs employés à un rythme de deux conférences par jour. La clé selon lui est de déclarer son handicap. "Les gens sont plus performants au travail lorsqu’ils acceptent leur handicap."

"Toutes ces rencontres ont fait partie de ma thérapie"

"J’ai une chance d’être payé pour faire des conférences... normalement on paye un psychologue". Les revenus générés par les conférences combinés aux revenus de sponsoring sportifs lui permettent de gagner sa vie tout en continuant sa thérapie.

Certaines histoires ont marqué Mathieu. Un collègue qui tremble pris pour un alcoolique, un malentendant ayant pour habitude de lire sur les lèvres mis en difficulté en raison du port des masques obligatoire. Sans parler des personnes atteintes de maladies chroniques. "Ceux qui ont une maladie chronique je trouve ça très compliqué parce qu’ils ne sont pas pris au sérieux. On les fait passer pour des personnes fainéantes et qui se plaignent."

L'histoire de Mathieu et les personnes qui y ont participé l'ont fait réfléchir sur la façon dont il est possible d'apporter un nouveau regard bienveillant sur les personnes en situation de handicap. De façon à ce qu'elles s'assument et se sentent à leurs places. "Aujourd'hui, je suis bien plus heureux depuis que j’ai accepté mon handicap et j’ai pu me lancer des défis beaucoup plus fous", conclut le futur athlète olympique.

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