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Handisport : l'histoire d'Edgard John-Augustin, amputé à l'âge de 4 ans, devenu bodybuilder professionnel

Alors qu’il n’a que quatre ans, Edgard John-Augustin est amputé des deux jambes après un accident de voiture. Aujourd’hui bodybuilder professionnel handisport, le Guyanais de 35 ans raconte de quelle manière il a fait de cette tragédie une force.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Edgard John-Augustin, alias Bionic Body, a été amputé à l'âge de 4 ans. Aujourd'hui, il est bodybuilder professionnel.

Il y a des événements qui marquent une vie à jamais. Alors qu’il n’a que quatre ans, Edgard John-Augustin est victime d’un accident de voiture. Ses blessures sont telles que les médecins sont contraints de l’amputer des deux jambes. Transféré en métropole dans le Val-de-Marne pour être opéré, l’enfant y reste de longs mois en convalescence, loin de sa Guyane natale. Après un an en fauteuil roulant, Edgard est appareillé de prothèses. Des nouvelles "jambes", avec lesquelles il lui a fallu réapprendre à marcher. "Je ne me souviens pas de cette période. Mais je pense que c’était un mal pour un bien que je sois amputé à quatre ans. A cet âge, on est insouciant. J’ai vécu des moments très durs, lorsque j’ai été en fauteuil roulant ou lors de mes années à l’école, mais d'avoir eu cet accident si jeune m'a permis de trouver la force d'affronter tout ça", confie le Strasbourgeois d'adoption. 
 
Rien ne le prédestinait à devenir bodybuilder professionnel. Légèrement en surpoids adolescent, il découvre véritablement la musculation en métropole lors de ses études, à l’âge de vingt ans. "J'étais stressé et anxieux de nature et je cherchais un moyen de décompresser. J'ai fait une séance en salle, et depuis, je n'ai jamais arrêté", se souvient-il. En parallèle de ses études, les heures d’entraînement s’enchaînent. A l’époque, l’étudiant en BTS commerce cache son handicap. "Je m'entraînais en jogging, et je ne travaillais que le haut du corps. Je me changeais dans les toilettes. Je n'avais pas honte mais je ne voulais pas que les gens le sachent", explique-t-il.  

Naissance de "Bionic Body" 

En 2013, tout change. Une de ses collègues de travail le met en contact avec un photographe professionnel qui recherche des profils fitness et atypiques. Edgard John-Augustin le contacte et est sélectionné. A l’issu de la séance, le photographe publie sur les réseaux sociaux les clichés d’Edgard, prothèses à nu. "J’ai reçu beaucoup de messages positifs et mes amis qui découvraient mon handicap m’ont tout de suite dit : ‘Pourquoi tu ne le montres pas à tout le monde ? Tu pourrais montrer aux gens que rien n’est impossible'", se remémore l’homme aujourd’hui âgé de 35 ans. Un déclic s’opère : il veut se lancer dans le bodybuilding. Pour ce nouveau corps assumé, Edgard choisit avec ses amis le pseudo "Bionic Body", bionic, en référence aux prothèses, et body pour la discipline. 

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“L'homme part en vrille bien avant le matériel" 

Pour lui permettre de soulever des poids de plusieurs dizaines de kilos, son prothésiste lui fournit un équipement avec la plus forte résistance. "Au début, j'avais peur qu'elles cassent. Ensuite, j’ai appris à soulever du poids avec mes prothèses et à gérer la douleur, car ce n'est pas un processus 'normal'. A la différence de mes prothèses, mes genoux ont souffert. L'homme part en vrille bien avant le matériel", rit-il. “Il est très déterminé, quelques fois trop, confie sa femme Morgane. Parfois, du fait de ses activités, les prothèses engendrent des blessures. Je l’ai déjà vu, les jambes en sang, continuer coûte que coûte l’entraînement." Un mode de vie strict que s’impose Edgard lors de sa préparation physique, mais aussi sur son alimentation. "Il n’a pas dérogé à sa diète depuis mars 2020. Et pour dire à quel point il est exigeant envers lui-même, le jour de notre mariage, alors qu’il préparait une compétition, il avait emmené ses propre repas", sourit encore son épouse.   

 

En 2015, après deux ans d'entraînement intensif, l’athlète franchit un nouveau cap : celui de la compétition, du bodybuilding. A l’époque, il est encore amateur. Comme les compétitions handisport au niveau amateur sont inexistantes, il est contraint de concourir avec les valides. Pour sa grande première, au Grand Prix des Pyrénées dans l’Ariège, il est le seul sportif handisport à être engagé face à des valides. Qu'importe, il s'impose et remporte sa toute première victoire. Il se fait d'ailleurs remarquer par un des sélectionneurs de l'équipe de France, qui lui propose de participer au prochain championnat d’Europe handisport en Espagne. Seul bémol, la compétition impose le fauteuil roulant. Il en faut plus pour décourager ce père de trois enfants. "En rentrant chez moi, j’ai mis un post sur Facebook pour demander si quelqu’un pouvait me prêter un fauteuil", témoigne-t-il. Un an seulement après ses débuts au plus haut niveau, il devient champion d’Europe handisport. L’année d’après, il obtient son statut de professionnel. Un parcours qu’admire son frère Endy, qui le décrit comme un "super-héros"

Concourir avec les valides

Après son titre européen, Edgard John-Augustin veut poursuivre son chemin dans la catégorie handisport. Mais il se heurte au refus des autres athlètes. "J’ai subi une sorte de discrimination de la part des autres athlètes handisport de la fédération à laquelle j’appartiens [l’IFBB Pro League, qui est américaine]. Ils ont refusé que je concoure en handisport. Selon eux, je marche donc je n’ai pas ma place dans cette catégorie handi qui impose le fauteuil roulant", explique Edgard John-Augustin. "Le problème c’est qu’il n’y a qu’une catégorie handisport, et jusqu’à preuve du contraire, je suis un athlète handisport", poursuit-il. Face à ce rejet, il est contraint de s’inscrire avec les valides pour pouvoir concourir.  

Toutefois, "Bionic Body" réussit là encore à voir le côté positif. "Au final c’est un mal pour un bien, car j’aime me confronter aux athlètes valides, c’est un challenge." Ce défi est d’autant plus difficile qu’il part avec des points en moins sur chaque prestation. En effet, le jury ne peut pas évaluer ses mollets comme les autres concurrents. Pour son frère cadet Endy, ce rejet des athlètes handisport a été un des moments les plus durs de sa vie. "On ne voulait pas de lui. Comme il marche, il est vu comme un sportif hybride. Il ne rentre dans aucune case." 

"Mon handicap fait partie de moi"

Comme tous les sportifs de haut niveau, Edgard John-Augustin a connu un coup d’arrêt dans sa carrière professionnelle, en raison de la crise sanitaire. Privé de salons et d’évènements, le bodybuilder a connu une année blanche. Pour maintenir sa condition et poursuivre ses entraînements, il a aménagé son garage en salle de musculation. Si sa dernière compétition remonte à 2019, ses prochains objectifs sont tous suspendus.  

Malgré tous les obstacles, cet athlète hors norme a fait de son handicap une force. "Il fait partie de moi, il m'a appris à avancer", confie-t-il. Cette force, il veut la transmettre, notamment à ses 400 000 abonnés sur Instagram. "Je veux montrer que rien n'est impossible. Oui la vie est parfois difficile, mais soit on essaye d'avancer, soit on ne fait rien. Mais dans ce cas, on ne se cherche pas d'excuses, on assume", conclut Bionic Body.  

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